C'est la rentrée ! et le retour d'une tradition bien ancrée. En effet, depuis qu'il a été refondé sous le nom de Jazz à la Villette en 2002 et se tient début septembre (le Villette Jazz Festival se tenait précédemment début juillet), j'ai assisté à au moins un concert de chaque édition jusqu'en 2015. Pour cette édition 2023, je commence par une double affiche sous le signe de la soul, mais pas que, dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris.
En première partie, Jose James propose une relecture de quelques titres emblématiques de la reine de la nu soul, Erykah Badu. Il entame le concert par deux tubes majeurs de la chanteuse : On & On (extrait de Baduizm, le premier opus de Badu, qui date déjà de 1997) et Didn't Cha Know (extrait de Mama's Gun, le second album, produit par la dream team des Soulquarians en 2000). De quoi tout de suite rentrer dans le vif du sujet. Généreux avec le public - au point de descendre se balader dans la salle au cours du concert et serrer quelques mains - Jose James alterne les registres, se fait tour à tour crooner, soulman ou MC pour éclairer les compos de Badu sous différents angles. Il faut dire que, si elle est apparue comme une figure de proue du mouvement nu soul au tournant du millénaire, sa musique s'abreuve aux différentes sources du grand fleuve des musiques africaines-américaines : jazz, soul, funk, hip hop... Et c'est ce que Jose James fait magnifiquement ressortir au cours du concert. On retrouve des titres comme Green Eyes ou Bag Lady, eux aussi issus du chef d'oeuvre Mama's Gun, mais aussi des morceaux un peu plus récents comme The Healer ou Gone Baby, Don't Be Long, issus des deux volumes de New Amerykah (quand même 2007 et 2010 respectivement - on attend la suite depuis ce temps...). Sur scène, il s'entoure d'un quartet qui n'hésite pas à emmener les compositions de Badu vers des développements plus jazz lors de quelques solos instrumentaux : Ebban Dorsey, tout juste 19 ans, est au sax alto, Ashley Henry au piano et claviers, Jharis Yokley à la batterie et Josh Hari joue le remplaçant du remplaçant (d'après la présentation qu'en fait Jose James) à la basse. La voix féline de Jose James fait le reste et place les chansons d'Erykah Badu sur la vaste carte des standards.
Après la pause, c'est Meshell Ndegeocello qui se présente sur scène entourée de cinq compères : Justin Hick chante, Kyle Miles tient la basse, Jebin Bruni est aux claviers, Chris Bruce à la guitare et Abe Rounds à la batterie. C'est l'équipe au coeur de son plus récent album, le splendide The Omnichord Real Book, paru chez Blue Note cette année. Les trois derniers cités formaient aussi le groupe qui soutenait Meshell sur son précédent disque, le beau Ventriloquism (Naïve, 2018) consacré à des reprises de tubes r'n'b des 80s/90s. C'est donc sans trop de surprise un répertoire qui mêle les morceaux de ces deux disques qui nous est proposé. Les compos de Meshell alternent ainsi avec quelques reprises : Waterfalls de TLC au rythme ralenti, Smooth Operator de Sade complètement transfiguré (au point de ne pas chanter le refrain), Nite and Day d'Al B. Sure! lui aussi alangui ou un Atomic Dog méconnaissable de George Clinton. De manière générale, Meshell fait dans la retenue, dans le registre clair-obscur. Son inimitable sprachgesang soulful ne s'en trouve que plus mis en avant. Elle ne joue en effet quasiment pas de basse (ni des claviers qui lui font face) et se concentre sur le chant. On est loin de certains anciens concerts très funky auxquels on a pu assister (je garde un souvenir ému d'un passage à Sons d'Hiver en 2005 avec Steve Coleman, Dave Fiuczynski ou Chris Dave notamment). Mais ça marche tout aussi bien, et on se laisse facilement emporter, même si on regrette presque le confort de la Philharmonie et se rêve à pouvoir écouter ce type de musique dans une salle de plus petite taille, debout, afin de ne pas laisser le temps à l'attention de retomber un peu entre les morceaux. Les voix de Meshell (qui alterne chant et parlé-chanté) et de Justin Hicks (gorgée de gospel et de soul classique) offrent un beau contraste qui donne beaucoup de relief aux morceaux, notamment ceux issus de son plus récent disque - même en l'absence des nombreux invités de marque qui font aussi le succès du disque (Jeff Parker, Joel Ross, Jason Moran, Oliver Lake, Ambrose Akinmusire, Josh Johnson...). Meshell nous fait même le plaisir de revenir à la source originelle, avec une interprétation d'un des morceaux qui figurait sur son premier disque, Plantation Lullabies, sorti il y a trente ans déjà (Maverick, 1993) : "Sit back, relax"... le leitmotiv de I'm Digging You (Like An Old Soul Record) est un appel auquel on ne peut pas résister.
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