Qu'est-ce qui peut pousser une chorégraphe si attachée à la musique à proposer une pièce quasi silencieuse ? The Song contient bien quelques chansons, murmurées par un danseur passé le temps de quelques couplets à la guitare, mais la plupart du temps c'est un assourdissant silence qui emplit l'espace du Théâtre de la Ville. L'une des principales marques de fabrique du style Rosas est l'attachement minutieux, et quasi obsessionnel, de la chorégraphie à souligner les lignes structurantes de la partition musicale. Les danseurs semblent figurer les instruments, en incarner les rythmes, chercher à rendre visibles les intentions les plus précises du compositeur. Et pourtant, cette fois-ci, rien de tel. C'est même l'inverse qui semble se produire avec la présence sur scène d'une bruiteuse qui accompagne des gestes qui paraissent définis bien en amont. Comme si l'ordre cosmique de la chorégraphe flamande se présentait à nous en négatif.
On retrouve cependant un vocabulaire gestuel qui ne trompe pas, forgé au contact des structures élaborées par les plus grands compositeurs, de la science rythmique de la tradition indienne ou encore des envolées expressives de figures phares du jazz moderne. Dans les torsions cambrées de solos si caractéristiques, comme dans les rondes et chassés-croisés de groupe, on entend parler la langue de la flamande. Même si celle-ci prend un fort accent masculin cette fois-ci, avec neuf danseurs pour une seule danseuse. La pièce est sans doute peu abordable pour qui n'a pas déjà fréquenté, ne serait-ce qu'un peu, l'univers de De Keersmaeker. Les fauteuils grincent d'ailleurs continuellement pendant deux heures. Mais elle est bien souvent passionnante pour les autres, par ce projecteur en contre-jour braqué sur son travail.
La scénographie d'Anne Veronica Janssens et Michel François colle parfaitement à la démarche de la pièce. Là aussi, c'est d'apparence minimaliste : jeu de couleurs binaire, noir/blanc, simple toile de plastique translucide suspendue au dessus des danseurs pour jouer sur le grain de la lumière, un carré blanc sur le sol délimitant l'air de jeu. Tout est affaire de combinaisons, comme en écho aux nombreux duos qui, à partir d'une figure réduite, démultiplient les possibles du langage chorégraphique. Ou comme ces gestes solitaires doublés - comme on le fait au cinéma - par les bruitages de Céline Bernard : une chaussure au pied pour évoquer les pas d'un danseur pieds-nus, des crépitements et froissements pour souligner les torsions des corps qui se frôlent. Il y a sans doute un certain avantage à se retrouver au septième rang. Les bruissements de la salle - grincements de fauteuils, moments de flottement de spectateurs dissipés, sonerie de portable intempestive - paraissent alors intégrés à la chorégraphie. Soudain un danseur court vers le coin avant-gauche de la scène comme pour rattraper les fuyards. Coïncidence ou trait d'humour spontané, la magie de cette danse retournée à ses fondamentaux laisse libre l'interprétation. Pour ces quelques secondes, comme en deux heures.
A lire ailleurs : Bien culturel, In the mood for jazz.
Carl LOEWE – Gutenberg & les archevêques zombies
Il y a 7 heures
2 commentaires:
Par contre, qu'est-ce que c'était chiant !
Personnellement j'ai adoré et n'ai pas vu passer le temps !
danseaujourdhui.blogspot.com
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