La Cité de la musique organise jusqu'au 9 janvier une exposition sur l'utilisation de la musique sous le IIIe Reich. Complément d'un cycle de concerts qui se sont tenus en octobre et novembre (j'ai d'ailleurs assisté à l'un d'entre eux consacré à trois compositeurs diffamés pour leurs origines juives : Mendelssohn, Meyerbeer et Mahler), l'exposition propose un parcours plus explicatif que spectaculaire, allant de la remise en cause des avant-gardes de la République de Weimar à la musique du camp de Theresienstadt, en passant par la glorification du passé allemand, la récupération de genres populaires à des fins de propagande et enfin la compromission plus ou moins grande de compositeurs et chefs d'orchestre avec le régime national-socialiste.
La première partie de l'exposition s'ouvre sur quatre toiles qui évoquent de manière évidente la problématique d'ensemble de l'exposition. D'un côté deux toiles dans un style officiel qui glorifient la blondeur, le réalisme, les paysages germaniques, autant d'éléments sensés exalter les traditions et les valeurs allemandes. De l'autre, deux toiles abstraites (l'une de Thomas Ring, l'autre de Wassily Kandinsky), qui documentent les rapports entre musique et art pictural dans les avant-gardes du début du XXe siècle. Un modèle d'"entartete Kunst" (art dégénéré) comme le qualifieront les nazis. L'affiche reproduite ci-dessus est d'ailleurs celle de l'exposition de 1938 consacrée à la musique dégénérée et organisée à Düsseldorf un an après la première exposition consacrée, elle, à la peinture. Par cette introduction, l'exposition fixe le cadre général bien connu des rapports entre pouvoir national-socialiste et art en général. Rien de bien étonnant... et pas de quoi rendre intéressante l'exposition.
La force de cette exposition est de ne justement pas se contenter de cette vision juste, mais un peu simpliste des choses. Il est plus intéressant de se pencher sur la manière dont les théoriciens de l'antisémitisme ont revisité le passé allemand, tentant d'en séparer le bon grain aryen de l'ivraie juive, et ce dès Haendel. Plus intéressant également de se pencher sur les petites compromissions d'un certain nombre de musiciens et de chefs sans présenter pour autant un jugement définitif et manichéen : les parcours monolitiques sont rares, les uns sont d'abord de fervants nazis, avant de rompre très vite avec l'idéologie du régime, d'autres, tout en étant des artistes officiels, glissent une critique du régime dans leur oeuvre, etc. A époque trouble, parcours troubles.
L'exposition se penche également sur les musiciens et chefs clairement "dégénérés" pour les nazis, qui n'ont eu d'autres "choix" que l'exil ou les camps de concentration. L'influence de ces conditions extraordinaires sur leur musique est sobrement présentée, des oeuvres américaines de Schönberg (dont un poignant Un survivant de Varsovie écrit en 1947 qui s'achève sur la prière Sch'ma Jisroel, et qui fait face à une reproduction d'un des plus célèbres poèmes de Paul Celan - la Fugue de mort - qui traduit l'écroulement de la civilisation édifiée sur l'humanisme) à la vie musicale du camp "modèle" de Theresienstadt (aujourd'hui Terezin en République Tchèque) où Viktor Ullmann composa Der Kaiser von Atlantis. De même, Kurt Weill, Erwin Schulhoff et bien sûr Ernst Krenek, qui introduirent le jazz (musique coupable à la fois de judéo-bolchévisme et de négritude aux oreilles des nazis) dans la musique classique, sont également abondamment évoqués.
La partie consacrée à la relecture du passé musical allemand est très intéressante. Felix Mendelssohn-Bartholdy, de part son origine juive (il était le petit-fils de Moses Mendelssohn, le grand penseur de l'Aufklärung juif), fut une des "victimes" préférées des théoriciens de l'antisémitisme musical malgré sa conversion au christianisme. Sa statue à Leipzig fut détruite, la rue qui portait son nom fut rebaptisée du nom d'Anton Bruckner (la grande figure romantique allemande avec Wagner pour les nazis), et enfin un grand concours fut organisé pour re-composer son Songe d'une nuit d'été dans une version aryenne. Ce fut finalement Carl Orff (celui des insupportables Carmina Burana) qui eut cet "honneur". Une telle démarche fut jugée avec une pour le moins grande ironie par Richard Strauss, pourtant à la tête de la très officielle Chambre musicale du Reich (avant d'être poussé à la démission pour sa collaboration avec Stefan Zweig pour le livret de La femme silencieuse).
Le concert du mois d'octobre que j'évoquais plus haut, mettait en lumière trois compositeurs jugés comme la source de la dégénérescence juive au sein de la musique romantique allemande au XIXe siècle. Ainsi Blessinger, grand théoricien antisémite, voyait dans Mendelssohn le modèle du "Juif assimilé", dans Meyerbeer celui du "Juif affairiste sans scrupules" et dans Mahler "le type fanatique du rabbin d'Europe de l'Est" (Mahler est né dans les territoires de l'actuelle République Tchèque). Hitler appréciait pourtant l'oeuvre de Mahler et encore plus ses talents de chef depuis qu'il l'avait vu diriger Tristan und Isolde de Wagner à l'Opéra de Vienne en 1906. On retrouve dans l'expo les passages de la propagande officielle destinés à dénigrer ces musiciens.
La partie la plus poignante de l'exposition est sans nul doute celle consacrée à la vie musicale du camp de Theresienstadt, peut-être encore plus pour moi qui ai visité ce camp lors de mon premier séjour en République Tchèque en 1997. Les nazis avaient voulu faire de ce camp (en fait l'anti-chambre d'Auschwitz) un "modèle" de la vie qu'ils réservaient aux Juifs, notamment à des fins de propagande pour tromper la Croix Rouge. De nombreux artistes (Robert Desnos y mourut) et hommes politiques (Léon Blum y fut prisonnier) y séjournèrent, avant de poursuivre leur route mortelle vers Auschwitz. Le camp est ainsi aujourd'hui encore connu pour sa riche vie musicale. Hans Krasa, Gideon Klein, Pavel Haas ou encore Viktor Ullmann en furent les prisonniers et y composèrent quelques unes de leurs oeuvres.
Les organisateurs de l'exposition ont eu la bonne idée de faire le silence dans les salles (un comble pour le musée de la musique !), préférant donner aux visiteurs la possibilité d'écouter quelques oeuvres des musiciens cités à l'aide d'un casque individuel. L'exposition se distingue également par la qualité des toiles et dessins présentés (venant de nombreux musées allemands), ne se résumant ainsi pas à une exposition de documents plus attendus dans un musée consacré à la musique (partitions, photos de représentations...). L'interaction entre les arts, chère aux artistes du Bauhaus et aux autres avant-gardes de l'Allemagne de Weimar, présentée ici est finalement le plus bel hommage qui pouvait être rendu à leur destin tragique.
Le IIIe Reich et la musique, Cité de la musique, jusqu'au 9 janvier 2005.
Two organ duets
Il y a 4 heures
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