Les all-stars font peur. La musique peut-elle survivre à l'alignement de noms prestigieux ? Le groupe réuni par Portal pour son plus récent disque (Baïlador, pas encore écouté) ressemble furieusement à un all-stars. La musique ? Elle jaillit comme si ce groupe avait déjà une longue existence commune. Avec une tournée commencée seulement la veille à Metz et des sessions de studio qui n'ont pas dû être très nombreuses, il y a un petit côté miraculeux.
Tout commence par quelques notes de guitare aux sonorités sahéliennes. Lionel Loueke, isolé sur la droite de la scène, égraine une sorte de blues ouest-africain qui hésite entre électricité et sécheresse acoustique. Il s'accompagne de percussions vocales qui installent progressivement une polyrythmie bancale mais prenante. Jack DeJohnette le rejoint pour densifier le propos percussif. Il se coule parfaitement, tout au long du concert, dans ces rythmes africains revisités, inventant un fantasme de jazz panafricain débordant du continent noir, vers la Méditerranée, vers l'Argentine, vers Cuba. Il est le moteur permanent de cette musique basée avant tout sur la richesse rythmique. Il est celui qui définit les couleurs des morceaux plus que tout autre. Les autres apportent les nuances, lui décide du climat. Lui qui a proposé à Portal de remonter un projet commun des années après leur précédente collaboration semble habité par la musique du basque, particulièrement démonstratif de sa joie de jouer et d'être là face à un public nombreux.
La (bonne) surprise de ce groupe, c'est la présence d'Ambrose Akinmusire à la trompette. Le jeune new yorkais d'origine nigériane n'est pas un inconnu. On a déjà eu l'occasion de l'entendre, alors tout juste la vingtaine, aux côtés de Steve Coleman au début des années 2000. Mais depuis, il s'était fait discret. Le retrouver là, dans un contexte assez éloigné des fortes structures colemaniennes, incite tout d'abord à la curiosité. Il ne faut pas longtemps pour comprendre tout son apport au groupe. Sa sonorité est particulièrement limpide, même dans les tempos rapides qui ne manquent pas. Lors d'un solo, sur un morceau aux couleurs latines, il retient particulièrement l'attention. Solaire, il irradie doucement la musique jusqu'à sembler en calmer le rythme pour atteindre la sérénité. Il évoque alors étrangement la majesté que sait donner Abdullah Ibrahim à son piano. Ne se contentant pas de jouer la musique de Portal, il y apporte une personnalité musicale déjà affirmée.
Si Bojan Z, qui étend lui la musique vers le nord-Sahara, est au piano et au rhodes l'architecte du groupe (il a choisi les musiciens pour Portal, et son jeu sert avant tout de support à l'ensemble), on reconnaît partout la patte du basque, notamment dans des mélodies clairement identifiables. Si la plupart des morceaux sont récents (mis à part un traditionnel Solitudes repéré vers la fin du concert), on a le sentiment d'être en terrain extrêmement familier. Trop ? Le risque existe, mais l'originalité des couleurs rythmiques permet au besoin de surprise d'être comblé.
Les bons, voire très bons, moments abondent. Scott Colley, qu'il serait injuste de maintenir dans l'ombre - relative - de sa notoriété et de son rôle de maintien du groove, y est pour beaucoup. Il retrouvait pour l'occasion Bojan Z, avec qui il avait gravé ce qui reste le meilleur disque du pianiste bosniaque à mon goût (Transpacifik, Label Bleu, 2003). Il assure le lien permanent entre les différents ingrédients rythmiques qui émanent du piano, de la guitare et de la batterie, les couleurs jazz, latines et africaines. Il est une indispensable colonne vertébrale, transformant ce rôle parfois ingrat en autant d'occasions de nuancer le propos, d'insuffler un peu de douceur et de retenue dans la profusion apparente des morceaux. C'est néanmoins sans lui, seul face à Lionel Loueke, que Portal choisit de dévoiler dans toute sa simplicité les contours fragiles d'une mélodie chuchotée à la clarinette basse. Nichée au cœur du concert, elle est le joyau dépouillé d'un riche écrin rythmique.
A la fin, pour le second rappel, Portal est laissé seul en scène par ses camarades de jeu. Dejarme solo ! proclamait l'un de ses disques il y a trente ans. Il maîtrise l'exercice. Il empoigne sa clarinette basse et sert une version expressive, passant par tous les sentiments possibles, de son "tube" Mutinerie. La conclusion idéale.
A lire ailleurs : Klari, Bladsurb.
A voir : le concert sur Arte Live Web.
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1 commentaire:
je l'ai vu en live et en direct sur le net ! la prise de son et les images étaient superbes !
Bladsurb en a fait également une chronique !
Dans la foulée, j'espère une collaboration BojanZ / Dejohnette... j'ai l'impression qu'ils ont l'air de s'entendre ?
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