Deux mégastars sur la même scène : n'y avait-il pas un risque d'être déçu si l'alchimie ne prenait pas complètement ? Les craintes se sont vite envolées quand le concert a commencé. Deux des solistes les plus adulés de la scène classique ces dernières années savent aussi laisser leur égo de côté et simplement prendre plaisir à jouer ensemble, à s'écouter, et à mettre en avant, avant tout, la musique. Yuja Wang et Vikingur Olafsson sont assis sur une même ligne, côte à côte, alors que leurs pianos sont chacun tournés vers une direction différente : vers la gauche de la scène pour l'Islandais et vers la droite pour la Chinoise. Ni tout à fait à quatre mains, ni face à face, la disposition des instruments résume leur recherche musicale conjointe : ensemble mais avec chacun son espace et ses singularités.
Le programme du concert s'organise autour de trois pièces principales (entre 15 et 30 minutes chacune) : la Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur D940 de Franz Schubert (1828), l'Hallelujah Junction de John Adams (1996) et une version pour deux pianos des Danses symphoniques op. 45b de Serge Rachmaninoff (1940). Ces morceaux de bravoure sont accompagnés de plus courtes pièces (2 à 4 minutes chacune) de Luciano Berio (Wasserklavier, 1965), John Cage (Experiences n°1, 1945), Conlon Nancarrow (Etude n°6, années 50, mais dans un arrangement pour deux pianos de Thomas Adès) et Arvo Pärt (Hymn to a Great City, 1984). A part Schubert, de la musique du XXe siècle, donc, loin du programme un peu trop séducteur qu'on pourrait craindre d'un tel all star game pianistique.
Le concert commence par la pièce de Luciano Berio, toute en retenue, particulièrement délicate, pleine d'une tendresse qu'on n'attendait pas forcément du compositeur italien. C'est une introduction parfaite aux développements de la pièce de Schubert dont le thème obsédant est particulièrement séduisant. La pièce de John Cage offre, comme celle de Berio, un contrepoint délicat à ce qu'on attend de l'enfant terrible de la musique de l'après-guerre. Elle a comme des reflets de musique française du début du XXe siècle, impressioniste et naïve. La pièce de Nancarrow est elle plus attendue - en tout cas plus conforme à ce que l'on connaît du compositeur, une sorte de mécanique ludique qui semble se dérégler. La première partie se conclut avec la pièce la plus récente du réportoire, Hallelujah Junction de John Adams. Là aussi, c'est tout à fait conforme au style de son compositeur - comme des échos de Nixon in China (la principale oeuvre d'Adams que je connaisse) - hypnotique, minimaliste, répétitif et entrainant. Et une interprétation au cordeau des deux pianistes qui la rend particulièrement captivante.
Après la pause, le concert reprend avec la pièce de Pärt. On commence par s'inquiéter que Yuja Wang s'ennuie un peu : elle répète inlassablement un seul sol dièse alors qu'Olafsson développe des petits motifs mélodiques. Mais vers la fin de la pièce, elle a droit de dégourdir ses autres doigts pour se fondre dans le discours développé par son collègue depuis le début de la pièce. Ouf ! Peut-être est-ce la fatigue, et le contrecoup du concert tardif de Flash Pig la veille, mais je décroche un peu au moment de la pièce de Rachmaninoff. Du coup, je reste extérieur à la musique, dont je remarque la virtuosité, mais qui ne suscite pas d'émotion particulière en moi. Pour les rappels, ils reviendront à six reprises. Je ne reconnais pas tout. Une pièce de Brahms. Un ragtime pour conclure. Et de nombreux applaudissements pour accompagner le tout. Justifiés, car si j'ai décroché lors de la deuxième partie, la première reste un très grand moment dans mon souvenir quelques jours après.