samedi 20 août 2005

Aldo Romano, Rémi Vignolo, Bojan Z @ Sunside, vendredi 19 août 2005

Trio de choc hier soir sur la scène du Sunside : Aldo Romano, Rémi Vignolo et Bojan Zulfikarpasic. Des musiciens que j'ai toujours un grand plaisir à aller écouter en concert (c'est assez régulier). Ce fut une nouvelle fois un excellente soirée. J'avais déjà vu Vignolo en trio avec chacun des deux autres (par exemple, avec Bojan en mars dernier), mais cette combinaison très prometteuse était une première.

Y a-t-il un leader et des sidemen avec un tel trio ? Aldo Romano, par la force de l'âge, est le plus connu du grand public, et signait d'ailleurs la majorité des morceaux joués hier soir, mais ses deux complices d'un soir étaient loin d'être réduits au rôle de faire-valoir. Bojan Z, en tant que pianiste, peut sembler mener le discours, mais Vignolo + Romano, c'est bien plus qu'une section rythmique. Rémi Vignolo et sa contrebasse chantante a tout d'un leader naturel, mais la configuration du triangle était avant tout équilatérale. Pas de leader donc, mais à la place beaucoup de feeling, de clins d'oeil complices, de larges sourires communicatifs et une musique qui jaillit ici, coule volupteusement là, rebondit par surprise, exprime tendresse, mélancolie, petites joies simples, racines italiennes ou balkaniques, et ouverture sur le vaste monde.

Le premier set a commencé par Hulio's Blues, un thème de Bojan qu'on trouve sur The Rise de Julien Lourau. Un morceau très chantant, à la mélodie limpide, qui plaçait d'emblée le concert sous le signe de la bonne humeur. Pourtant les morceaux suivants, signés Aldo Romano, puisaient volontiers dans le registre de la mélancolie. Avec, comme d'habitude avec le batteur italien, des mélodies toutes plus fines les unes que les autres, pour exprimer ici un amour éteint sur fond de banlieue morose, là la pauvreté qui règne à Port-au-Prince. Le premier set s'est achevé sur une improvisation autour du thème de Caravan, qui revenait deux ou trois fois au cours du morceau au détour de longues échappées en toute liberté. L'expression de ceux qui ont tout compris au jazz : une musique ludique, qui joue simultanément sur les repères de la mémoire populaire et sur les effets de surprise pour mieux embarquer le spectateur vers de nouveaux horizons.

Le deuxième set voyait s'enchaîner des morceaux un peu plus explosifs, comme cette incursion vers les rythmes binaires du rock, à travers une vieille composition d'Aldo Romano, du temps où il jouait de cette musique justement. L'occasion également pour Bojan Z d'interpréter son délicieux Groznjan Blue, qui évoque ses racines yougoslaves, avec un Aldo Romano très délicat aux balais, et surtout une complémentarité mélodique entre Bojan et Rémi Vignolo assez magique. Entre deux morceaux, la vision pour le moins mordante d'Aldo Romano sur les nouveaux "chanteurs" français croisés lors d'une soirée en hommage à Claude Nougaro a bien faire rire le public. Peut-être une manière aussi pour le batteur italien de masquer son émotion pourtant assez palpable au moment d'interpréter l'une de ses plus célèbres compositions, Il Camino, connue pour avoir servi de base à la chanson Rimes de Nougaro. Un incroyable moment de tendresse en hommage à l'ami défunt pour conclure un set qui avait commencé sur un climat opposé.

Le troisième et dernier set, un peu plus court que les deux précédents, a notamment été l'occasion d'une dynamique relecture de Nutty de Thelonious Monk, avec un Bojan Z bondissant sur les peu évidents accords monkiens. Etrangement, il n'y eut durant tout le concert qu'un seul morceau issu du répertoire du magnifique Threesome d'Aldo Romano, et c'était pour conclure la soirée : Song for Elis, une douce ballade en hommage à Elis Regina. Pour prolonger dans les ambiances brésiliennes, lors du rappel, Aldo Romano a laissé la batterie pour chanter Estate, chanson certes italienne à l'origine, mais rendue célèbre dans le monde entier par Joao Gilberto. Là aussi, Nougaro l'avait adaptée en français.

A la sortie d'un tel concert, on n'a qu'une hâte : pouvoir à nouveau les écouter ensemble très prochainement, et pourquoi pas, chez soi, à l'occasion d'un disque.

lundi 8 août 2005

Proms 29 & 30 @ Royal Albert Hall, jeudi 4 & vendredi 5 août 2005

Voici quelques impressions et commentaires sur les deux soirées passées au Royal Albert Hall pour l'édition 2005 des Proms.

Jeudi 4 août, programme baroque avec l'Akademie für Alte Musik de Berlin qui interprétait des oeuvres de Telemann, Händel et Bach. Avant d'en venir à la musique elle-même, quelques mots sur la salle et l'ambiance. Le Royal Albert Hall est une belle salle aux dimensions assez impressionnantes, mais à l'acoustique imparfaite. Pour les Proms, l'arène centrale est laissée aux spectateurs debout (d'où le nom de Proms : Promenade Concerts). De fait, si certains sont debout, d'autres n'hésitent pas à s'allonger dans des positions assez improbables pour ce genre de concert. Placé assez près de l'orchestre, sur la droite de la scène, j'ai pu apprécier dans des conditions pas trop mauvaises le concert, même si on sentait bien que le son se perdait et se diluait un peu en route. Qu'est-ce que ça devait être pour les places les plus hautes !

Dans une salle aux deux tiers vides, l'Akademie für Alte Musik a toutefois proposé un excellent concert. Si la musique de Telemann ne m'a pas pleinement convaincu, les extraits du Rinaldo de Händel furent en revanche un petit bijou. Le concert a donc commencé par une interprétation de la suite en do majeur "Hamburger Ebb' und Flut" de Telemann qui cherche à retranscrire musicalement l'ambiance aquatique de Hambourg. J'aime beaucoup Hambourg (ma ville allemande préférée parmi celles que je connais... ce qui exclut, il est vrai, pour le moment Berlin et Dresde), mais la suite de Telemann représentait un peu pour moi l'aspect de la musique baroque que je n'aime pas trop, à savoir une musique décorative, essentiellement d'apparat, avec des codes par trop identifiables.

Changement d'ambiance avec les duos et arias de Händel tirés de deux de ses opéras : Rinaldo et Theodora. Là, pour le coup, on dépasse très largement les codes établis de la musique de l'époque pour toucher au sublime et à l'intemporel. On a tout d'abord eu droit à un duo extrait de Rinaldo (Scherzano sul tuo volto) avec la soprano Maria Cristian Kiehr et le contre-ténor Daniel Taylor, qui fut lui la véritable révélation de ce concert. L'aria suivant (Cara sposa, amante cara), toujours tiré de Rinaldo, chanté par le contre-ténor fut d'ailleurs le plus beau moment de la soirée, jouant parfaitement sur les silences et la délicatesse de la lamentation face à l'amour perdu. Ont suivi un aria chanté par Maria Christiana Kiehr (Ah, crudel, il pianto mio, toujours Rinaldo) et un duo extrait de Theodora (To thee, thou glorious son of worth). Magnifique.

Le concert s'est achevé avec la suite n°4 en ré majeur de Bach. Une belle interprétation, qui servait parfaitement la musique de Bach... et qui mettait aussi en avant tout ce qui sépare Bach de Telemann dans l'utilisation des bourrées, gavottes et autres menuets.

Le lendemain, changement d'époque, avec un programme romantique et post-romantique, autour de Tchaïkovski, Mahler et Sibelius. La salle était beaucoup plus pleine que la veille. Il faut dire que l'horaire était moins tardif (19h30 contre 22h) et surtout qu'il y avait la présence d'Anne Sofie von Otter dans les Rückert-Lieder de Mahler. Les stars déplacent toujours du monde.

Le concert a commencé avec près d'une heure de retard à cause d'un larsen insistant à l'origine visiblement difficilement identifiable (lié à la retransmission de la BBC sans doute). Assez désagréable, même s'il a donné l'occasion à un spectateur de faire preuve d'un humour tout britannique en déclarant que le concert était remplacé par une performance de Stockhausen !

Situé beaucoup plus loin de la scène que la veille (et pour cause, le prix des places avait connu une inflation certaine), j'avais un peu peur que l'acoustique de la salle me joue des tours. Et, si ce n'était pas aussi terrible que ce que j'imaginais, c'était un peu dérangeant sur les Lieder de Mahler, tout en fines nuances.

Les nuances, ce n'est pas ce qui caractérise le Francesa da Rimini de Tchaïkovski qui ouvrait le concert. Cette fantaisie symphonique d'après Dante est ultra-romantique et ultra-russe dans son traitement. L'orchestre (en l'occurence l'orchestre symphonique de Göteborg) pètait de partout, exacerbant au maximum les sentiments, et explorant le second cercle des Enfers avec véhémence. L'orchestre était dirigé par un tout jeune chef vénézuelien, Gustavo Dudamel (né en 1981 !), qui remplaçait Neeme Järvi, initialement prévu mais finalement indisponible. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'hésite pas à en rajouter dans l'interprétation violente de l'oeuvre de Tchaïkovski, qui n'est pourtant pas des plus calmes. Au final, cela donne une musique assez facile. Qu'on apprécie sans enthousiasme.

Les Rückert-Lieder mis en musique par Mahler, c'est autre chose. Pour le coup, on entend des murmures, de fines harmonies, une beauté toute en délicatesse, magnifiquement interprétés il faut dire par Anne Sofie von Otter et par un orchestre tout à coup plus à son aise. Le seul regret tient à l'acoustique et aux dimensions de la salle qui font un peu perdre de la magie de cette musique. 

Le concert s'est achevé par la symphonie n°5 de Sibelius, que je n'ai pas vraiment appréciée. La musique du compositeur finlandais se fait très attentiste dans cette oeuvre, j'ai trouvé. On attend inlassablement que quelque chose se produise, et pourtant rien ne vient jamais. Il faut dire qu'après les Lieder de Mahler, on devient vite exigeant, et que la sucession des oeuvres jouées ce soir-là n'aidait pas à apprécier la symphonie de Sibelius.

Mahler et Händel furent donc les deux grands moments de ces soirées passées dans le temple de cet étrange festival classique et populaire, qui connait peu d'équivalents dans le monde. Je ne suis pas sûr d'avoir ainsi percé à jour le mystère de la perfide Albion, mais c'est une expérience à tenter au moins une fois, c'est indéniable.