Certains ont pour idole Zidane, d'autres Madonna, pour moi ce serait plutôt Archie Shepp. Mon blog étant assez récent, je n'ai pas encore eu l'occasion de dire tout le bien que je pensais de lui, une des dernières légendes vivantes du siècle-jazz. Parler de jazz est d'ailleurs réducteur. Le terme - désormais largement consacré - de Great Black Music reflète plus justement l'esprit de la musique de Shepp. Il a débuté free, très free, dans les années 60 aux côtés de Coltrane, Don Cherry, Cecil Taylor et de quelques autres allumés de la New Thing comme on disait à l'époque. Puis il a élargi le spectre, embrassant le blues et la soul, Ellington et Monk, et toutes les expressions de la protéiforme musique africaine-américaine. Aujourd'hui sa musique est gorgée de soul, pleine de blues, avec un swing jazz constant, et bien sûr absolument libre. Il est un pont jeté entre la tradition et le futur de cette musique.
Nouvelle démonstration en a été faite hier soir à La Maroquinerie. Pour fêter le lancement de son label Archieball, Shepp était accompagné du pianiste Siegfried Kessler et du contrebassiste Tom McKenzie. Le concert a débuté par "Le matin des noirs", thème écrit par Shepp dans les années 60 (on en trouve une belle version sur le disque New Thing at Newport de Coltrane et Shepp). Pour la petite histoire, c'est sur ce morceau que Shepp et Kessler se sont rencontrés : Kessler le jouait quand Shepp est entré dans un club parisien à la fin des années 60 à l'occasion d'une tournée en Europe. Depuis cette époque ils jouent plus ou moins régulièrement ensemble.
Physiquement, Siegfried Kessler ne paie pas de mine avec son bonnet en laine, ses grosses lunettes rondes et ses baskets démodées. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences, et Kessler est en fait un formidable pianiste qui connaît le free comme le jazz monkien, et surtout qui "pratique" Shepp depuis tellement d'années, qu'il connaît tous les coins et recoins de la musique du saxophoniste.
Le premier set s'est poursuivi sur quelques thèmes monkiens dont un formidable "Well, you needn't" au swing contagieux. Shepp aux saxes soprano et ténor, mais aussi au chant - terriblement bluesy - était comme à son habitude éblouissant, et surtout enthousiasmant. Quelque soit la forme de jazz que l'on aime - et Dieu sait que cette musique peut en prendre des différentes - on ne peut résister à la musique de Shepp, car elle est en fait l'essence-même du jazz.
Le deuxième set a commencé par un morceau en compagnie d'un accordéoniste et du pianiste Tom McClung (le pianiste régulier du quartet actuel de Shepp) en lieu et place de Kessler. Un alliage a priori étonnant, l'accordéon ne faisant pas particulièrement partie de l'héritage afro-américain, mais le morceau proposé était vraiment très bon, chacun laissant de la place à l'autre pour développer son propre discours. Après cet intermède original, le trio du premier set s'est recomposé pour poursuivre jusqu'au bout du concert. Parmi les thèmes joués, une version de "Que reste-t-il de nos amours ?" de Charles Trenet, interprétée par Shepp en français, et l'incontournable "Steam", l'un des standards du répertoire sheppien. Sax soprano et chant, toujours pleins d'émotion.
Magnifique concert donc. Et, pour ceux qui l'aurait raté - ou pour ceux qui, comme moi, en redemandent - une séance de rattrapage est prévue prochainement dans le cadre du festival Sons d'hiver, le 10 février à Saint-Mandé.
Carl LOEWE – Gutenberg & les archevêques zombies
Il y a 9 heures
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