Mardi dernier La Dynamo nous offrait la possibilité d'entendre deux saxophonistes européens, le Belge Robin Verheyen et l'Allemande Ingrid Laubrock, à la tête de groupes aux couleurs résolument new-yorkaises. Mais, au-delà de ce point commun de départ, la musique des deux soufflants n'a pas grand chose à voir.
Je découvrais pour l'occasion Robin Verheyen (soprano et ténor). D'allure sage, presque studieuse, il propose un discours appliqué, toujours très lisible. Accompagné par Russ Johnson à la trompette, Drew Gress à la contrebasse et Jeff Davis à la batterie, il élabore une musique qui sonne en effet très new-yorkaise, sans doute abreuvée par la fréquentation assidue des clubs de la grosse pomme. On se situe en plein dans cette esthétique réformiste, post-bop, qui continue d'être le cœur du jazz new-yorkais d'aujourd'hui - même si on peut lui préférer ses marges. Cette musique, trop athlétique à mon goût, repose en fait essentiellement sur la personnalité de ses solistes. Et, s'il en maîtrise parfaitement tous les codes, on cherche un peu en vain dans la musique de Robin Verheyen une épaisseur, une singularité dans le discours, qui ferait apparaître son originalité. Lui et Russ Johnson enchaînent les solos, vifs, démonstratifs, maîtrisés de bout en bout, sans que l'émotion - souvent procurée par le décalage - ne se fasse jour. Cette musique bien exécutée nous laisse finalement de marbre, extérieur à elle le plus souvent.
Rien de tel avec le groupe d'Ingrid Laubrock que j'avais déjà eu l'occasion de voir au festival de Saalfelden en 2010. Ici pas de solo démonstratif. Pour tout dire, cette musique semble même s'interdire les solos et lui préférer les combinaisons perpétuellement recomposées, de duos en trios, de quartets en quintet. Multipliant les angles d'attaque, elle est constamment changeante, jouant sur la science des décalages de Kris Davis (piano claudiquant dans la lignée d'Andrew Hill, pas si éloigné des paysages lunaires de Benoît Delbecq) et de Mary Halvorson (guitare acidulée aux effets électrisants toujours contenus). Les trois filles mènent un discours particulièrement riche, aux voix entremêlées, jouant au chat et à la souris au cours de compositions labyrinthiques qui finissent toujours par retomber, comme par magie, sur leurs pieds. A Saalfelden, l'utilisation du glockenspiel par Tom Rainey donnait une couleur singulière - fantomatique et enfantine - à de nombreuses compositions. Cette fois-ci, Rainey se contentait de la batterie, même si avec lui le terme "contenter" ne fait pas vraiment sens. Du coup, l'approche était assez différente de mon souvenir, jouant beaucoup plus sur la superposition des discours, et de ce point de vue, la maîtrise polyrythmique de Tom Rainey fait des merveilles. La densité de ses interventions ne se fait jamais encombrante, mais juste ce qu'il faut enveloppante pour faire décoller l'ensemble. Le quintet était complété par Sean Conly à la contrebasse, peut-être un peu plus en retrait que ses acolytes, mais auteur de quelques belles passes d'arme avec Rainey néanmoins (il faut dire qu'il n'est pas le bassiste habituel du groupe, le rôle étant normalement tenu par John Hébert). Contrairement à la première partie, la musique développée par Ingrid Laubrock avec ce groupe fait clairement apparaître une singularité, qui sait se nourrir des caractéristiques propres des personnalités qui l'entourent (Kris Davis, Mary Halvorson, Tom Rainey, dont on connaît et apprécie l'originalité dans de nombreux contextes), sans pour autant s'y résumer. Si elle ne se met pas particulièrement en avant - pas d'intervention flamboyante de sax hero - Ingrid Laubrock brille par sa science de la composition et sa façon d'agencer l'écrit et l'improvisé. Et c'est vraiment prenant : impossible de rester extérieur, on est absorbé et fasciné par la musique.
A lire ailleurs : Franck Bergerot.
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