Il y a quinze jours, en ouverture du "Domaine privé" consacré par la Cité de la Musique à Pascal Dusapin, l'intégrale des sept solos pour orchestre du compositeur interprétés par l'Orchestre philharmonique de Liège dirigé par Pascal Rophé avait procuré son lot d'intenses émotions. La possibilité, pour la première fois offerte, d'entendre dans leur continuité ces "sept formes" composées sur près de vingt ans en a permis une appréhension bien différente d'une écoute isolée sur support discographique. Les jeux de réponse, de prolongation ou de reflux qui en tissent la matière donnent alors à l'œuvre une dimension monumentale, qui va bien au-delà de la commande habituelle de musique contemporaine cantonnée à un format court.
Samedi soir, pour le dernier concert du "Domaine privé Pascal Dusapin", la Cité de la Musique accueillait l'un des récents opéras du compositeur : Passion, créé à Aix l'année dernière. Sur scène, ils sont deux : Elle et Lui (Lei et Lui, puisque le livret est en italien). Par moments surgissent Gli Altri, ombres blanches impersonnelles surgies des Enfers. L'oeuvre se veut une sorte d'hommage aux opéras de Monteverdi. Et, de fait, il semble y avoir de nombreuses références au mythe d'Orphée, mais comme si celui-ci était regardé au travers d'un miroir : c'est Eurydice qui semble vouloir attirer Orphée avec elle dans le royaume de l'Invisible. Celui-ci s'en défend, entre attirance pour son amour défunt et incompréhension pour le sort qui l'attend. La narration est néanmoins réduite à la portion congrue, dans un décor immaculé, juste agrémenté d'une branche d'arbre, un cours d'eau, un coquillage et un astre - solaire ou lunaire ? - pris dans un grand diapason. Le propos du livret est très répétitif, des phrases-leitmotivs traduisent l'incommunicabilité entre Elle et Lui. Valeur de symbole et d'universalisme, sans doute.
Faute de grasse matière théâtrale, on se concentre donc sur la musique. On retrouve des traits caractéristiques de l'écriture de Dusapin, comme le traitement par aplat des vagues mélodiques, ce qui maintient une forme de tension tout au long du propos. Des capteurs placés sur les chanteurs, George Nigl, Lui, et Barbara Hannigan, Elle, permettent par moment de spatialiser leur souffle. Le ténu tient une part importante dans cet opéra entre passions d'êtres au monde et attirance pour l'Invisible. La partition respire néanmoins, et évite la claustrophobie, par ses clins d'oeil baroques - toujours dans l'idée d'un hommage à Monteverdi - servis par un clavecin et une harpe situés de chaque côté de l'orchestre, l'Ensemble Modern de Francfort dirigé par Franck Ollu. Cette touche d'originalité est ce qui me plait le plus, et finit par emporter mon adhésion, au côté de la performance vocale des chanteurs.
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