Le festival Jazz à la Villette donne, comme à chaque rentrée, le coup d'envoi de la nouvelle saison scénique parisienne. Et cette année, l'affiche est belle avec le retour d'Ornette Coleman et son quartet à deux basses.
En première partie, Bunky Green, jeune pousse de tout juste soixante-dix printemps, emmène un quartet européen composé d'Eric Legnini (p), Matthias Allamane (cb) et Franck Agulhon (dms). Le répertoire est celui du disque produit par Steve Coleman et paru sur Label Bleu en 2006, Another Place. Green sonne très chicagoan dans ses inflexions. Comme une sorte d'équivalent de Von Freeman à l'alto. On perçoit l'héritage parkérien, mais agrémenté de dérapages acidulés qui zèbrent un discours baigné de blues, assez typique de la Windy City. Est-ce dû à la taille de la salle ou à une attitude un peu trop respectueuse de ses accompagnateurs, je trouve malheureusement que l'ensemble à dû mal à prendre. La comparaison avec le disque sus-cité n'est pas à l'avantage du concert. Là où Jason Moran et Nasheet Waits semblaient pousser le vétéran à retrouver la fougue de ses disques des 60s, et où un discours de groupe émergeait, le trio d'Eric Legnini reste dans un registre assez convenu qui, s'il ne plombe en rien la musique de Bunky Green, se contente de lui offrir des repères bien identifiables. Pour ne rien arranger, j'ai beaucoup de mal avec la sonorisation de la salle (c'est une habitude, et chaque année j'espère que les affiches les plus attrayantes du festival seront programmées à la Cité plutôt qu'à la Grande Halle - c'est raté pour cette édition). La distance, le découplage de la vision et de l'ouïe - on regarde vers le bas alors que l'on entend la musique descendre du plafond - et la trop grande taille d'un espace destiné à une toute autre activité à l'origine n'aident pas à rentrer comme il le faudrait dans le concert. Au final, je me réjouissais de pouvoir entendre Bunky Green sur scène, mais je suis ressorti un peu déçu de la prestation du groupe.
Le concert du quartet d'Ornette Coleman démarre sur les chapeaux de roue. Un bref orage sonore, où éclairs abrupts et tonnerre chaotique s'entremêlent, met nos oreilles en appétit. La suite est toute aussi surprenante, dans le contre-pied fait à cet incipit tranchant. C'est la troisième fois que je vois Ornette et son quartet à deux basses (la première avec Greg Cohen et Tony Falanga aux contrebasses, la deuxième avec Falanga doublé par la basse électrique d'Al McDowell comme cette année). Et pourtant, il me semble que le discours est très différent. Les lignes mélodiques sont des plus lisibles, le rythme le plus souvent régulier, et la couleur d'ensemble nourrie de blues et de rhythm'n'blues. Bien sûr, il y a des passages où tout semble se dérégler (discours parallèles, rythmes décalés), mais ils s'achèvent toujours par un retour en place assez surprenant vue la composition du groupe. Denardo Coleman, à la batterie, est le plus étonnant dans ce contexte, lui que l'on a connu constamment "à côté". Il groove plus d'une fois au cours de la soirée. Avec l'appui électrique de McDowell, on retrouve des effluves de Prime Time, l'ensemble de funk harmolodique d'Ornette. Le concert ressemble en fait à un best of à travers les compositions les plus emblématiques du sax texan. Pas étonnant, donc, d'avoir le sentiment de survoler les différentes périodes ayant marqué une carrière longue de plus de cinq décennies désormais. L'angle choisi - la mise en avant du compositeur, presque du songwriter, sur les improvisateurs - accentue la fraîcheur et la tendresse quasi enfantine des mélodies. Le discours d'Ornette à l'alto reste délicieux de précision et de tranchant, comme s'il ciselait à l'infini un matériau simple pour en faire émerger la plus fine des sculptures. Par sa simplicité apparente, ses surprises jaillissantes de-ci de-là, cette musique rend tout simplement heureux. Le public nombreux (2000 personnes) le fait savoir. Après une longue ovation, Ornette, tout étonné, profite d'un bain de foule, avec force serrages de mains et signatures d'autographes, digne d'un politicien en campagne pour le poste suprême. Un spectateur à côté de moi glisse à son voisin : "C'est Madonna !".
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