Waaaaaaaaaaaaaaouh ! Si vous n'étiez pas à Créteil hier soir vous avez raté quelque chose d'absolument énorme. Depuis un peu plus d'un an, la rumeur - extrêmement positive - gonfle autour du nouveau projet de Meshell Ndegéocello. La chanteuse-bassiste, précurseur de la nu-soul, a monté un groupe de jazz. Et quel groupe ! Quelle musique !
Hier soir, le concert a commencé par un set de DJ Jahi Sundance pendant que le public s'installait peu à peu dans la grande et belle salle de la Maison des Arts de Créteil. Puis, quand les lumières se sont éteintes dans la salle est apparu un saxophoniste alto venu improviser sur les beats que lui servait le DJ (en l'occurence du A Tribe Called Quest). Le sax en question n'était autre que Steve Coleman ! Ca commençait bien. Après un beau solo, Coleman a été rejoint par le reste du groupe, mené par une Meshell au groove incroyablement communicatif à la basse. Au passage, elle retrouvait ainsi celui qui l'avait aidée à ses débuts en l'engageant sur son disque Drop Kick (1992) avant même qu'elle ne débute véritablement sa carrière.
Dans ce groupe, le Spirit Music Jamia, on retrouve deux autres saxophonistes et pas n'importe lesquels. Tout d'abord à l'alto Olivier Lake, père de DJ Jahi Sundance (mais aussi de Gene Lake qui fut longtemps batteur des Five Elements) et surtout membre du World Saxophone Quartet aux côtés de David Murray. Son approche incisive, qui puise dans la tradition free (il anime parallèlement un groupe dédié à la musique d'Eric Dolphy), contrastait parfaitement avec l'ambiance résolument urbaine de la musique proposée. A ses côtés on trouvait Ron Blake au saxes ténor, baryton et soprano. Un musicien qui a des faux airs de Sonny Rollins, physiquement et musicalement. Puissance et vélocité étaient au rendez-vous. La section de trois saxophones à montrer l'étendue de son talent dès le terrible premier morceau : une reprise explosive du Expensive Shit de Fela. L'influence de l'afrobeat se fera d'ailleurs sentir, parmi de nombreux autres genres (jazz, soul, funk, reggae, rap), tout au long du concert.
La pulsation afrobeat du premier morceau était parfaitement assurée par un batteur tout bonnement exceptionnel, Chris Dave. C'est la première fois que je le voyais, mais aucun doute n'est possible, c'est un très grand. Face à sa démonstration, une seule question subsiste : il les cache où ses bras supplémentaires ? Pour continuer dans l'énumération à faire baver ceux qui n'étaient pas présents dans la salle, on peut signaler que le guitariste était "tout simplement" Dave Fiuczinski et le second bassiste Fima Ephron que les habitués de la Downtown Scene connaissent bien. Enfin le groupe était complété par Michael Cain aux claviers, lui aussi en grande forme hier soir dans des solos de Fender Rhodes magiques.
En clair, tous les musiciens étaient au top, pas une seule faiblesse pendant les deux heures du concert, qui est pour le coup passé beaucoup trop vite ! Les idées de Meshell s'expriment pleinement avec ce nouveau groupe. Finies les contraintes "commerciales" imposées par son ex-maison de disques (Maverick, le label de Madonna) dont elle se plaignait ces dernières années. En passant du format chanson (refrain, couplet, refrain) à des formes plus libres puisant dans la riche tradition afro-américaine, Meshell est lumineuse. Même si elle ne chante plus (sauf sur un morceau) et se contente de tenir la basse, elle le fait avec tellement de talent, et est une "leadeuse" tellement naturelle, qu'on ne pense même pas à regretter son délicieux flow mi-soul mi-rap.
Tout au long du concert le groupe fut en fait à géométrie variable. Parfois Meshell s'eclipsait. Parfois c'était les saxes laissant alors s'épanouir des climats plus intimistes au sein du trio Meshell - Michael Cain - Chris Dave. Sur deux morceaux le groupe a par ailleurs été rejoint par le chanteur Sy Smith, qui a une voix se nichant quelque part aux confins de la soul et du rock. Les morceaux sur lesquels il intervenait étaient de fait les plus "rentre dedans". La variation des climats musicaux, tout en maintenant une grande unité et la "patte" de Meshell reconnaissable entre mille, était d'ailleurs révélatrice du foisonnement d'idées des musiciens en présence qui ont tous eu l'occasion de se mettre en valeur, comme solistes ou comme sidemen, au cours du concert. La beauté des solos des trois saxophones était grandiose. Mais que dire de l'orage somptueux provoqué à maintes reprises par Chris Dave ?
Difficile de faire passer par écrit une telle musique. On ne peut qu'être en deça de la réalité et du bonheur que son écoute procure. C'est une musique qui se vit littéralement en live. Elle met en oeuvre tous les sens, le corps et l'âme. Il est vrai que la Great Black Music est souvent une affaire de Body & Soul. Avec Meshell Ndegéocello, elle a trouvé une digne héritière. Seul petit bémol : c'est quand même un peu frustrant d'assister au meilleur concert de l'année dès le mois de février ! Amis artistes... il vous reste dix mois pour me faire mentir.
Carl LOEWE – Gutenberg & les archevêques zombies
Il y a 9 heures
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