Mercredi soir, changement d'ambiance, avec Kartet au Point Ephémère, une salle à taille humaine, même s'il faut rester debout. Deuxième concert de Kartet pour moi cette année après leur passage par la Dynamo en mai dernier (pas eu le temps de le chroniquer, mais c'était super, avec Myra Melford en solo en première partie, géniale). Ce n'est pas de trop, surtout après ces quelques années de silence en tant que groupe. Kartet c'est Benoît Delbecq au piano (préparé), Guillaume Orti au sax alto, Hubert Dupont à la contrebasse et Chander Sardjoe à la batterie, soit le meilleur groupe de jazz français de ces quinze dernières années (et même un peu plus, Kartet existe depuis 1989). A nouveau un énorme plaisir à les entendre live ce mercredi. Ça groove incroyablement. C'est intéressant de les entendre dans le cadre de la programmation "Steve Coleman" du festival. Delbecq et Orti étaient des stages au Banff Center en 1990 quand Coleman en était le directeur artistique. L'influence des conceptions formelles du chicagoan se retrouve naturellement dans la musique de Kartet, mais on ne peut en aucun cas résumer leur musique à une descendance évidente et directe de l'esthétique M-Base. De nombreux autres ingrédients composent la potion magique de Kartet, à commencer par l'écoute attentive de la musique du XXe siècle (Ligeti, toujours, mais aussi Messiaen, Debussy...) ou des rythmes traditionnels indiens ou africains (science rythmique au sommet). La musique de Kartet peut paraître paradoxale à la première écoute : quoi de commun entre le style très vocal, délié, de Delbecq, le groove solide d'Hubert Dupont, les rythmes fous de Chander Sardjoe, et le dépouillement feutré de Guillaume Orti ? Rien, et c'est ça qui est génial : ils ont su construire une véritable identité de groupe, à partir d'éléments divers, et aujourd'hui cela sonne comme si tout cela était le résultat d'une rencontre des plus naturelles.
Le concert a débuté par Misterioso, thème de Monk qui ouvre leur récent cinquième album (The Bay Window). Le concert de Benoît Delbecq en duo avec Han Bennink à la Dynamo l'année dernière nous avait renseigné sur l'amour du pianiste pour son glorieux prédécesseur. L'intégration de l'écriture claudiquante de Monk à l'esthétique de Kartet fait immédiatement sens. Le concert commence bien. Très bien. Et la suite - uniquement des compos des membres du groupe - est du même tonneau. Il faut saluer le travail des ingénieurs du son qui ont su parfaitement adapter la musique du groupe aux dimensions de la salle, de telle sorte qu'on avait le sentiment d'être au cœur du groupe, resserré sur scène, compact et bouillonnant d'énergie. On ne voit pas le temps passer. Les morceaux extraits de The Bay Window s'enchaînent avec passion - on reconnaît les "pattes" différentes selon que l'écriture en revient à Benoît, Guillaume ou Hubert. Il y a aussi quelques emprunts à Spider's Dance de Dupont T, groupe d'Hubert Dupont où l'on retrouve Chander Sardjoe, l'alto de Rudresh Mahanthappa (excellent Codebook chez Pi) et le piano d'Yvan Robilliard. Sur scène, le groove semble plus évident que sur disque, plus direct. Plus d'une fois les musiciens laissent le plaisir monté, la musique se jouer toute seule, quand sur disque la maîtrise du temps et du format semble prédominante. Une complémentarité exemplaire. Vraiment un grand concert.
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