dimanche 29 juin 2008

John Zorn - Magick @ Cité de la Musique, vendredi 27 juin 2008

La dernière soirée était consacrée aux musiques de chambre écrites par Zorn. Cinq pièces pour petit ensemble autour du thème de la magie. Tout d'abord, 777, un trio de violoncelles très bruitiste qui ne m'a pas laissé une grande impression. Puis, Gri-Gri, pièce pour treize tambours interprétée par William Winant, qui puise son inspiration dans la musique répétitive américaine et dans les rythmes du vaudou haïtien. De jolis passages mais qui s'épuisent sur la longueur. Sortilège, duo de clarinettes basses, joué par Michael Lowenstern et Anthony Burr était en revanche somptueux, très convaincant. On passe par tous les possibles de ces instruments, dans un art du zapping propre à l'écriture zornienne, mais avec, semble-t-il cette fois-ci, un but, un discours articulé, et surtout une science de la progression rythmique qui fascine. La pièce suivante, intitulée (fay çe que vouldras) en hommage à Rabelais, est elle aussi une belle réussite. Ecrite pour piano préparé, elle est magnifiquement habitée par Stephen Drury. Là aussi, l'écriture en cellules autonomes se fond dans un discours dramatique plus général, avec l'apparition de la mélodie, solennelle par moment, plus impressionniste à d'autres, qui tend à raccorder une écriture marquée par la musique américaine contemporaine aux inventions européennes du début du XXe siècle. Après l'entracte, la semaine s'achève sur Necronomicon, un quatuor à cordes très influencé par l'école de Vienne qui fonctionne sur un principe assez proche de la pièce pour piano, magnifiquement interprété par le Crowley Quartet (en hommage à Aleister Crowley, occultiste britannique du début du XXe siècle qui fascine Zorn).

Beaucoup d'excellents moments pendant toute cette semaine, mais le plus réjouissant reste la possibilité assez unique en dehors de New York d'avoir pu aborder le personnage par autant de facettes différentes. De quoi voir surtout comment elles se nourissent les unes les autres au-delà des distinctions apparentes. De beaux souvenirs en perspective.

A lire ailleurs : Bladsurb y était mardi, mercredi et jeudi, et ses billets complètent bien les miens.

John Zorn - Masada Night @ Salle Pleyel, jeudi 26 juin 2008

Valse à trois temps autour du répertoire masadien. Le Masada String Trio (Mark Feldman au violon, Erik Friedlander au violoncelle et Greg Cohen à la basse), Bar Kokhba (les trois mêmes plus Marc Ribot à la guitare, Cyro Baptista aux percussions et Joey Baron à la batterie) puis le quartet originel (Zorn, Cohen, Baron et Dave Douglas à la trompette). J'avais eu l'occasion de voir les deux premières formations à Barcelone l'année dernière, et ce qui m'a frappé jeudi c'est l'évolution du son, par rapport à mes souvenirs mais aussi aux disques. Moins de jeu sur les contrastes et la liberté organisée. Une volonté plus affirmée de faire sonner le groupe comme un tout, d'aller vers quelque chose de plus fusionnel. La thématique juive m'a semblé également plus dilluée avec Bar Kokhba. Comme si après le premier songbook, celui de l'affirmation d'une identité, le second représentait quelque chose de plus ouvert sur les réalités multiples de la diaspora. Mais, au delà des différences, la qualité d'interprétation reste toujours aussi merveilleuse. Le quartet, quant à lui, est toujours, quinze après sa formation, au sommet de ce qui existe en jazz aujourd'hui. Plaisir immense de pouvoir les entendre dans les conditions d'écoute parfaites de Pleyel. La musique jaillit toujours avec une joie non feinte, se renouvelant sans cesse, évoluant de concert en concert. Une approche peut-être plus jazz que jamais même, moins centrée sur le répertoire que sur les interactions entre instruments, avec le silence, la salle, l'espace. En guise de second rappel et de cerise sur le gâteau, c'est Erik Friedlander qui se présente seul sur scène pour une variation autour d'un thème masadien.

John Zorn - Essential Cinema featuring Electric Masada @ Cité de la Musique, mercredi 25 juin 2008

La soirée de mercredi proposait d'entendre quatre musiques écrites par Zorn pour des films expérimentaux, projetés en parallèle sur un grand écran déployé derrière les musiciens. Les membres de l'Electric Masada (les mêmes que la veille plus Ikue Mori) étaient présents sur scène. Le premier film, Rose Hobart de Joseph Cornell (1936/39), est un hommage à l'actrice Rose Hobart réalisé à partir d'images tirées d'East of Borneo, un film d'aventure exotique du début des années 30 dans lesquel l'actrice jouait. La musique évolue dans les mêmes eaux que la veille avec The Dreamers, soyeuse et exotique, soulignant tout à la fois le caractère factice de cet ailleurs et l'onirisme propre au montage des images. Le deuxième film, Aleph de Wallace Berman (1956/66), est un collage d'images peintes sur une bande 8mm qui défile à toute allure. Zorn y retrouve une rage digne de Naked City, pour un long cri au sax alto qui s'appuie juste sur la basse de Trevor Dunn et les deux batteries de Joey Baron et Kenny Wollesen. Une rythmique d'enfer qui s'accorde parfaitement avec la vision sous amphet' dégagée par le film. Le troisième film, Oz : The Tin Woodman's Dream d'Harry Smith (1967), se découpe en deux parties. Tout d'abord un film d'animation autour du magicien d'Oz où seul Ikue Mori au laptop intervient. Les sonorités électroniques minimalistes de la japonaise soulignent avec justesse l'univers visuel du film. La seconde partie du film est moins passionnante. Il s'agit d'un montage d'effets kaléidoscopiques accompagnés par les percussions de Cyro Baptista. C'est long et peu varié. Le dernier film, Ritual in Transfigured Time de Maya Deren (1946), aborde des thèmes que l'on sait cher à Zorn, la magie, le rêve, la danse, le mystère. La cinéaste d'origine ukrainienne a souvent été citée comme l'une des sources d'inspiration majeure de Zorn, aussi bien pour ses musiques de film que pour sa musique de chambre. Pour l'occasion Zorn a écrit une sorte de mini concerto pour le violoncelle d'Erik Friedlander accompagné par l'orchestre de chambre de l'Electric Masada. Très réussi.

Les traditionnels rappels se transforment peu à peu en deuxième partie de concert. Exit les films, les musiciens interprètent quatre titres issus du répertoire masadien. Un classique et indispensable Hath Arob, qui est toujours aussi impressionnant à voir en live avec Zorn qui organise littéralement le chaos. Mais aussi un plus récent Yezriel, ryhtmique rock puissante, qu'on peut entendre sur le volume 7 du Book of Angels par le trio de Marc Ribot. Ce bonus inattendu prouve une fois de plus que ce groupe est vraiment exceptionnel. Un pur moment de magie partagé par l'ensemble des spectateurs après coup.

John Zorn - The Dreamers @ Cité de la Musique, mardi 24 juin 2008

L'un des projets les plus récents de Zorn. Le disque vient juste de sortir. Il se présente comme un nouveau jalon dans la série de Music Romance, dans la continuité de The Gift. Une face beaucoup plus easy listening de prime abord, mais qui révèle d'incroyables richesses en concert. C'est pour moi la vraie bonne surprise de cette semaine. Le matériel thématique et mélodique est volontairement réduit, mais tout le reste abonde en bonnes choses. Le discours s'organise autour de multiples influences chères à Zorn (exotica, surf music, soul jazz des 60s, musique à la Morricone, etc.) tout en dégageant une belle unité. Les musiciens sont ceux de l'Electric Masada sans Ikue Mori, soit Jamie Saft aux claviers, Marc Ribot à la guitare, Kenny Wollesen au vibraphone, Trevor Dunn à la basse, Joey Baron à la batterie et Cyro Baptista aux percussions. Zorn ne joue du sax que pour un morceau, le reste du temps il joue de l'orchestre. La subtilité des arrangements, la complémentarité des sonorités instrumentales et les ruptures rythmiques donnent une dynamique de tous les instants à cette musique. D'une puissance obsédante ou se déployant tout en nuances, soyeuse ou acérée, sur tempo rapide ou lent, elle n'offre aucun temps mort et tient en haleine d'une manière assez exceptionnelle. Voir Zorn diriger cette musique avec signes de la main et regard décidé est un vrai plus, qui fait entendre les disques d'une manière différente ensuite. Très convaincant et très prenant.

John Zorn - Necrophiliac / Painkiller @ Cité de la Musique, lundi 23 juin 2008

Quelques impressions sur la semaine zornienne à la Cité de la Musique et à Pleyel. Quatrième occasion, pour moi, de voir Zorn sur scène, mais la première dans un contexte non exclusivement masadien (après l'Electric Masada à Vienne en 2003, Masada au Châtelet en 2006 et les déclinaisons du Book of Angels à Barcelone en 2007).

L'ascension commence par la face hardcore. Necrophiliac, c'est la réunion de Zorn au sax alto, Fred Frith à la guitare et Mike Patton à la voix, une configuration à ma connaissance inédite. Si l'entame est telle qu'on s'y attendait, violente, puissante et destructurée, la suite surprend un peu avec des éléments mélodiques qui surgissent ici ou là, des moments apaisés qui s'insinuent dans la décharge d'énergie générale. Un petit regret qui tient à la faible place laissée à Fred Frith par un Mike Patton assez envahissant. Un beau souvenir avec un passage de Zorn en respiration circulaire qui emmène son alto vers des sonorités de musique indienne (on pense à Kadri Gopalnath).

Painkiller, ensuite, fonctionne sur le même principe de l'improvisation hardcore, mais à l'avantage d'être un groupe régulier. La puissance de Mike Harris à la batterie et la lourdeur liquide de la basse dub de Bill Laswell forment un tapis mouvant sur lequel Zorn lance de grands jets d'alto rageur, mais pas que. La musique semble dériver, propulsée par la paire rythmique toute en cycles obsédant, oscillant entre tentations ambient et nécessité du cri de colère. Sur la fin du concert, Mike Patton puis Fred Frith rejoignent le groupe. C'est paradoxalement à ce moment là que Frith est le plus convaincant, comme si l'on assistait à la fusion de Painkiller et Massacre (où Frith et Laswell officient).