Le concert de Maja Osojnik est le premier à se dérouler sur la grande scène du palais des congrès, il est donc précédé par le lancement "officiel" du festival par quelques personnalités locales (le maire de Saalfelden, un représentant du Land de Salzbourg, etc.). Après leur départ de la scène, Harald Friedl, qui officie comme le Monsieur Loyal du festival, à présenter brièvement les musiciens avant chaque concert, s'empare du micro et commence un discours où il vante les politiques culturelle et touristique de l'Autriche, capable d'accueillir 36 millions de visiteurs par an soit quatre fois la population du pays... mais incapable d'accueillir quelques milliers de réfugiés. Commencée sous la forme de l'auto-célébration, son intervention est en fait très mordante, rappelant l'exil des Autrichiens fuyant l'Anschluss en 1938 ou l'accueil des réfugiés hongrois fuyant la répression soviétique en 1956 à une époque où le pays, selon ses dires, était moins riche et moins bien organisé. Fortement applaudi, il appelle à une manifestation le lundi suivant à Vienne (on sait depuis qu'elle a réuni 20 000 personnes au moment des obsèques des victimes du "camion de la mort", première étape d'une prise de conscience de l'urgence de la situation, renforcée par la photo du petit Aylan une semaine après) et demande aux journalistes présents dans la salle de relayer son message.
La musique reprend ensuite ses droits, avec la présence d'une chanteuse d'origine slovène, résidente viennoise, qui m'était jusque là inconnue. Dans son groupe, je ne connaissais que la pianiste, elle aussi slovène, Kaja Draksler, auteure d'un formidable disque en solo paru chez Clean Feed en 2013 (The Lives Of Many Others), et, depuis la veille, la rythmique composée de Manu Mayr (elb) et Lukas König (dms) vus au sein de Kompost 3. Le groupe était complété par la violoncelliste américaine Audry Chen et le bassiste et électronicien autrichien Matija Schellander. La voix de Maja Osojnik est grave et son approche oscille entre le chant articulé, porteur de mots, et les feulements, râles et autres onomatopées renforcer par les effets électroniques. Elle échange des cris avec Audrey Chen dans un déluge de chansons bruitistes, souligné par les vives stridences tirées du violoncelle ou le piano préparé de Kaja Draksler. Très percussive dans son attaque de l'instrument, celle-ci sait néanmoins aussi - à la manière d'Eve Risser plus tôt dans la journée - déployer des passages tout en retenu, lui permettant de développer une mélodie majestueuse dans un long crescendo rythmique. Oscillant entre chant et cris, acoustique et électronique, rythme régulier et bruit aléatoire, le propos du groupe est émouvant, original et très varié. Une belle découverte.
Chris Lightcap et Chris Cheek |
Chris Lightcap's BigMouth, Congress, 20h30
C'était la première fois que je voyais en concert ce groupe déjà très apprécié sur disque. Cet ensemble à deux ténors - et pas n'importe lesquels avec Chris Cheek et Tony Malaby - développe un jazz baigné de mélodies pop avec ses thèmes chantants et une ambition narrative affirmée qui s'illustrent dans une progression claire, très lisible, des morceaux. La complémentarité des deux saxophonistes est idéale, Chris Cheek souple, relâché, héritier d'un certain cool, Tony Malaby plus souvent sur la brèche, in'n'out, poussant le son dans ses retranchements et capable d'une puissance envoûtante. A l'unisson ou en emmêlant leurs "voix", ils décuplent la force de mélodies d'apparence pourtant simple. Il faut voir Malaby se balancer d'avant en arrière, de droite à gauche, de haut en bas, les yeux écarquillés au cours de ses solos fiévreux, mais aussi quand il s'arrête de jouer, plongé dans l'écoute de ses partenaires, pour comprendre toute la force d'entrain de cette musique. Au piano et au wurlitzer, Matt Mitchell remplace Craig Taborn présent sur les disques du groupe. La tâche n'est pas aisée tant le jeu de Taborn sur les claviers est original et le parfait "dynamiteur" de cette approche pop. Aucune perte dans la cohérence du son d'ensemble n'est pourtant à déplorer et Mitchell relève aisément le défi, capable lui aussi de sortir des phrases distordues d'on ne sait où, perturbant juste ce qu'il faut la rondeur chaleureuse du wurlitzer. Gerald Cleaver (dms) et Chris Lightcap (cb) maintiennent le groove tout au long du concert, discrets mais diablement efficaces. Le groupe est rejoint sur un morceau par Andrew D'Angelo au sax alto pour renforcer encore un peu plus les effets d'enroulements multiples des lignes mélodiques des souffleurs. Effet ébouriffant garanti ! En rappel, comme pour affirmer de la plus simple des manières le lien qu'ils tissent entre pop et jazz, ils reprennent All Tomorrow's Parties du Velvet Undergound comme dernier sortilège. C'est certain, nous avons été envoûtés.
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