samedi 8 septembre 2007

Octurn & Magic Malik / Steve Coleman's Aquarius Ingress @ Cité de la Musique, lundi 3 septembre 2007

Troisième prestation de Steve Coleman en quatre jours lundi soir à la Cité de la Musique. Un sommet. En première partie, j'ai eu le plaisir de pouvoir réécouter sur scène Octurn avec Magic Malik, deux ans après leur passage par la Maroquinerie. Moins d'électronique que la première fois, Dré Pallemaerts n'étant pas là. Seul Gilbert Nouno officie derrière ses machines cette fois-ci. La "vedette" rythmique est donc quasiment laissée au seul Chander Sardjoe, toujours aussi étincelant. Quasiment, car en fait, en bon disciples de l'esthétique m-baso-haskienne, tous les membres d'Octurn apportent leur pierre à la structuration rythmique de l'ensemble. La complémentarité des sonorités du piano de Fabian Fiorini et du fender rhodes de Jozef Dumoulin est l'élément déterminant de l'ambiance spécifique de ce groupe. Un constant chapelet de notes forme comme un tapis mouvant sur lequel se fixe à la fois la rythmique au groove carré et le quatuor de vents (flûte, trompette, saxes alto et baryton) aux développements plus contemporains. Le passage a cappella des vents mettait bien en lumière les sources d'inspiration extra-jazz de l'ensemble. Nelson Veras tient désormais la guitare au sein du groupe. Il y apporte un jeu très liquide, comme un prolongement adouci du jeu de Dumoulin, qui tranche avec la puissance tournée vers l'efficacité de la paire rythmique Lehr-Sardjoe. Ce dernier apporte néanmoins des développements hors cadre bienvenus, qui varient habilement autour de l'obstination rythmique de l'ensemble. Côtés cuivres, Bo Van Der Werf, pourtant leader-concepteur du groupe, semble un peu en retrait. Laurent Blondiau à la trompette et Guillaume Orti à l'alto proposent les solos les plus tranchants. L'adjonction de Magic Malik au groupe depuis deux-trois ans semble avoir apporté une réflexion en des termes plus "aériens" aux arrangements de vents. Plus de douceur, de décélérations, offrent de belles respirations dans une esthétique basée à l'origine sur la puissance d'un funk cérébral, entre groove et raideur rythmique. Une évolution pleine de promesses pour les développements futurs.

Après cette mise en jambe généreuse, Steve Coleman entre en scène avec ses cinq co-souffleurs : Chris Speed et Mike McGinnins aux clarinettes, Miguel Zenon au sax alto, Ravi Coltrane et Tony Malaby aux ténors. Comme souligné précédemment, j'étais vraiment impatient de pouvoir entendre "ça". Impatient avec une petite pointe d'angoisse : la déception face à une curiosité trop forte n'attendrait-elle pas au tournant, et surtout comment intégrer à la musique assez typée de Coleman des esthétiques de jeu aussi différentes que celles de Speed et Malaby ? La réponse a été cinglante : une claque ! Énorme. Magnifique. Monumentale.

Monumental, c'est le sentiment qui dominait à l'issue du premier morceau, longue et patiente construction qui avait des allures de cathédrale sonore. Coleman apporte une solide charpente - on reconnaît "sa" musique - mais il a su tirer de chacun de ses accompagnateurs d'un soir (c'était seulement le deuxième concert de l'ensemble, le premier avait eu lieu à NY en janvier) des couleurs qui leur sont propres qui élargissent somptueusement la palette expressive du chicagoan. Le jeu tout en unissons intériorisés de Chris Speed approfondit le propos vers des tourments mélancoliques qui résonnent superbement avec le bleu acier de l'alto de Coleman. L'exploration des textures extrêmes du ténor de Malaby se fait par touches légères - contrairement à ce qu'il fait en leader - mais bien audible, et apporte une fragilité des limites qui accentue le sentiment d'élévation "gothique" de l'ensemble. Ce premier morceau trouve même des échos baroques, par une utilisation particulièrement raffinée de l'art du contrepoint. C'est une musique véritablement inouïe que propose Coleman, et pourtant elle semble être l'aboutissement logique et naturel de vingt-cinq ans de carrière à élaborer structures rythmiques complexes et développements post-bop (et non néo-bop) sur l'alto. Les deux altistes mènent le discours le plus souvent. Miguel Zenon a des élans parkeriens soulignés par une science rythmique pleine du feeling caraïbe de ses origines. Quant au leader, son phrasé et sa justesse de timbre sonnent merveilleusement dans ce contexte.

Après ce chef-d'œuvre inaugural à six, les musiciens s'expriment en duo. D'abord Coleman avec Malaby, tout en sensibilité, puis Speed et Zenon, dans une démarche d'opposition / complémentarité. Il faudra attendre un peu plus tard pour le duo Coltrane-McGinnins, magnifique prolongement d'une nouvelle longue pièce à six.

Les six souffleurs ont été particulièrement généreux ce soir là, en jouant près d'1h45 (sans support rythmique ou harmonique pour se "reposer"). On connaît les aspirations mystiques, numérologiques, astronomiques, égyptologiques, architecturales et compagnie de Coleman et, même sans adhérer forcément aux préoccupations qui sous-tendent ses recherches, force est de constater qu'un véritable sentiment d'élévation spirituelle émane de ce concert. Par un subtil alliage de forces bien charpentées et de fragilités multiples mais toujours maîtrisées, Coleman et ses acolytes ont dessiné une nef lumineuse, élancée, ciselée dans ses moindres détails. Monumentale.

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