Il y a depuis quelques années une certaine hype autour du renouveau du jazz britannique. Un jazz très métissé, dont les principaux acteurs sont issus des diasporas afro-descandantes de l'ex-empire colonial de Sa Majesté. Pas étonnant d'y retrouver des influences afrobeat ou caraïbéennes en nombre. Le spiritual jazz des 70s est une autre source d'inspiration de cette musique nécessairement syncrétique. On retrouve un peu de ces éléments dans la musique de Tom Skinner, mais sans doute dans un ancrage plus purement jazz - au sens où il fait référence à la source américaine beaucoup plus explicitement que d'autres groupes londoniens contemporains. Le titre du récent disque publié par le batteur avec son quintet, Voices of Bishara, renvoie ainsi directement au nom du label créé par le violoncelliste Abdul Wadud dans les 70s pour publier sa propre musique. On retrouve d'ailleurs un violoncelle, tenu par Kareem Dayes, dans l'instrumentation du groupe de Skinner. Outre ses productions comme leader, Abdul Wadud, disparu l'année dernière, est surtout célèbre pour sa collaboration avec Julius Hemphill à la même époque, et notamment sur le chef d'oeuvre Dogon A.D. paru en 1972. Là aussi, impossible de ne pas avoir en tête la musique d'Hemphill quand résonnent les compositions de Skinner. Il ne s'agit néanmoins ni d'une relecture (ce sont des compositions originales) ni d'un pastiche, plus d'une filiation assumée sur laquelle s'appuyer pour développer sa propre expression. Et ça fonctionne très bien en concert. Outre le violoncelle déjà évoqué, le groupe est constitué de deux saxophones ténor (Robert Stillman et Chelsea Carmichael, cette dernière également à la flute) et d'une contrebasse (Tom Herbert, déjà entendu par le passé au sein de Polar Bear ou d'Acoustic Ladyland). Robert Stillman assume les tourbillons free quand Chelsea Carmichael propose des contrepoints plus voyageurs. L'assise rythmique est solide, nourrie de musiques africaines comme de la tradition jazz. Kareem Dayes alterne, lui, jeu à l'archet et pizzicati selon les morceaux, tour à tour voix mélodique ou renfort rythmique selon les besoins des compositions. L'ensemble fait preuve d'une forte cohésion, concentré sur son propos, qui permet de nous emporter avec lui au cours de l'heure que dure sa prestation.
On ne présente plus Henri Texier, depuis le temps qu'il est un pilier essentiel de la scène jazz hexagonale. Pour l'occasion, le contrebassiste introduisait un nouveau groupe et un nouveau répertoire, annonciateur d'un disque à paraître d'ici quelques semaines, comme toujours sur Label Bleu, An Indian's Life. Clin d'oeil assumé à An Indian's Week paru il y a tout juste 30 ans (1993 déjà !). Et dernier volet d'un tryptique dédié aux amérindiens, en considérant Sky Dancers (paru en 2015) comme le second. Pour l'occasion, Texier a assemblé un septet, soit son groupe le plus fourni depuis le Sonjal Septet du milieu des 90s, responsable de Mad Nomad(s), paru en 1995, sans doute l'un des disques les plus importants dans le début de mon amour pour le jazz à l'époque - et la preuve que c'était une musique vivante, contemporaine, à vivre en concert, et non juste une musique patrimoniale de légendes décédées. Henri Texier a donc eu un rôle essentiel dans mon éducation musicale, et je l'ai souvent vu sur scène. Ce retour à la Cité de la Musique fait ainsi écho à un concert au même endroit, dans le même cadre de Jazz à la Villette, lors de l'édition 2003 (il y a vingt ans !). Le contrebassiste y présentait déjà un nouveau groupe, le Strada Sextet, un peu avant la publication d'un disque dudit groupe, (V)ivre (Label Bleu, 2004). Mais si je l'ai beaucoup vu en concert à l'époque, cela a été beaucoup moins vrai récemment : la dernière fois date en effet de 2005 (dix-huit ans, une éternité !).
Ce nouveau groupe rassemble quelques fidèles de plus ou moins longue date et des nouveaux venus dans l'univers de Texier. Du côté des fidèles, bien entendu son fils, Sébastien Texier, au sax alto et clarinettes, membre de toutes les aventures de son père depuis vingt-cinq ans. Egalement Manu Codjia à la guitare, dont la première collaboration remonte justement au Strada Sextet, il y a vingt ans donc. Plus récent mais tout aussi essentiel, le batteur Gautier Garrigue (découvert au sein des excellents Flash Pig) accompagne déjà Texier depuis cinq ans et trois disques. Du côté des nouveaux venus, le trompettiste belge Carlo Nardozza amène un instrument rarement entendu dans les ensembles du contrebassiste (depuis Michel Marre dans La Companera, en 1983 ?). Encore plus inédit, l'ajout d'une chanteuse, en la personne d'Himiko Paganotti. Enfin, le sax ténor est tenu par Sylvain Rifflet - si cet instrument n'a rien d'inédit dans un contexte texierien, il est tenu ici par l'un de ceux qui y a développé l'un des plus beaux sons sur la scène jazz hexagonale. Fidélité et renouvellement dans la composition de l'équipe, mais dès que les premières notes résonnent - solo de contrebasse, puis duo contrebasse-batterie - aucun doute n'est possible, on assiste bien à un concert d'Henri Texier. Si les compositions sont essentiellement inédites (une relecture de Dakota Mab - avec un texte de Sitting Bull récité par Himiko Paganotti en plus - et un standard de Fats Waller - Black & Blue - se glissent néanmoins dans la set list), on est en terrain extrêmement familier. On y retrouve de puissants tutti à l'unisson qui font sonner les morceaux comme des hymnes, et des solos voyageurs qui donnent différentes teintes aux morceaux. L'ajout de la voix à l'ensemble, essentiellement en vocalises (à part le standard évoqué et quelques passages récitatifs), renforce ce côté hymnique. Himiko Paganotti tient alors le rôle de ce chant dans la tête qu'en tant qu'auditeur de Texier on a forcément déjà ressenti. Un chant dans la tête qui nous accompagne nécessairement sur le chemin du retour, en attendant de pouvoir retrouver ce répertoire sur disque d'ici quelques semaines.
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