Hank Jones était à l'affiche deux soirs de suite du festival Jazz à la Villette. Vendredi, à la Cité de la Musique, en solo. Samedi, accompagné par les musiciens maliens de Cheick Tidiane Seck, dans la Grande Halle.
Vendredi, la première partie est assurée par Jacky Terrasson, lui aussi seul face au piano. Je ne connais en fait que d'assez loin ce pianiste franco-américain pourtant bien établi. Je ne l'avais jamais vu sur scène auparavant, et ne possède que quelques disques sur lesquels il intervient en sideman (le beau Fascinoma de Jon Hassel par exemple). Le répertoire mêle standards et compositions. Le style est imprégné de bop (Bud Powell en ligne de mire) et des styles-racines du piano jazz (stride, ragtime) passés au prisme moderniste, un peu à la manière jarrettienne. Les phrases de Terrasson sont très ornementées, la tentation du lyrisme n'est jamais loin, sans pour autant tomber dans un romantisme outragé. La visite de thèmes archiconnus (Caravan) permet d'apprécier le sens de l'espace développé par des harmonies empruntant à la musique française du début du XXe siècle. Le tout s'intègre parfaitement et crée un univers très maîtrisé, où le pianiste peut s'adonner avec plaisir au jeu de la déconstruction-reconstruction des mélodies pour en faire briller les coins les moins visités.
Hank Jones joue lui aussi avec le répertoire. Ses quelques compositions voisinent avec celles de son frère Thad et des thèmes de Monk, Ellington, Rodgers & Hart, Body & Soul, Stella by Starlight... Be-bop et musiques racines (blues, gospel, stride) au programme également. Mais sans ornementation. Là où Terrasson joue avec son héritage transatlantique, Hank Jones donne à entendre un art brut, comme une plongée dans l'histoire de l'Amérique noire. Quand Terrasson étire les morceaux pour développer ses improvisations sur la longueur, Hank Jones joue l'économie. Il expose le thème, en extrait la sève bleutée, s'amuse à la triturée rythmiquement, et enchaîne sur une réexposition conclusive. A 91 ans, il garde un caractère facétieux dont il amuse le public entre les morceaux ou au cours des innombrables rappels. S'il a besoin d'un peu d'aide pour monter les marches qui l'amènent sur scène, il semble faire preuve d'une jeunesse éternelle dans son amour du jeu, dans tous les sens du terme. Ainsi, la musique jaillit, spontanée, dans une fraîcheur maintenue intacte. Du grand art.
Samo Salamon - Sunday Interview
Il y a 5 heures
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