mardi 1 septembre 2015

Jazzfestival Saalfelden 2015, 1er jour, jeudi 27 août 2015

Cinq ans après ma première incursion, j'étais de retour cette année dans les Alpes autrichiennes pour l'un des festivals à la programmation la plus alléchante d'Europe. Le principe est le même qu'en 2010 : une programmation payante qui s'organise autour de deux salles et une programmation gratuite plus "grand public" sur la place de la mairie. Revue détaillée de la première, dont l'origine géographique des musiciens présents témoigne de l'existence de quelques places fortes du jazz contemporain : aux côtés des incontournables artistes américains, de nombreux suédois, norvégiens et français, ainsi qu'une belle représentation de la scène autrichienne et de ses voisines (Hongrie, Slovénie...). Et surtout, de nombreuses rencontres transnationales à l'heure où les drames qui touchent les réfugiés syriens (et d'ailleurs) nous rappellent la fragilité des valeurs auxquelles sont attachés ceux pour qui la notion de frontière ne prend tout son sens que dans son franchissement. Curieux télescopage, en effet, que ces festivités plus que jamais marquées par l'effacement des limites stylistiques et la découverte du camion de la mort sur une aire d'autoroute à l'autre bout du pays (j'y reviendrai, cela ne fut pas sans répercussion sur le festival).

Kompost 3, Kunsthaus Nexus, 21h30

La première soirée du festival se déroule dans la plus petite des deux salles (environ 200 spectateurs à vue de nez) et commence par un quartet local. Kompost 3 élabore une musique aux effluves 70s, tendance Miles électrique, avec la confrontation de la trompette de Martin Eberle, du rhodes (mais aussi de l'orgue Hammond ou du piano) de Benny Omerzell et de la rythmique tenue par Manu Mayr (elb, cb) et Lukas König (dms). Le jeu du claviériste est celui qui baigne le plus dans les références de l'époque quand la rythmique développe des grooves plus contemporains, interrompus par d'incessants breaks qui donnent un aspect délicatement bancal à l'ensemble. Les motifs rythmiques se succèdent ainsi sans relâche, semblent se fracasser les uns contre les autres, et définissent une succession d'ambiances qui vont de la simplicité entêtante de la pop aux distorsions électriques dignes du magma davisien, en passant par la puissance du rock. Au-dessus, Martin Eberle (trompette, trompette à coulisse, avec ou sans sourdine) semble planer, alternant les ambiances contemplatives et quelques saillies véloces pour mieux émerger de la masse sonore. Sans révolutionner le genre, le groupe offre une entrée en matière assez représentative des tendances contemporaines à se défier des frontières stylistiques que l'on retrouvera sous diverses formes tout au long du festival.


Georg Gräwe, Ernst Reijseger & Gerry Hemingway, Kunsthaus Nexus, 23h00

Ce trio germano-hollando-américain est le fruit d'une association au long cours puisque leur premier disque en commun (Sonic Friction, Hat Hut) date de 1989. On monte tout de suite d'un cran dans la musicalité, grâce à une profonde écoute mutuelle, qui permet à cette musique très improvisée de conserver toute sa fluidité durant l'heure passée ensemble. Le jeu du pianiste allemand s'apparente à une succession de pluies, diverses dans leurs approches rythmiques, mais conservant constamment un aspect très liquide. De la fine averse à l'orage, les mouvements très rapides des mains - souvent entrecroisées - définissent un climat changeant, mais toujours fruit d'un environnement tempéré. Ni sécheresse ni ouragan ici, le registre medium est privilégié, par le pianiste comme par ses acolytes. Ce choix des nuances intermédiaires dévoile une musique proche de la voix humaine, donnant l'impression d'un chant continu. Pas une succession de chansons, plutôt de timides fredonnements qui jouent avec les contours flous de mélodies ensevelies dans nos mémoires. Gerry Hemingway, à la batterie, au marimba et à l'aide d'autres sortes de percussions, développe une approche pointilliste, toujours délicate, laissant entrevoir des couleurs changeantes et entremêlées qui ne font sens pour l'oreille qu'avec un peu de recul. Il souligne à merveille la fraîcheur qui se dégage du piano de Georg Gräwe. Assis au centre, entre les deux autres, Ernst Reijseger utilise toutes les techniques possibles sur son violoncelle - archet, pizzicati, préparé à l'aide de pinces à linge, frappé sur le bois, ou joué à l'horizontal comme une guitare - sans qu'à aucun moment l'on ait l'impression que cela soit forcé ou démonstratif. Il reste au service du discours musical développé par le pianiste, répondant du tac au tac aux idées proposées - comme ce rapide passage en walking bass en écho à quelques furtives mesures de blues au mitan du concert. En trois longues suites, ce trio démontre toute l'étendue de la magie du langage improvisé quand il s'appuie sur une longue amitié qui se joue des contraintes d'origine géographique.

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