Archie Shepp, Ornette Coleman, McCoy Tyner. Une triplette magique pour cette année de concerts. Ca avait commencé dès janvier au New Morning avec un bien joli concert d'Uncle Archie, entre free apaisé et blues ancestral, agrémenté de standards monkiens, et pimenté par la chanteuse Mina Agossi. En juin, ça se passait au Théâtre du Châtelet, pour ce qui restera le sommet de l'année : une petite heure et demie de splendeur ornettienne. "Beauty is a rare thing" clamait-il il y a quarante ans. En octobre, le dernier wagon du train coltrainien, après le décès d'Elvin Jones au printemps, illuminait la Cigale de sa fougue pianistique. Chaleureux comme peu savent l'être. 2004 plutôt marquée par les grands noms de la tradition afro-américaine donc, mais pas uniquement.
Il y a aussi eu les "habitués", ceux que je vois régulièrement. Cette année, une nouvelle fois Bojan Zulfikarpasic, en trio avec Rémi Vignolo et Ben Perowsky au Sunside en avril. J'ai beau le connaître par coeur ou presque, c'est toujours aussi réjouissant. Deux fois Akosh Szelevenyi également, à l'Olympic Café avec son Unit en janvier, sur le Batofar en trio en mai. Une énergie qui transcende tout. A la fois ancestral et terriblement free.
Puisqu'on évoque la Hongrie avec Akosh, comment ne pas citer le sommet de Banlieues Bleues 2004 en mars : le concert du pianiste György Szabados à Bagnolet. Un musicien incroyable, disciple de Bartok et de Cecil Taylor, nom essentiel de la free music européenne, qui applique à la grande tradition classique l'esprit de l'improvisation totale. Des bribes de folklore paysan hongrois, de Bartok et de la grande musique russe du XXe siècle, dans un flot ininterrompu de plus d'une heure. De la pure magie. Côté Hongrie, il y a aussi des jeunes prometteurs comme le guitariste Csaba Palotaï et son Grupa Palotaï, vu au Centre culturel tchèque en avril. Une musique joyeuse, qui s'inscrit dans la descendance croisée des Lounge Lizards et de Masada par certains aspects.
Quelques références françaises m'ont aussi bien fait plaisir cette année, à commencer par Henri Texier et son Nord-Sud Quartet (Rabeson, Codjia et Seb Texier) pour les vingt ans du Duc des Lombards en mars. Du pur Texier, c'est à dire du très bon, engagé, musical, et rempli de tendre bonheur. Deux autres échappés de mon top 5 des disques 2004, Stéphane Belmondo au Sunside en juin et Aldo Romano toujours au Sunside en octobre ont permis de confirmer en live tout le bien que je pensais de leurs disques.
Enfin, pour conclure, côté jazz, les Five Elements de Steve Coleman à Pontoise dans le cadre du festival Jazz au fil de l'Oise en novembre font également partie de mes tous meilleurs souvenirs de l'année. Une musique complexe qui n'oublie jamais le groove, belle performance !
2004 ce furent également trois opéras, dans trois villes différentes. Le Château de Barbe Bleue de Bartok à la Cité de la musique en mai, dans une version concertante dirigée par Peter Eötvös, fut certainement le plus beau. Lulu de Berg à l'Opéra de Francfort en septembre et Don Giovanni à Prague en août, dans le théâtre-même où Mozart dirigea la première de son opéra en 1787, étaient cependant très bons également. Tout comme d'ailleurs, pour poursuivre dans le classique, le récital de Mikhaïl Rudy sur des compositions de Chopin et de Schumann à la Cité de la musique en mai. Ou encore, mais je l'ai déjà évoqué, le concert de la Sinfonia Varsovia consacré aux compositeurs diffamés par le IIIe Reich en octobre (Meyerbeer, Mendelssohn, Mahler - splendide interprétation du Chant de la terre), toujours à la Cité de la musique.
Pour rester dans la salle de la Villette encore un instant, je n'oublie pas que le meilleur concert côté sono mondiale cette année fut celui de Lenine en avril. Le chanteur-guitariste nordestin a proposé un nouveau répertoire que j'ai hâte de pouvoir retrouver sur disque pour prolonger le plaisir. Côté musiques du monde, le plateau présenté à l'Olympia pour la fête de la musique, avec notamment Rokia Traoré et Tinariwen était également un excellent moment. La chanteuse afro-péruvienne Susana Baca et le groupe klezmer polonais Kroke, vus tous les deux à Francfort cet été, complètent ce joli tableau souvenir.
Enfin, pour ce qui est des concerts vus depuis fin novembre, tout est dit - ou presque - sur mon blog, pas la peine d'y revenir donc. Ne reste plus qu'à espérer que la nouvelle année qui s'annonce soit aussi riche en bonnes vibrations et en fortes émotions musicales.
Bonne année 2005 à tous !
Jason Stein - Anchors (TAO Forms, 2024)
Il y a 3 heures