John Hébert tient à son accent aigu. Le contrebassiste explique entre deux morceaux que sans lui on le prend, même ici en France, pour un Allemand. Or John Hébert est cajun. S'il ne parle pas ce français coloré d'outre-atlantique, il cite en revanche à plusieurs reprises des mélodies traditionnelles dans sa musique. Le premier morceau voit ainsi s'enrouler les saxophones de Michael Attias (alto) et Tony Malaby (ténor et soprano) autour de la voix samplée d'une vieille acadienne qui chante La reine de la salle. On est néanmoins loin d'une approche revivaliste. Les quelques samples utilisés au cours du concert surgissent au cœur de l'improvisation comme les fantômes d'une mémoire engloutie, aussitôt ingurgités et transfigurés par les musiciens sous de nouvelles formes. Cet aller et retour entre racines et improvisation est au centre des attentions du "Byzantine Monkey", surnom surréaliste que le contrebassiste a hérité de sa femme. Michael Attias précisera après le concert que le traitement libre des formes proposées par Hébert est le même qu'il s'agisse d'un sample ou d'une composition originale. Chacun des musiciens prend en compte les informations qu'il reçoit pour les incorporer à son langage, sa fantaisie du moment, et construire avec les autres un dialogue autour de ce sujet commun. Pour brouiller encore un peu plus les pistes entre folklores et modernité, Tony Malaby insiste lui sur la nature folklorique new-yorkaise de leur musique. Les sons de la Big Apple qu'ils perçoivent de leurs appartements sont indissociables de leur langage sur l'instrument et la concentration de jazzmen réunis à New York leur permet un échange fructueux, impossible ailleurs, qui participe de la création d'une musique authentiquement new-yorkaise.
Poussé par les souffles entrelacés des deux saxophonistes, la musique fait aussi la part belle à une paire rythmique très chantante. L'absence d'instrument harmonique laisse beaucoup de place au jeu mélodique du leader. C'est lui qui le plus souvent cite les chansons traditionnelles avant que les saxophones n'en fassent leur terrain d'exploration. La plasticité de son jeu et sa large palette sonore captivent comme peu de contrebassistes peuvent le faire. On avait déjà eu l'occasion de l'apprécier aux côtés d'Andrew Hill (pour son dernier concert parisien) ou plus récemment avec Mary Halvorson. Il ajoute à son arc un rôle de compositeur-aiguilleur particulièrement riche, original dans le matériau traité, enthousiasmant dans la forme qu'il prend. A ses côtés, le batteur Satoshi Takeishi met à profit sa science percussive (on le croise plus souvent percussionniste que pur batteur), et fait notamment des merveilles lors d'un passage à main nues, produisant autant de la chanson que du rythme dans ses interventions. La dimension sonore du groupe - concentrée mais dégageant une énergie rayonnante - doit bien entendu beaucoup à l'aura des deux souffleurs. On connaît la fougue toujours sur la brèche de Malaby, on découvre sur scène les subtils sinuosités d'Attias à l'alto. L'entrelacement des lignes des deux saxophonistes fait décoller à plus d'une reprise la musique. Car, s'ils excellent bien entendu comme solistes, c'est par la conjugaison de leurs forces qu'ils créent l'identité sonore de Byzantine Monkey. Au cœur du jazz contemporain, du folklore new-yorkais, et pourtant diablement différente des autres formes qu'il peut prendre aujourd'hui.
Comme la veille, les caméras d'Arte Live Web étaient présentes pour conserver un petit souvenir.
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