J'étais vendredi soir au Tarmac de la Villette pour la pièce sur Coltrane adaptée d'une nouvelle de l'écrivain congolais Emmanuel Dongala extraite de son recueil Jazz et vin de palme. Elle y est donnée dans ce petit théâtre jusqu'au 9 septembre. Vu le monde qu'il y avait vendredi, il est conseillé de réserver, et d'arriver un peu en avance.
Le metteur en scène, Luc Clémentin, a eu la bonne idée de transformer la salle du Tarmac en un club de jazz, avec tables, chaises et bar face à un trio composé de Sébastien Jarrousse aux saxes, Jean-Daniel Botta à la contrebasse et Olivier Robin à la batterie. Le public, nombreux, participe ainsi à l'ambiance de la pièce. Derrière le bar, Adama Adepoju dit le texte qui s'apparente plus à un dialogue avec les souvenirs de la musique de Coltrane qu'à un monologue. La langue est belle. Simple, directe, sans fioriture, mais néanmoins soutenue. On sent et entend le plaisir qu'a l'acteur à faire claquer les mots d'Emmanuel Dongala. Rien que pour ça, la pièce mérite le détour. Mais, comme en plus il y a une évocation juste et sensible de la musique de celui qui, tout au long de la pièce, n'est désigné qu'à travers ses initiales ô combien lourdes de sens, JC, la représentation nous fait le plaisir d'ajouter le fond à la forme.
A la lecture des critiques dans la presse, j'avais eu un peu peur. Non qu'elles aient été mauvaises, bien au contraire, mais la plupart insistaient sur la dimension politique de la musique de Coltrane. J'avais craint qu'un lourd contresens affadisse le propos. Mais, il n'en est rien. L'erreur vient de la presse et non de l'auteur. Si le narrateur est un militant politique - jeune africain émigré aux Etats-Unis qui se passionne pour le Black Power - il prend bien soin d'indiquer, quand il en arrive à parler politique à la fin de la pièce, le caractère un peu vain de sa récupération de la musique du Trane. Il est étrange que les commentateurs aient retenu ce passage, pas bien long, plutôt que l'évocation pleine de passion de la recherche musicale de JC - que la narrateur raconte en se remémorant ses rencontres avec le saxophoniste - ou l'émotion que procure la nouvelle de la mort de JC sur la narrateur et ses amis. C'est en effet dans ces passages que le texte d'Emmanuel Dongala est profondément juste et témoigne d'un véritable amour de la musique et de la personne de Coltrane. La rencontre du narrateur et de sa petite amie sur fond d'In A Sentimental Mood, les sifflets face aux trop longs solos de JC lors d'un concert au début des années 60, le choc de la première écoute d'A Love Supreme dans un club new-yorkais, la prière d'Alabama - la seule pièce explicitement "politique" de toute l'oeuvre de JC - en mémoire de quatre petites filles noires assassinées à Birmingham, ou encore la stupeur de la terrible nouvelle en ce chaud mois de juillet 67, tout sonne particulièrement juste dans la bouche d'Adama Adepoju.
Le trio qui accompagne le comédien joue de nombreux thèmes de Coltrane tout au long de la pièce. Parfois en développant les morceaux, à d'autres moments en n'en citant qu'un passage. Parfois en surimpression aux paroles d'Adama Adepoju, à d'autres moments dans un contexte de concert. Mention spéciale à Olivier Robin qui fait entendre un bel écho aux orages superbes d'Elvin Jones. L'espace laissé aux mots au milieu de la musique - et non l'inverse, riche idée - a le charme de l'irrégularité, ce qui rend le déroulé de l'heure que dure la pièce particulièrement naturel.
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