Le festival de l'Ircam s'ouvrait cette année, une fois n'est pas coutume, par la présence d'un trio jazz sur la scène du Centre Pompidou. Pour l'occasion, Aka Moon proposait le résultat de sa collaboration avec le logiciel OMax, mis au point par des ingénieurs de l'institut et manipulé ce soir là par Gilbert Nouno, qu'on avait déjà pu apercevoir derrière des machines aux côtés de Steve Coleman ou d'Octurn. Le logiciel analyse le jeu des musiciens (intervalle rythmique, phrases mélodiques...) pour construire un modèle à partir duquel il va proposer ses propres variations, alors réinjectées de manière aléatoire dans la musique du groupe. Des recherches en direction d'une improvisation informatique. L'action du "conducteur" d'OMax consiste à le brider plus ou moins dans son analyse de la musique (sur quelques phrases, ou tout au long de la performance) et dans sa réinterprétation (immédiate, ou faisant appel à sa "mémoire" de l'oeuvre).
Fabrizio Cassol, saxophoniste d'Aka Moon, a composé cinq environnements, basés sur des caractéristiques rythmiques et harmoniques prédéterminées, à partir desquels le trio improvise. OMax, quant à lui, s'insère dans ce dispositif après analyse du jeu du saxophoniste, pour doubler sa voix, et ajouter un élément complémentaire à intégrer par les instrumentistes dans leur improvisation. Le résultat est souvent très touffu. La musique d'Aka Moon, déjà dense par elle même, frôle l'asphyxie. Difficile de trouver son souffle pour le spectateur dans cette musique qui ne respire presque plus. Comme s'il manquait encore à la machine ce petit supplément d'âme qui lui permettrait d'imaginer le silence. Le second set du concert voit Aka Moon débarrassé de son habillage électronique. Tout est plus fluide, le groove communicatif, et le plaisir évident. La reprise de quelques morceaux phares du groupe y aide sans doute.
Quelques jours plus tard, la Salle Pleyel accueillait l'Orchestre de Paris dirigé par Jean Deroyer, chef tout juste trentenaire. Fil rouge de cette édition du festival, Luciano Berio se voyait honoré avec l'interprétation de sa Formazioni. L'orchestre, à l'effectif assez classique, est disposé de manière totalement inhabituelle, avec des bois sur le devant de la scène et des cordes dispersées aux quatre coins de l'orchestre. C'est donc la sonorité de l'ensemble, plus que la forme même de l'écriture, qui intrigue l'oreille. Avec un matériau parfois assez réduit, Berio arrive ainsi à donner une grande ampleur sonore à l'orchestre par la répartition des instruments, tout en maintenant constant le raffinement qui le caractérise. La première partie s'achève sur les brèves cinq pièces op. 10 de Webern, déjà entendues un peu plus tôt dans la saison par l'EIC. Cinq pièces en six minutes, où la mélodie parcoure l'orchestre réduit d'instrument en instrument, sans jamais se fixer plus de deux-trois notes sur l'un d'entre eux. Ludique, expressif, joyeux, c'est toujours un réel plaisir à l'écoute en concert, où l'aspect visuel sautillant renforce le propos instrumental.
Après l'entracte, le plat de résistance était la création du Livre des illusions de Bruno Mantovani. Cette pièce d'environ une demie-heure est un hommage à la cuisine du chef catalan Ferran Adria et s'inspire d'ailleurs de la carte 2007 de son célèbre restaurant El Bulli. Adria est connu pour sa "gastronomie moléculaire", autant encensée que décriée. La prestation de l'Orchestre est précédée par quelques explications du compositeur et du cuisinier, avec illustration sonore. Trois passages, correspondant aux olives sphériques, à l'éponge de sésame et au risotto de pamplemousse, permettent de comprendre la démarche de Mantovani. Les olives sphériques, sortes d'olives recomposées à partir d'huile d'olive gélifiée, commencent ainsi par une explosion percussive qui parcoure l'orchestre comme un frisson et qui libère un son huileux qui se répand progressivement dans la salle par les joies de l'informatique musicale de l'Ircam. Le risotto de pamplemousse obtenu à l'aide d'azote liquide conserve, en musique, son caractère tout à la fois granuleux et doux-amer. Après ces quelques explications, qui mettent la musique contemporaine à la portée de tous, l'Orchestre de Paris s'aventure à travers la trentaine de plats qui composent la carte d'El Bulli. On aurait pu craindre un aspect un peu catalogue, mais en fait l'oeuvre de Mantovani dégage une belle unité et ne se contente finalement pas d'un simple jeu illustratif. Les variations autour de plats voisins créent comme des échos entre les différentes parties de l'oeuvre (ou doit on dire du repas ?) et propulse la musique au-delà de ses motivations de départ. L'utilisation de l'informatique, qui projette à travers la salle les sons de tel ou tel instrument, recompose un orchestre atomisé qui n'est pas sans faire écho à la composition inaugurale de Berio. Et la structure faite d'une succession enchaînée de brèves pièces rappelle les préoccupations de Webern. Il y a pire ascendance.
A lire ailleurs : Bien Culturel, Palpatine, ConcertoNet.
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