lundi 20 mai 2013

Anne Teresa De Keersmaeker - Elena's Aria @ Théâtre de la Ville, vendredi 17 mai 2013

Je n'avais pas chroniqué de spectacle de danse depuis près de trois ans. Le dernier à avoir eu les honneurs de ce blog était déjà, sans surprise, signé ATDK. Clin d’œil supplémentaire, dans la carrière de la chorégraphe flamande, Rosas danst Rosas (1983) précède Elena's Aria (1984).

Alors que seul l'avant de la scène apparaît devant un grand rideau métallique, Fumiyo Ikeda, qui était déjà de la création il y a trente ans, la parcourt de gauche à droite, allume une lampe, sort un livre d'un tiroir, s'assoit sur une chaise et se met à lire, en français, une lettre de Tolstoï. Celle-ci évoque la douleur liée à l'absence de l'être cher. Mais les mots de l'écrivain russe, qui seront répétés à la fin, entrent aussi en résonance avec l'absence de musique qui marque l'essentiel de la pièce. Comme si la narratrice était la danse elle-même, regrettant de n'être que la moitié d'elle-même sans le soutien de la musique.

Le silence enrobait déjà le premier mouvement de Rosas danst Rosas. Dans un mouvement de radicalisation - ressurgi dans certaines pièces récentes d'ATDK - il semble avoir pris possession de l’œuvre toute entière dans Elena's Aria. Des airs d'opéra émergent pourtant parfois du silence tout au long de la pièce, mais joués à un niveau sonore très faible, proche du murmure. Le volume sonore n'ira crescendo qu'à la fin du spectacle, pour faire entendre une sonate de Mozart, loin de la musique minimaliste qui marquait les premières créations de la flamande.

Elena's Aria est apparue comme une pièce de rupture dans le parcours d'ATDK. Avec trente ans de recul, on trouve pourtant une grande logique dans l'enchaînement avec ses travaux précédents. On retrouve, en nombre, les chaises de Rosas danst Rosas, les accessoires (talons, robes) et les gestes de féminité répétés de manière mécanique. Le travail de phasage / déphasage hérité de sa confrontation avec la musique de Steve Reich permet lui de créer un rythme interne à la danse, sans soutien explicite de la musique. Toutefois, on sort ici de la logique du cycle pour entrer dans celle de la désynchronisation. On voit ainsi souvent une danseuse seule sur le cercle de craie tracé au centre de la scène pendant que trois autres glissent d'une chaise à l'autre au fond, et que la cinquième attend son tour assise sur le côté. Il ne semble ainsi pas y avoir, pendant les deux premiers tiers de la pièce, de logique d'ensemble, comme si chacune des cinq danseuses était laissée libre - ou désemparée - face à elle-même.

La répétition des mêmes figures et des mêmes gestes par toutes les danseuses tour à tour laisse néanmoins entrevoir un langage commun qui permet de déboucher sur des mouvements collectifs alors que la musique a, enfin, raison du silence sur la fin du spectacle. Le collage de textes (outre Tolstoï, Dostoïevski et Brecht), d'images (film d'immeubles s'écroulant), et de sons (airs d'opéra, discours de Che Guevara) qui compose la pièce ne permettait pas aux danseuses de trouver une direction. Celle-ci ne leur est dévoilée qu'à la fin, à l'aide de la sonate de Mozart. Triomphe de l'harmonie classique sur une réalité contemporaine fragmentée.

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