Hier, dernière soirée dans le cadre du festival Sons d'hiver pour moi cette année. Après Patricia Barber la veille, on restait à Chicago, mais dans un style fort différent, avec une soirée co-organisée avec l'AACM. J'avais hésité à y aller en raison de la salle (la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville de Saint-Mandé) qui m'avait laissé d'assez mauvais souvenirs l'année dernière, mais l'affiche avait finalement pris le dessus. Et bien m'en a pris, car les deux concerts proposés furent vraiment excellents - et sans problème de sonorisation cette année.
La soirée a commencé par un duo de anches entre le vétéran Roscoe Mitchell et la jeune Matana Roberts. Le saxophoniste de l'Art Ensemble of Chicago était habillé très sobrement, en costume, loin des peintures de guerre d'antan, alors que Matana Roberts portait des plumes dans les cheveux, des paillettes sur la peau, et une jupe rouge très volumineuse. Contraste visuel assez amusant pour commencer. Matana Roberts joue du sax alto et de la clarinette, tandis que Roscoe Mitchell était venu avec flûte, saxos ténor, soprano et sopranino. Leur échange, qui a duré une heure, est monté progressivement en intensité. Très pointilliste au début, fait de brefs échanges de notes et de courtes phrases, il est devenu de plus en plus dense au cours du concert, jusqu'à ce que Roscoe Mitchell joue en continue - sans reprendre son souffle, ou plus exactement en le faisant tout en continuant de souffler dans son sax. Sonorités tout d'abord agressives de Roscoe Mitchell au sopranino, avant d'aller vers des tourbillons plus spirituels, au soprano et au ténor. En contrepoint, le jeu de Matana Roberts se fait haché à l'alto et plus véhément et tournoyant à la clarinette, où elle excelle vraiment. La deuxième demi-heure de leur performance a proposé des passages de toute beauté, à l'échange télépathique juste souligné par deux regards furtivement lancés par Matana Roberts vers son partenaire en guise de repère visuel sur la marche à suivre. L'essentiel était dans l'écoute réciproque. Et dans la tension continue - jamais relâchée - qui animait leur propos. Très impressionnant.
La deuxième partie était l'œuvre des 8 Bold Souls du saxophoniste et clarinettiste Edward Wilkerson. Formé il y a plus de vingt ans, ce groupe est une des plus belles expressions de ce que les membres de l'AACM entendent par leur concept-phare de Great Black Music. Puisant dans la tradition afro-américaine, il propose une musique qui résonne des différents aspect de cette culture : ils sonnent parfois comme un brass band, à d'autres moments comme un orchestre swing, sans oublier quelques solos venant du free. Il leur arrive également de faire penser à un orchestre de chambre qui jouerait du Kurt Weill ou à une musique cinématographique qui évoque la bande-son d'un peplum, lente et majestueuse. Sur la scène, on trouve en première ligne, et de gauche à droite, Isaiah Jackson au trombone, Mwata Bowden au sax baryton et à la clarinette, Robert Griffin à la trompette, et le leader aux saxes ténor, alto, soprano et aux clarinettes (sib et basse). En deuxième ligne, toujours de gauche à droite, se tiennent Gerald Powell au tuba, Naomi Millender au violoncelle, Harrison Bankhead à la contrebasse (vu au sein des Chicago 12 il y a deux semaines) et Duschun Mosley à la batterie. La principale originalité du groupe se trouve dans la présence du violoncelle, principalement joué à l'archet qui plus est, ce qui apporte une dimension plus douce et raffinée à la musique proposée. D'ailleurs, s'ils ne s'interdisent pas quelques passages véhéments dans leurs solos, la musique des 8 Bold Souls est avant tout magnifiquement arrangée, conduite par Edward Wilkerson comme s'il s'agissait de celle d'un orchestre de chambre. Généreux dans leur attitude (le concert a duré plus de deux heures), les musiciens dégagent une joie de vivre dansante et communicative. Le public ne s'y est pas trompé, qui a fini en grande partie debout, acclamant à tout va ce bien beau groupe. Un point d'orgue idéal pour cette édition 2006 de Sons d'hiver qui aura fait la part belle - du moins en ce qui concerne les concerts auxquels j'ai assisté - aux formes contemporaines de la tradition afro-américaine.
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