Nouvelle saison, nouveau blog, mais vieilles habitudes. Après deux mois vierges de toute représentation, je retrouve les plaisirs de la scène grâce à Jazz à la Villette. Et comme un joli symbole circulaire, ma saison 2008-2009 s'ouvre, comme elle se conclura, sur la présence de la compagnie Rosas d'Anne Teresa De Keersmaeker à Paris.
Hier soir, trois œuvres aux confluents du jazz, de l'Inde et de la danse se faisaient écho sur la grande scène de la salle Charlie Parker de la Grande Halle. Tout d'abord, Salva Sanchis a proposé une improvisation sur une musique d'Archie Shepp accompagné de deux musiciens indiens : Paban Das Baul au chant (tradition bengalie), percussions et dotara (une sorte de luth), et Mimlu Sen aux percussions. Après une longue introduction minimaliste aux clochettes et chapelets de ferraille, où le danseur semble chercher ses marques, Shepp, au seul soprano, entame un discours un peu plus dense. L'ensemble reste quand même dominé par une certaine économie, de gestes et de notes, faite de bribes successives d'éléments disparates réunis par un même vocabulaire. Comme des phrases, dénuées de connexions logiques, lancées à l'aveugle, mais tout de même fruit d'un style bien défini. Lorsque Paban Das Baul se met à chanter, vers la moitié du morceau, une unification par le blues - a very kind of blue - de la musique s'opère. Salva Sanchis accélère alors ses mouvements, densifie son propos et laisse entrevoir un rapport au jazz plus libéré qui fera sens un peu plus tard dans la soirée.
Autre solo ensuite, mais sur une musique enregistrée cette fois-ci. Sur une chorégraphie de Sanchis, Anne Teresa De Keersmaker laisse parler sa grâce au son du "Raag Khamaj" interprété par le maître de la flûte bansuri, Hariprasad Chaurasia. Sur une fine raie de lumière parallèle au bord de la scène, qui la parcourt de gauche à droite, la chorégraphe flamande unit son propre vocabulaire à celui légèrement moins économe de Sanchis et à quelques légers clins d'œil à la tradition indienne. Vêtue d'une simple robe blanche, baignée d'une lumière qui impose son jeu de couleurs minimaliste, précise et directe dans ses gestes, la danseuse dégage l'air de rien une forte dose d'érotisme. Ponctuée de déséquilibres vite contrôlés et de quelques déhanchements suggestifs, la danse d'Anne Teresa De Keersmaeker est finalement sûre d'une force qu'on qualifierait volontiers de tranquille si l'expression n'était autant usée.
L'attraction principale de la soirée en était aussi sa conclusion : la reprise de la chorégraphie pour quatre danseurs d'Anne Teresa De Keersmaeker et Salva Sanchis sur "A Love Supreme" de Coltrane. La rencontre de Trane et d'A.T.D.K. était attendue, porteuse d'angoisse aussi face au choc possible de deux montagnes inconciliables, mais finalement superbe. La force de la flamande, pour servir cette musique, c'est justement de se concentrer, comme à son habitude, sur la musique, sans chercher à s'en servir comme prétexte à la diffusion d'un message forcément réducteur. Symphonie en quatre mouvements pour quartet de jazz, la danse s'offre alors comme la transposition par quatre corps interposés des émotions et de la beauté de la musique. Il y a nécessairement - c'est une marque de fabrique Rosas - une correspondance entre chacun des danseurs et un instrument : Moya Michael s'empare des rondeurs de la contrebasse de Jimmy Garrison, Salva Sanchis déploie son énergie sur les harmonies percussives du piano de McCoy Tyner, Igor Shyshko sert le feu rythmique de la batterie volcanique d'Elvin Jones, et enfin la merveilleuse Cynthia Loemij s'élève portée par l'amour suprême du prophète du ténor. Pourtant, cette identification n'est pas systématique, il y a des nombreux décalages, déphasages et recompositions dans les passages de groupe ou en duo, comme si un vent d'énergie au bord de la rupture s'insinuait dans un vocabulaire chorégraphique patiemment construit depuis plus de vingt-cinq ans. Les solos qui ouvrent chaque mouvement sont d'intenses moments de danse (mention spéciale à Moya Michael et Igor Shyshko), mais c'est le final, sur le "Psalm" récité par le ténor de Coltrane, qui reste le plus frappant. Irriguée de références iconographiques chrétiennes (crucifixion, descente de croix, pietà, mise au tombeau, résurrection et finalement "Ascension"), la chorégraphie est alors illuminée par la beauté suprême de Cynthia Loemij, une danseuse définitivement hors normes. C'est d'ailleurs sur un de ses solos que tout se termine. Dans le dénuement et l'apaisement serein des grands mystiques.
A lire ailleurs : Un Soir Ou Un Autre.
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6 commentaires:
Très belle soirée en effet, illuminée par l'extraterrestre Cynthia Loemij.
Longue vie à Native Dancer, 3e incarnation virtuelle artistique de Damien (y en a-t-il eu plus ?).
Changement de décor et de skin...
Mais on suit toujours tes cpte rendus de concerts et pestacle !
Oh, mais c'est c'est joli chez vous !
Merci pour l'accueil ! Je devrais ouvrir des nouveaux blogs encore plus souvent.
Pour dolphy00, oui c'est ma troisième incarnation. La route du Nirvana est encore longue...
Salut Damien,
Alors j'ajoute cette nouvelle peau à google reader pour suivre tes actualités.
à bientôt,
S.
On se croisera peut être jeudi au Théatre de la Ville pour "Pitié"...
Je viens de pousser un coup de gueule en réaction à la façon dont une presse annonçait la piece d'Alain Platel:
http://www.unairdetheatre.com/forum/discussions-generales/2116-scandale.html
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