Bagatelles, quatrième épisode. Après New York, Vienne et Lisbonne (1 et 2), livraison à domicile cette fois-ci, dans la grande salle du Forum Karlin. Et le menu était particulièrement copieux, avec quatorze formations se succédant sur scène pendant plus de quatre heures. Le principe des "marathons" zorniens est toujours le même : chaque interprète se concentre sur la substantifique moëlle du répertoire mis à sa disposition, jouant 15-20 minutes, avant de laisser la place au suivant. Du coup, mon ressenti est assez différent des précédents concerts mettant à l'honneur ces compositions auxquels j'ai pu assister. Là où dans mes comptes rendus des soirées viennoise et lisboètes, j'insistais sur la diversité du répertoire et des approches, ce qui ressort de cette étape praguoise en est au contraire la cohérence et les similarités. Bien sûr chaque interprète emmène la materiau zornien vers ses propres territoires, qu'ils soient jazz, rock, électronique ou contemporain, mais en réduisant le temps imparti à chacun, les gimmicks propres à l'écriture de Zorn semblent se faire écho d'un morceau à l'autre. La démarche n'en est que plus intéressante, soulignant un nouvel aspect de ce corpus de près de 300 morceaux écrits par Zorn en 2015 (et n'ayant jusqu'à présent pas fait l'objet d'une documentation discographique). Et bien entendu, cela est rendu possible par une interprétation au cordeau de chaque formation (et une bonne sonorisation, peu évidente vue la dimension de la salle et les changements fréquents de registres d'un groupe à l'autre).
Dans le détail, quatorze formations, ce sont : trois solos (Craig Taborn au piano, Ikue Mori au laptop, et Peter Evans à la trompette) ; trois duos (Sylvie Courvoisier & Mark Feldman, piano et violon, Erik Friedlander & Michael Nicolas, violoncelles, Gyan Riley & Julian Lage, guitares) ; quatre trios (Trigger, guitare, basse, batterie, John Medeski Trio, orgue, guitare, batterie, Brian Marsella Trio, piano, contrebasse, batterie, et Asmodeus, guitare, basse, batterie) ; et enfin quatre quartets (Masada, sax alto, trompette, contrebasse, batterie, Mary Halvorson Quartet, guitares, contrebasse, batterie, Nova Quartet, vibraphone, piano, contrebasse, batterie, et Kris Davis Quartet, piano, guitare, contrebasse, batterie).
La structure du concert pousse à sélectionner ses moments préférés. A ce petit jeu, j'en retiendrais particulièrement trois. Tout d'abord, le duo de guitares entre Gyan Riley et Julian Lage, tout en délicatesse, fait de subtil nuances et d'élaboration d'un véritable dialogue. Ils m'avaient déjà fait forte impression à Vienne il y a trois ans. Autres retrouvailles enthousiasmantes (cette fois-ci, un an après Lisbonne), le quartet de Kris Davis, avec Mary Halvorson, Drew Gress et Kenny Wollesen. Là aussi, un registre délicat, où les jeux des deux jeunes femmes se répondent à merveille. Le troisième moment fort était inédit pour moi : l'impressionnant solo de Peter Evans. Medley de cinq compositions enchaînées sans temps mort, en souffle continu, usant autant que possible de la respiration circulaire, ébourrifant moment d'effets pyrotechniques, mais toujours au service du sens à donner à la mélodie sous-jacente. Avant-dernier à se présenter sur scène, il est en quelque sorte le clou du spectacle, stratagème zornien pour nous tenir en alerte alors que la fatigue commence à pointer le boût de son nez (il est plus de 23h, et les réjouissances ont commencé à 19h). Si je mets en avant ces trois formations, les autres ne sont néanmoins pas en reste. Si j'ai quelques réserves sur Trigger, jeune power trio loud rock un peu trop poseur à mon goût, c'est toujours un plaisir immense de retrouver sur scène des interprètes du calibre de Craig Taborn, Mary Halvorson, Joey Baron, Dave Douglas, John Medeski, Erik Friedlander, Sylvie Courvoisier ou Mark Feldman.
Alors qu'en général je préfère les concerts où chaque formation a le temps de développer son propos sur la longueur, ce marathon, par l'excellence des interprétations, l'unité d'écriture des morceaux mis à l'honneur, et la qualité du son restitué, a pris tout son sens, enchaînant avec succès moments de grâce et d'excitation, entre retrouvailles de musiciens qu'on aime et surprises soniques glissées de-ci, de-là. Un nouvel épisode à la hauteur des promesses entrevues précédemment.
Rodrigo Amado: Two New Recordings
Il y a 4 heures
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