Le premier film projeté est l’œuvre de Joseph Cornell, s'intitule Rose Hobart, et date de 1936. Il s'agit d'un collage d'extraits d'autres films - en noir et blanc - dans lesquels l'actrice Rose Hobart jouait. On parcourt un univers daté, qui sent bon l'exotisme factice avec ses faux maharadjas, ses animaux de la jungle, ses "sauvages" qui s'en prennent aux bons blancs, et un volcan en éruption qui permet à Marc Ribot de laisser exploser sa classe, entre exotica et riffs rock, pour coller avec bonheur aux images. Si je notais que Ribot semblait un peu bridé la veille lors du concert de The Dreamers, ce premier morceau de la soirée lui est clairement entièrement consacré, tout étant organisé autour de sa guitare. Les autres ne sont quasiment là qu'en support : deux basses (contrebasse pour Trevor Dunn et électrique pour Jamie Saft) et trois instruments percussifs (vibraphone de Kenny Wollesen, batterie de Joey Baron et multiples percussions exotiques de Cyro Baptista) dressent ainsi un tapis soyeux sur lequel le guitariste prend son envol.
Le deuxième film date de 1967 et est l’œuvre d'Harry Smith. Intitulé Oz: The Tin Woodman's Dream, il se compose de deux parties distinctes : tout d'abord un film d'animation autour du personnage issu du magicien d'Oz, puis un montage d'images kaléidoscopiques. La première partie est pleine d'humour et de poésie, alors que la seconde lasse vite. Pour l'illustration sonore, les musiciens quittent tous la scène et laissent la place à la seule Ikue Mori au laptop. Celle-ci produit un discours continu de percussions digitales qui colle bien avec les images, jusque dans leur caractère lassant et répétitif de la deuxième moitié du film.
Dans le Bairro Alto |
Ces deux premiers films avaient déjà été projetés lors du concert de Paris en 2008 que j'évoquais plus haut. A la Cité de la Musique, le troisième film était Aleph de Wallace Berman, son seul film, sous forme de collages de rush de divers films peints à la main (entre expressionnisme abstrait et alphabet hébraïque). La musique qui accompagnait alors le film était survitaminée et centrée sur le jeu rageur de Zorn au sax. Cette fois-ci, à Lisbonne, Zorn nous présente l'envers du décor du film de Berman : tout d'abord deux films d'archive qui montrent Berman lui-même (sur une moto puis lors d'une expo), puis le footage (matériau brut avant montage) qui a servi à Aleph. Du coup, la durée du film est beaucoup plus longue qu'à Paris (30 à 40 minutes je dirais) et la musique qui l'accompagne profondément transformée. Cela commence par un trio très jazz - au sens strict et historique du terme - avec Zorn à l'alto, Trevor Dunn à la contrebasse et Kenny Wollesen à la batterie. Zorn retrouve des échos des News for Lulu, son interprétation pleine de respect du répertoire hard bop gravée avec Bill Frisell et George Lewis dans les 80s. Ça swingue sévère et le plaisir d'entendre Zorn sur ce genre de répertoire est fort - belle sonorité d'alto qui évoque un peu Jackie McLean. Après ce passage en trio, Jamie Saft les rejoint au rhodes pour un solo très soulful, toujours dans une esthétique proche du son Blue Note des 60s. Les autres musiciens - Cyro Baptista aux percussions, Marc Ribot à la guitare, Ikue Mori au laptop - entrent tour à tour dans la musique, toujours autour du trio central Zorn-Dunn-Wollesen, mais celle-ci se densifie, devient plus électrique, plus accidentée aussi et finit par exploser en une séquence de collage / zapping / montage à la Naked City dans des sonorités qui évoquent également l'Electric Masada. C'est le morceau de bravoure de la soirée, un fiévreux tourbillon de citations stylistiques diverses mais toujours identifiables sur un chaos rythmique intense, plein de tensions et de jeu sur les vitesses - accélérations / décélérations comme dans un grand 8.
L'accueil du public est particulièrement enthousiaste, Zorn propose donc un rappel sur un autre film de Joseph Cornell, Cottillion and the Midnight Party (1938). C'est l'occasion d'avoir tous les musiciens en même temps (Ikue Mori était absente sur le premier morceau et Joey Baron sur le troisième) : Wollesen repasse au vibraphone, Saft aux claviers et les autres à leur instrument habituel. Le film propose des images de cirque avec des magiciens, des acrobates, des lanceurs de couteaux, des otaries jongleuses, entrecoupées de séquence avec de jeunes enfants et des bébés en train de rire ou de jouer. C'est joyeux, et la musique qui va avec également, dans une veine proche de l'univers des Dreamers la veille. Mais on reste surtout sous le choc - esthétique - de ce qui avait précédé.
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