mercredi 6 décembre 2023

Alexandra Grimal Trio @ Le Triton, samedi 2 décembre 2023

J'ai souvent vu Alexandra Grimal sur scène lors de la décénie 2006-2016. La première fois, c'était à La Fontaine en avril 2006, et la dernière au sein de l'ONJ d'Olivier Benoît sur le programme Europa Berlin en mars 2016 à la Maison de la Musique de Nanterre, mon dernier concert parisien avant mon exil praguois. La première d'un nouveau trio, au Triton, était donc l'occasion idéale pour renouer les fils d'une certaine fidélité et voir (et entendre) comment la musique d'Alexandra avait évolué ces dernières années. Nouveau trio, car l'association de ses trois membres était inédite, mais pourtant l'occasion de retrouver Jozef Dumoulin aux côtés d'Alexandra, pour une association qui avait, par le passé, largement contribué à créer madite fidélité à la musique de la saxophoniste. Je me souviens ainsi d'un concert mémorable à l'été 2006 avec justement Dumoulin, et Dré Pallemaerts, en trio (que j'avais chroniqué pour Citizen Jazz) qui m'avait définitivement "converti" en suiveur attentif de la carrière d'Alexandra. Cette fois-ci, le triangle était complété par Yuko Oshima, batteuse japonaise installée en France, et déjà vue il y a quelques années au sein du duo Donkey Monkey qu'elle formait avec la pianiste Eve Risser. 

Le concert commence par des développements tout en nuance de Jozef Dumoulin au piano. Adepte des claviers électriques, il s'exprime ce soir-là essentiellement sur le grand piano acoustique, même s'il a sur sa droite un synthé et sur sa gauche une bass station, complétés par un sampler posé sur le piano. Il construit patiemment un univers ouaté, tout en retenu, qui permet d'installer immédiatement une ambiance propice à l'écoute attentive. Alexandra le rejoint ensuite en dessinant de courtes phrases au saxophone que Dumoulin sample en direct pour les réinjecter dans la musique qui commence à se densifier, par l'accumulation de strates. Yuko Oshima les écoute attentivement et n'intervient que très parcimonieusement pour ajouter quelques virgules soniques de-ci de-là en frappant cymbales ou cloches. L'ambiance déployée est une parfaite introduction à la soirée, pleine de sérénité et de douceur.


Par la suite, Alexandra alterne entre le ténor et le soprano, entre interventions atmosphériques pour contribuer à l'élaboration collective de la masse sonore et solos plus intenses où elle prend clairement le discours à son compte et se pose en leader le temps d'un instant. Ce n'est jamais très long - on la sent plus dans une démarche collective que dans l'expression d'une singularié - mais c'est toujours magnifique. Elle a une qualité vraiment inédite dans l'expressivité, aussi bien au ténor qu'au soprano, qui réussit à allier les contraires apparents du feu et de la glace. Son attachement au silence, à n'intervenir que quand c'est nécessaire, me frappait déjà en 2006 (à l'époque où je l'avais interviewée pour Citizen Jazz et où je notais déjà ce point). Elle n'a pas changé d'approche depuis ce temps, mais a évidemment muri sa démarche, parfaitement maîtrisée à l'aide de ce nouveau trio. Au passage, il est intéressant de relire les deux autres interviews qu'Alexandra avait accordé à mes camarades citoyens, pour comprendre son évolution : en 2012 auprès de Laurent Poiget, et en 2020 auprès de Franpi Barriaux. 

Au cours du concert, la saxophoniste abandonne aussi un instant ses instruments pour tout simplement chanter des "songs of freedom" (si ma mémoire est bonne) de sa voix cristalline, qui a gardé quelquechose du grain de l'enfance. A un autre moment, elle approche un transistor qui grésille délicatement de son micro pour donner d'autres couleurs à la musique - mais toujours dans une sorte de clair-obscur qui brouille les contrastes. Ces partenaires d'un soir sont sur la même longueur d'onde. Yuko Oshima est plus percussionniste que batteuse, ne cherchant pas spécialement à "soutenir" le rythme mais plutôt à ponctuer le discours, intervenant comme coloriste. Jozef Dumoulin, quant à lui, définit l'ambiance générale des morceaux, leur donne leur assise, toujours avec une certaine économie de moyens. C'est délicat et un écrin parfait pour les chants d'Alexandra, à la voix, au ténor ou au soprano. Un beau concert qui me conduira nécessairement à continuer de tisser le fil de cette fidélité dans les années à venir.

Et, à propos de fil renoué, en sortant du Triton, j'entends mon nom hélé dans la rue : c'est Bladsurb, autre survivant blogueur, qui m'a reconnu bien que, là aussi, nous ne nous soyons pas croisés à un concert depuis un temps certain. 

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