La dernière soirée du festival Sons d'hiver voyait se succéder sur scène deux musiciennes issues de la scène folk américaine - même si leur musique est loin de s'y résumer - dont les parcours se sont souvents croisés. Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'au milieu du concert de Rhiannon Giddens, celle-ci congédie un instant ses musiciens, pour chanter en duo avec Leyla McCalla, juste accompagnées par le banjo de cette dernière, une chanson traditionnelle haïtienne, "Manman Mwen". Ni qu'elle fasse revenir sa consoeur pour le rappel, afin d'interpréter deux chansons de la "godmother of rock'n'roll", Sister Rosetta Tharpe. De folk songs haïtiennes aux sources du rock'n'roll, ces deux moments illustrent le large spectre d'ambiances parcourues pendant la soirée.
En première partie, Leyla McCalla, violoncelle, banjo ou guitare selon les morceaux, se présente accompagnée de Louis Michot au fiddle et Corey Ledet à l'accordéon. Les trois chantent tour à tour selon les morceaux et explorent les rythmes traditionnels de la Louisiane, où ils résident tous. Mais plus versant cajun et rural que jazz et urbain. Les rythmes du zydeco et les paroles en français louisianais entrent néanmoins en résonnance avec les tambours caraïbes et le kreyol ayisyen, puisque Leyla McCalla explore par la même occasion l'héritage musical de l'île dont ses parents sont originaires. Pour ce concert, le trio est ainsi renforcé pendant une partie du set par deux percussionnistes haïtiens de Paris, Claude Saturne et Kebyesou. Je préfère d'ailleurs quand la musique tire vers le côté haïtien, sans doute en raison d'un goût forgé par quelques décénies de fréquentation assidue des musiques de l'Amérique noire. C'est un vrai plaisir, par exemple, de pouvoir entendre sa version de la célèbre chanson traditionnelle "Mèsi Bondye" tout en retenue instrumentale et intensité vocale. Si la démarche de Leyla McCalla fait écho à celle de Sélène Saint-Aimé, entendue un peu plus tôt dans la semaine, le résultat s'en distingue par la part du patrimoine louisianais qu'elle choisit de mettre à l'honneur - violon et accordéon sonnent il est vrai bien différemment des cuivres rompus aux marching bands. Mais, quand pour le rappel, ils entamment un blues, on prend conscience des racines communes à toutes ces musiques, blanches ou noires, rurales ou urbaines, cadiennes ou créoles : africaines et européennes. Américaines.
Rhiannon Giddens part d'un terreau commun, celui des folk songs du Deep South américain. Elle s'est ainsi d'abord fait connaître avec le groupe Carolina Chocolate Drops (auquel Leyla McCalla a également participé) qui revisitait la part noire de cet héritage populaire. Depuis qu'elle a entamé une carrière sous son seul nom, il y a une dizaine d'années, elle maintient bien vivant cette tradition, mais ne se contente plus des racines et s'intéresse aussi aux multiples feuilles engendrées par le grand arbre de la musique populaire américaine. On navigue ainsi, selon les morceaux, entre des formes diverses, parfois au plus proche de la tradition, à d'autres moments plus ouvertes sur une rythmique pop plus actuelle, voire vers des sonorités venues d'ailleurs comme en témoigne la reprise d'un forro d'Hermeto Pascoal. La voix de Rhiannon Giddens, puissante et soulful, se promène à travers ces diverses ambiances et sert des textes souvent engagés, à propos de l'esclavage, des luttes sociales, des rapports hommes-femmes. Elle est accompagnée par un groupe de multi-instrumentistes qui permet une adaptation continue aux ambiances changeantes du répertoire : Francesco Turrisi, accordéon et claviers, Niwel Tsumbu, guitare, Dirk Powell, banjo, guitare et claviers, Jason Sypher, contrebasse et basse électrique, Attis Clopton, batterie et tambour, et la chanteuse elle-même au banjo, à la guitare ou au fiddle. Mais c'est quand elle retrouve sa consoeur de la première partie que l'émotion est la plus évidente. Comme sur ce duo juste soutenu par un banjo qui laisse la pureté des voix nous emporter avec elles.
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