Après une première série de concerts fin octobre, parmi lesquels celui de Wayne Shorter à Pleyel, la Cité de la Musique propose ces jours-ci une deuxième série pour accompagner l'exposition We Want Miles. Parmi tous les concerts proposés, je remarque que les deux pour lesquels j'ai pris des places sont les deux seuls à ne pas compter de trompettiste parmi leur distribution. Comme si l'absence de trompette était le gage d'un hommage moins direct, s'autorisant des chemins de traverse, plus à même de faire ressortir l'originalité de la musique du mage noir, au-delà de toute tentation imitative.
Avant d'assister au concert, je profite de la fin d'après-midi pour visiter l'exposition. Certes, je n'y apprends pas grand chose, mais l'élégante scénographie et la présence de documents aux supports variés permettent de passer un très agréable moment. Des tableaux de Basquiat en hommage à Bird côtoient ainsi un saxophone ayant appartenu à Coltrane (se retrouver devant provoque une petite émotion). De magnifiques photos incarnent la - nécessairement - superbe bande son, parfois projetée dans des mini-salles dédiées à un album ou une période, parfois en écoute sur des bornes via un casque remis à l'entrée, parfois accompagnant la projection sur grand écran de films de concert (ingénieuse multiplicité d'approche). Le second quintette filmé en Allemagne en 1967 et le concert de l'Île de Wight en 1970 retiennent tout particulièrement mon attention. On révise sans en avoir réellement besoin, les semaines sans Miles sur ma platine étant rares. On déambule en s'attardant sur les documents sonores qui ne proviennent par d'un support discographique commercialisé. On est ému par le "tunnel" sombre qui figure le silence de la seconde moitié des années 70 et où résonne He loved him madly, requiem pre-ambient dédié à Ellington, avant de déboucher sur une salle au jaune clinquant qui évoque la renaissance pop et choc de la décennie suivante. En deux heures, on a traversé quarante-cinq années qui ont marqué, et changé à plusieurs reprises, l'histoire du jazz. Et c'est peut-être dans le manque de contextualisation par rapport aux autres incarnations contemporaines de cette musique que l'exposition trouve ses limites. Sans perdre de vue la centralité de Miles, il aurait pu être intéressant de voir évoluer en parallèle les autres formes de jazz, et le positionnement relatif de l'oeuvre davisienne dans un univers tout aussi changeant que lui.
Pour évoquer son passage chez Miles (1972-74), Dave Liebman a assemblé un groupe au line-up alléchant. Badal Roy aux tablas, autre échappé des longues dérives funk de ces années-là aux côtés du trompettiste. John Abercrombie à la guitare qui, s'il ne faisait pas partie des groupes de Miles, a partagé la scène et le studio avec Liebman à la même époque. Et trois musiciens français connus pour leur approche gourmande et généreuse de la musique sous toutes ses formes : Andy Emler aux claviers, Linley Marthe à la basse et Eric Echampard à la batterie. Si le concert est présenté comme un hommage à On The Corner, le matériau utilisé ne provient pas seulement des séances de juin 1972 qui se retrouvèrent sur le disque, mais plus largement de la musique organique qui alimentait les concerts d'avant la descente aux enfers de la fin des années 70.
Liebman mène la troupe, indique de quelques gestes de la main les orientations à suivre, les solos à prendre, et intervient lui-même avec puissance et rage, le plus souvent au soprano. Pour l'occasion, il a remis le bandana des années hippies. On le sent pleinement investi dans une musique qu'il, dira-t-il à la fin, n'avait plus jouée depuis qu'il avait quitté Miles. Au petit jeu des solos et de l'impact individuel de chacun sur le groupe, Eric Echampard se distingue tout particulièrement. Il dévore avec un appétit non feint la profusion rythmique qui marquait la musique du trompettiste à cette époque. On retrouve avec bonheur les inflexions particulières qui donnaient à On The Corner vingt ans d'avance sur l'explosion des musiques électroniques. La démarche d'ensemble n'est cependant pas mimétique, et les développements proposés fonctionnent heureusement plus à l'écho qu'à la transcription.
A la fin du concert, Claude Carrière vient remettre les insignes d'officier dans l'ordre des Arts et des Lettres à Dave Liebman. Le temps de quelques remerciements, et les musiciens retournent sur scène pour conclure la soirée avec une ouverture vers la renaissance des années 80 en reprenant le thème de Jean-Pierre : dodo, l'enfant do... Miles, musique de la douceur nocturne même au coeur de la furie électrique.
Le concert sera bientôt disponible en vidéo sur Arte Live Web.
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