Pourquoi j'aime autant le jazz ? La raison se trouve sans doute quelque part dans le concert donné par le Pentacle de Sophia Domancich hier soir au Triton. Je n'ai pas chroniqué grand chose des derniers concerts auxquels j'ai assisté. Parfois par manque de temps, mais aussi en raison d'une série de déceptions qui pourraient toutes avoir pour point commun de trop fortes concessions au langage du rock. Cette succession de concerts au goût d'inachevé avait eu comme conséquence paradoxale de me conduire à réécouter principalement du jazz américain des années 50-60, abandonnant temporairement les "fusions" contemporaines. En puisant à la source, et grâce à son talent d'écriture et d'arrangement, Sophia Domancich m'a redonné goût au jazz live hier soir. Un peu paradoxal quand on connaît le goût de la pianiste pour le rock progressif. Mais c'est sans doute ce qui fait tout le charme de la situation.
J'avais vu une première fois Pentacle à la Cité de la Musique en 2003, lors de la parution de leur premier disque, chez Sketch. Une très belle musique, mais dans une salle peu réceptive, sans doute trop grande. Il s'agissait en plus d'une première partie. La sensation d'être face à un joyau dans un écrin disproportionné avait un peu gâché le plaisir, réel.
Quatre ans après, le cadre est très différent. Sophia Domancich est un peu chez elle au Triton. La salle des Lilas l'accueille cette année en "Quarte Blanche" et elle est une fidèle de ce lieu à la programmation axée sur le jazz et les musiques progressives, un peu comme elle. De plus, en étant seul à l'affiche ce soir, Pentacle a pu parfaitement construire sa prestation. Deux sets, sept morceaux et un rappel reprenant le thème inaugural de la soirée. Idéal d'équilibre et d'élégance. Le premier set organisé comme en miroir, débute par Triana Moods, titre du récent deuxième disque du groupe, et s'achève sur En el barrio de Triana, en référence commune au quartier sévillan. Entre ces deux escapades andalouses, Vestiges, un morceau tiré de leur premier disque. Le deuxième set s'ouvre lui sur le magnifique Creole Blues de Duke Ellington et se termine par une déchirante Lonely Woman d'Ornette Coleman. Entre les deux standards, deux compositions de Sophia : le majestueux Funerals et l'explosif Monkey business. Un sens de l'architecture qui donne à l'ensemble un caractère d'oeuvre en tant que tel, et non de succession de morceaux. D'autant plus qu'on y retrouve toujours, sur les standards comme dans les compositions, un goût du jeu collectif irrigué de références au langage jazz de la grande époque (années 40 à 60). On pense souvent à Mingus et à son jazz workshop flamboyant. Les ambiances andalouses du premier set évoquent le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden. Il y a du Carla Bley en Sophia Domancich. Au piano, elle agrémente son jeu d'accords soul, blues ou churchy, comme baignés par les eaux du Mississippi. Une dette envers Ellington, un goût pour les libertés des sixties. Jean-Luc Cappozzo à la trompette et au bugle et Michel Marre à l'euphonium ne sont que deux mais sonnent comme un magnifique ensemble de cuivres, à la palette expressive particulièrement large. La Méditerranée n'est jamais loin, la part ludique d'un certain free non plus. Ils sont de vrais coloristes, solaires comme une toile de Picasso. Simon Goubert à la batterie a le jeu juste en fonction des ambiances des morceaux. Un air de fanfare par là, joyeuse à l'espagnole, majestueuse à la néo-orléanaise, un swing attachant ici, de la tradition aux explosions libertaires. Et puis, il y a Claude Tchamitchian à la contrebasse. Toujours aussi formidable. J'ai une grande admiration pour lui. Il y a dans son jeu un mélange parfait de joie, de colère, d'élans furieusement free et d'attachement aux couleurs de son instrument. Son jeu à l'archet sur la version en trio avec Sophia Domancich et Michel Marre du Creole Blues était à pleurer de bonheur et de beauté. Mais, encore une fois, Pentacle n'est pas une association de solistes, mais bien un groupe à l'oeuvre maîtrisée, cohérente, collective. Une des plus belles expressions du jazz à l'heure actuelle en France. Un héritage bien vivant.
Two organ duets
Il y a 3 heures
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