vendredi 15 mars 2024

Ann O'aro @ Studio de l'Ermitage, jeudi 14 mars 2024

C'est la troisième fois en l'espace de quelques mois que le maloya s'invite dans mes chroniques. Après Wati Watia Zorey Band et Lagon Noir (avec, déjà, Ann O'aro au chant) à Nanterre en décembre, puis le Discobole Orchestra avec Christine Salem au Studio de l'Ermitage début février, les rythmes réunionais étaient donc cette fois-ci ceux du quartet d'Ann O'aro, à l'occasion de la sortie de son troisième album, Bleu (Cobalt, 2024). Pour commencer, la chanteuse monte seule sur scène et s'assoit au piano. La principale nouveauté de ce troisième opus, c'est en effet l'ajout du piano comme "medium d'expression de ses émotions", retour vers un instrument appris pendant l'enfance puis un peu délaissé par la suite, comme elle l'expliquera au cours du concert. Elle y deploie des mélodies simples, tout en flux et reflux, comme un écho des vagues de l'océan Indien qui borde son île, transfigurées par son chant profond, essentiellement en créole, occasionnellement en français. 


Comme souvent avec Ann O'aro, les thèmes qu'elle aborde n'ont rien de léger. Cette fois-ci elle y évoque la veillée d'un mort ou les cancrelats qui tombent dans l'eau à travers les trous d'un vieux pont au bois pourri. Elle rappelle avec humour, mais non sans noirceur, qu'elle avait sous-titré la tournée qui accompagnait la sortie de son premier disque, Ann O'aro (Cobalt, 2018), "Ann O'aro, entre inceste et convivialité". Le thème des violences sexuelles est certes moins présent qu'au début - mais son chant semble toujours habité d'une part d'exorcisme cathartique, comme pour transformer les douleurs d'hier en paroles réparatrices - à la fois par la mise à distance qu'elles permettent, et par le mariage avec la musique qui entraîne le corps vers une extériorité plus positive. 


Pour l'accompagner, on retrouve ses deux complices qui étaient déjà présents sur son disque précédent, Longoz (Cobalt, 2020), Teddy Doris au trombone et Bino Waro aux percussions. Le groupe est désormais complété par Brice Nauroy aux machines. Sa présence, et celle du piano, densifient et diversifient les climats parcourus. Effets dubs ou boucles samplées en directes permettent de jouer avec une matière sonore bien souvent en ébulition - chant intense d'Ann O'aro, solos rutilants de Teddy Doris, rythmes variés entre percussions traditionelles et batterie de Bino Waro. La piano n'est pas toujours présent - la chanteuse alterne les morceaux au chant seul et ceux où elle s'accompagne. Les machines non plus. On retrouve par conséquent parfois les ambiances minimalistes, comme nues jusqu'à l'os, du trio qui officiait seul sur Longoz. Pour mieux en prendre le contrepied par la suite. Pour le rappel, pour "calmer le public" dit-elle, Ann O'aro chante un morceau a capella, alors que ses camarades sont restés sur le côté, hors scène. Pas certain que l'intensité qu'elle met dans son chant ait un effet si appaissant. Plutôt saisissant. De beauté. 

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