mardi 31 août 2010

Jazzfestival Saalfelden 2010, 2e jour (2/2), vendredi 27 août 2010

Myra Melford's Be Bread, Congress, 20h30

Le sextet réuni par Myra Melford se nourrit d'ingrédients très divers, a priori difficiles à tenir ensemble, tant entre chaque morceau qu'au sein même des morceaux. L'instrumentation, d'abord, avec une guitare soprano entre les mains de Brandon Ross face à la basse électrique de Stomu Takeishi. La trompette tranchante et expressive de Cuong Vu face à la clarinette en clair-obscur de Ben Goldberg. Le piano et l'harmonium peu mis en avant de la leader face à la batterie de Matt Wilson enfin. De la même manière, les influences musicales recouvrent un champ extrêmement large, entre jazz, blues, rock, musique indienne, d'Europe de l'Est, folk... Rien de clairement identifiable néanmoins. Ce sont des parfums suggérés, de subtiles touches sur une toile plus vaste, des inflections dans la langue commune. Malgré sa diversité apparente, l'ensemble prend rapidement forme grâce à la qualité d'écriture de Myra Melford et au talent des solistes. La musique est délicatement voyageuse, avec la mélodie mise en avant, mais pimentée par un jeu sur les tensions avec l'intensité du son de chacun subtilement dosée en fonction des couleurs changeantes. L'inventivité rythmique déployée par Matt Wilson permet de donner naissance à une réelle dramaturgie dans le déploiement des morceaux. Les complémentarités expressives des différents musiciens sont parfaitement utilisées, avec notamment une guitare délicate, retenue, et une trompette incisive, explosive. Le concert fut, à juste titre, l'un des plus applaudis du festival. En rappel, Myra Melford évoque ses racines chicagoanes en solo à travers un blues très... melfordien.

Dominique Pifarély & l'Ensemble Dédales, Congress, 22h30

Sans faire preuve de patriotisme outrancier, il est intéressant de voir quelle "musique française" (si cela a un sens) est proposée hors de nos frontières. Le choix du festival, au-delà de toute volonté représentative, a été judicieux... car la musique proposée par l'Ensemble Dédales est magnifique. Le groupe rassemble quelques figures bien connues de la musique aventureuse : Dominique Pifarély au violon, Guillaume Roy à l'alto, Hélène Labarrière à la contrebasse, François Corneloup au sax baryton, Eric Groleau à la batterie ; mais aussi quelques noms qui me sont moins familiers : Vincent Boisseau à la clarinette, Pascal Gachet à la trompette, Christiane Bopp au trombone et Julien Pandovani au piano. Pour caractériser la musique, on pourrait évoquer un lieu : elle a en effet toutes les qualités d'une musique "made in Atelier du Plateau". Elle ménage des montées en tension lyriques à l'aide de solos basés sur la puissance du son couplés à des combinaisons (duos/trios) bruitistes. Les tuttis paraissent plus écrits, jouant sur l'alliage des sonorités instrumentales, entre cordes et vents. Les attaques sont souvent déstructurées, avant que n'émerge peu à peu le groove. La multiplicité des approches et des combinaisons instrumentales donne beaucoup de relief à la musique. Si le rapport à une certaine abstraction et à la littérature transparait dans les titres des morceaux annoncés par Dominique Pifarély, cette musique de chambre moderne joue avec les pulsations propres au jazz, et ne refuse pas le plaisir du débordement et de l'expressivité. Là aussi, franc succès auprès du public. A tel point que lorsque je cherche à acheter le disque auprès de la petite boutique du festival... il n'y en a déjà plus.

The Thing XXL

The Thing XXL, Congress, 00h00

Déjà à trois, The Thing fait beaucoup de bruit, alors à sept, il est presque attendu que The Thing XXL entame le concert de manière apocalyptique. Le mur du son dressé d'entrée semble s'effondrer progressivement avec fracas. Peu à peu le rythme se structure, puis la mélodie d'une chanson traditionnelle hongroise depuis vingt ans au répertoire de The Ex, Hidegen fujnak a szelek, émerge du sax baryton de Mats Gustafsson. C'est pour cela qu'on aime The Thing. Comme Zu la veille, ils savent être extrêmement brutaux, mais ils n'oublient pas de respirer, en s'abreuvant constamment d'un matériau de base chantant (mélodies de Don Cherry, chansons traditionnelles, succès pop-rock). La cellule de base scandinave (Gustafsson, Haker Flaten, Nilssen-Love) est donc augmentée pour l'occasion par le trombone de Mats Äleklint, la trompette de Peter Evans, la guitare de Terrie Ex et les claviers et machines de Jim Baker. La place de ce dernier me pose problème. Il est de toute évidence là pour perturber le bon déroulé du reste du groupe - il est d'ailleurs en retrait sur le côté droit de la scène alors que les six autres formes un arc de cercle par lequel ils peuvent échanger regards et indications - mais justement ses interventions ne trouvent pas d'interaction avec le reste du groupe. Il semble isolé de la fabrique de la musique et ses interventions aux machines s'apparentent plus à un bidouillage mal venu qu'à l'ajout d'une dimension supplémentaire à la musique. Dommage, car le reste est très cohérent, avec un jeu sur les tensions, entre murmures, bruits, déflagrations et tuttis ravageurs qui fait plaisir à entendre.

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A voir ailleurs : videos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Jazzfestival Saalfelden 2010, 2e jour (1/2), vendredi 27 août 2010

Marc Ribot solo, Kunsthaus Nexus, 12h30

Le guitariste new-yorkais propose un set très relaxe, à la guitare acoustique. On est loin du guitar hero. Beaucoup de blues, de fantomatiques mélodies folk-jazz, une citation du Theme from a symphony d'Ornette Coleman, un morceau d'Albert Ayler, quelques subtiles sorties de piste... on reconnaît les amours musicales de Ribot, dans une veine apaisée. Apparemment, un nouveau disque en solo devrait paraître prochainement sur Pi Recordings intitulé Silent Movies. Le titre résume assez bien l'ambiance qui se dégage du concert. En rappel, pour ne pas frustrer l'ingénieur du son qui avait effectué les réglages pour la guitare électrique, explique-t-il, il propose quelques pièces de John Cage, absolument pas écrites pour guitare, précise-t-il, avant d'ajouter... he is dead.

Mary Halvorson Trio, Kunsthaus Nexus, 14h00

La triple présence de Mary Halvorson dans la programmation du festival a été l'une des raisons de ma venue. Avec son trio auteur du fabuleux Dragon's Head (chez Firehouse 12), soit John Hébert à la contrebasse et Ches Smith à la batterie, elle a plus que confirmé tout le bien que je pensais d'elle. Ce concert fut le premier sommet du festival (qui en connut quelques autres !). Le jeu de Mary Halvorson à la guitare est singulier. Il s'apparente à une pluie de notes qui semble tomber à côté de la ligne mélodique, un coup au-dessus, un coup en dessous. La mélodie apparaît alors comme suggérée, dessinée en clair-obscur. Par ce procédé, elle allie la simplicité élégante du folk et la complexité de l'avant-garde (quelques années passées aux côtés d'Anthony Braxton y aidant) avec un grand naturel. Ses mélodies ont un intense pouvoir de séduction vénéneux. Elle joue sur les tensions, entre lisibilité immédiate et subtilités qui prolongent le plaisir dans la durée. Elle commence souvent ses morceaux par une approche assez rock, avec une démonstration d'énergie, avant de les faire évoluer vers des développements plus sinueux, plus jazz, comme si l'énergie de départ était désormais contenue, maîtrisée et malmenée pour en révéler des beautés cachées. Derrière une progression d'apparence bancale, on sous-entend ainsi toujours une ligne rythmique et mélodique plus straight, par un rapport entre le dit et le non-dit particulièrement raffiné. Le concert a commencé et s'est conclu par des morceaux extraits de Dragon's Head, mais a aussi permis de découvrir de nouvelles compositions, dont certaines à paraître sur son nouveau disque en quintet (le trio + deux cuivres), Saturn Sings. La longue liste de spectateurs qui viennent lui acheter ledit disque à la fin du concert semble l'étonner. Elle remercie chacun chaleureusement, tout en jonglant entre les euros, les dollars et les francs suisses.

Mary Halvorson

Franz Hautzinger Quintet, Congress, 19h00

Le régional de l'étape ! Le trompettiste autrichien s'est entouré d'un beau groupe qui compte en ses rangs Hayden Chisholm au sax alto, Hilary Jeffrey au trombone, William Parker à la contrebasse et Tony Buck à la batterie. Le concert s'organise autour de deux longues suites, complétées par un rappel plus court. La première suite est majestueuse, avec une avancée lente et progressive par unisson des cuivres face aux développements bruitistes de la section rythmique. La musique semble avoir quelques reflets africains, un peu à la manière de ce que peut faire Henri Texier parfois, notamment dans la combinaison des timbres du sax alto et du trombone. La deuxième suite est plus dynamique, proche dans l'esprit du workshop mingusien, avec une rythmique qui assure cette fois le groove. Les cuivres, entre solos et tutti, font preuve de puissance et proposent des mélodies dansantes enthousiasmantes. Le rappel mixe en raccourci les éléments présents dans ces deux suites, soit un groove bruitiste du plus bel effet. La démarche très jazz étonne de la part d'un musicien que l'on connaît plus pour ses participations à des projets expérimentaux électro-acoustiques et avant-rock, mais le résultat est très bon.

Jazzfestival Saalfelden 2010, 1er jour, jeudi 26 août 2010

La petite ville autrichienne de Saalfelden, nichée au creux d'une vallée des Alpes entre Salzbourg et Kitzbühel, organise l'un des plus intéressants festivals de jazz de l'été. Cette année, à la vue de la programmation particulièrement alléchante, j'ai décidé de faire le déplacement et de passer 4 jours à écouter 21 concerts. La programmation s'organise autour de deux salles : la grande scène du centre des congrès et la plus intime Kunsthaus Nexus qui permet principalement d'entendre des musiciens programmés sur la grande scène dans des formations alternatives. Un chapiteau est également dressé sur la place de la mairie pour accueillir des concerts gratuits qui attirent un public plus familial (la région est assez touristique grâce à ses atouts naturels, même en été). De ce que j'ai pu entendre, les groupes qui s'y produisent (autrichiens, allemands, italiens... les frontières ne sont pas loin) font la part belle aux musiques tziganes, klezmer et balkaniques. Une manière pour les Autrichiens de se remémorer les contours de leur défunt empire, ou tout simplement l'achèvement de vingt ans de redécouverte de l'Autre Europe. Il y aurait d'ailleurs une étude assez intéressante à mener sur les conséquences de la libération de l'Europe centrale et orientale sur le cours des musiques populaires occidentales. Mais ce sera pour une autre fois, place plutôt à une revue jour par jour des concerts auxquels j'ai pu assister (l'intégralité de la programmation des deux salles).


Roy Nathanson's Subway Moon, Kunsthaus Nexus, 21h30

Le groupe réuni par le saxophoniste new-yorkais rappelle en grande partie le line-up des Jazz Passengers, groupe jazz-pop formé d'anciens des Lounge Lizards qui connut un petit succès dans les 90s. La musique proposée est dans la même veine : un jazz urbain cool, matiné de pop songs, de musiques de film, avec en plus une pincée de hip hop décontracté grâce au human beat boxing de Napoleon Maddox. Le projet s'articule autour de chansons et poèmes inspirés par les trajets quotidiens dans le métro new-yorkais. C'est une entrée en douceur dans le festival, bercée par le son moelleux du vibraphone de Bill Ware ou du trombone de Curtis Fowlkes. Comme le fait remarquer Roy Nathanson, il n'est pas toujours évident de saisir toutes les subtilités de poèmes dans une langue étrangère, mais l'ensemble démontre cohérence et plaisir de jouer ensemble, avec en plus un sens mélodique efficace. On suit donc les tribulations des passagers du métro avec plaisir, grâce à une narration musicale presque cinématographique.

Zu, Kunsthaus Nexus, 23h00

Les trois Italiens de Zu ne font pas, eux, dans la décontraction. C'est même plutôt tout le contraire. Tout est ici question de puissance et de force brute. Les muscles tendus, le trio, très centré sur lui même, sans communication avec le public, érige un mur du son impressionnant où sax baryton, basse et batterie sont à pleine puissance, tout le temps. Cette musique se veut étouffante... et l'est aisément. On ne peut plus respirer. Les seules variations viennent de ruptures rythmiques. Pour le reste, on a un peu le sentiment qu'ils jouent de la même manière depuis trente ans, quelque soit l'endroit où ils se trouvent. Une fois l'effet de surprise de départ estompé, il n'y a plus grand chose à se mettre sous la dent. Vite, de l'air.

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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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