Amalie Dahl's Dafnie Extended @ Haus der Berliner Festspiele, 18h30
Comme Signe Emmeluth vue vendredi, ou comme Mette Rasmussen vue samedi au sein du LJCO, Amalie Dahl est une saxophoniste alto danoise basée à Oslo. Et comme ses deux prédécesseuses sur scène, elle navigue dans les eaux des musiques issues du free jazz. Notamment à la tête de son quintet Dafnie, déjà apprécié sur disque. Pour l'occasion, le groupe est étendu à 12 musiciens et la musique s'en trouve élargie non seulement par l'ajout de couleurs orchestrales plus variées, mais aussi par un spectre sonore qui va au-delà des références habituelles du répertoire de Dafnie. Pour le dire de manière un peu succinte, et donc nécessairement un peu caricaturale, le quintet mené par Amalie Dahl sonne particulièrement "scandinave", en ce qu'il partage un horizon esthétique commun à des groupes comme Atomic ou aux ensembles menés par des figures comme Gard Nilssen ou Martin Küchen par exemple. Soit une dette évidente envers le free jazz américain des 60s mise au service d'une approche mélodique parcourue de références souterraines aux folklores nordiques. Dans le quintet originel, Amalie Dahl est accompagnée par Oscar Andreas Haug à la trompette, Jørgen Bjelkerud au trombone, Nicolas Leirtrø à la contrebasse et Veslemøy Narvesen à la batterie. Le passage à douze permet d'inclure saxophone baryton (Sofia Salvo), flûte (Henriette Eilertsen), accordéon (Ida Løvli Hilde), piano (Lisa Ullén) et synthé (Anna Ueland) à l'ensemble, et d'également doubler la section rythmique avec Trym Saugstad Karlsen à la batterie et l'une des figures emblématiques de la scène scandinave à la deuxième contrebasse, Ingebrigt Håker Flaten. Le groupe garde de son esthétique d'origine la confrontation entre la fougue des instruments à vent et la puissance de la rythmique dans les passages à tutti. Piano, accordéon ou synthé sont ainsi surtout audibles dans des combinaisons chambristes entre les explosions collectives, instaurant une approche plus bruitiste et un peu minimaliste qui vient donner du relief aux morceaux. La musique alterne ainsi enthousiasme renforcé par la taille de l'orchestre et passages plus méditatifs, autour de sous-ensembles changeants, et confirme la qualité de l'écriture d'Amalie Dahl, une des nouvelles voix définitivement à suivre sur la scène européenne.
Moabit Imaginarium / Pat Thomas solo @ Haus der Berliner Festspiele, 20h00
Le deuxième concert de la soirée est précédé par une intervention-bilan d'une semaine (depuis le lundi) d'action culturelle auprès d'habitants du quartier de Moabit (dans le centre de Berlin, juste au-dessus du Tiergarten) autour de quelques musiciens et de vidéastes. Enfants comme adultes ont participé à différents ateliers, dont un résumé nous est donné à travers la diffusion d'une courte vidéo, et une restitution en dix minutes chrono par les musiciens ayant participé à l'initiative, soit Joel Grip à la contrebasse, Simon Sieger au piano, Michael Griener à la batterie, Assane Seck aux percussions, Berno Jannis Lilge à la cornemuse, à la flûte et à la trompette, Hyunjeong Park au gayageum, Hakam Wahbi au riq (une sorte de tambourin) et Elsa M'bala aux bidouillages électroniques. Les instruments rassemblés viennent d'un peu partout sur la planète et communiquent gaiement dans une démarche collective très rythmique.
Après cet interlude, Pat Thomas arrive sur scène en s'aidant d'une canne, d'une démarche peu assurée. Il s'installe au piano sans autre effet et entame une succession rapide de clusters violents sur l'ivoire du clavier. Là où ses jambes semblent un peu flageollantes, il n'en est rien de ses bras qui partent ainsi dans de grands moulinets démonstratifs qui traduisent une approche particulièrement percussive du piano. Là aussi, on est en plein dans une esthétique dont la source est le free jazz historique - on pense nécessairement à Cecyl Taylor. Calvalcade endiablée dont l'aspect percussif contribue pleinement à définir la dimension harmonique. Le deuxième morceau se construit autour d'un simple rythme obsédant, minimaliste, joué avec la main droite dans les cordes du piano et la main gauche répététant un duo de notes dans les graves du piano. Quand il en a marre, le pianiste britannique dit simplement "ok" et se rassoit pour un troisième morceau dans une veine similaire au premier, mais avec une dimension mélodique peut-être un peu plus affirmée. Nouveau jeu avec les cordes ensuite, mais cette fois-ci à deux mains, façon harpe. Avant de revenir à une nouvelle cavalcade sur l'ivoire. C'est déjà fini, mais devant l'insistance du public, il consent à revenir pour un rappel et interprète un thème de Monk. Pour nous rappeler que cette musique dite "libre" n'est en revanche pas le fruit d'une génération spontanée.
Fire! Orchestra @ Haus der Berliner Festspiele, 21h30
A l'origine, Fire! est un trio emmené par Mats Gustafsson, avec Johan Berthling à la basse et Andreeas Werliin à la batterie. C'est dans ce format resseré que je les avais vus à Saalfelden en 2010. A partir de cette cellule de base, le saxophoniste suédois a constitué une version orchestrale, au personnel changeant, dont j'avais pu voir une précédente incarnation lors de l'édition 2015 du festival autrichien. Dix ans plus tard, les revoici donc pour un nouveau répertoire servi par un effectif fourni de dix-huit pupitres. Si on retrouve bien sûr le leader au sax baryton (et à la flûte) et Berthling à la basse électrique, le reste de l'orchestre alterne figures familières de l'univers de Gustafsson et nouveaux venus. Le concert commence par un solo absolu, et plutôt paisible, d'Anna Högberg au sax alto, avant que l'orchestre n'entre en scène. La longue suite, intitulée Words, est inédite - il s'agit de sa création mondiale. Elle alterne des passages de véritables chansons, avec les voix de Sofia Jernberg ou Mariá Portugal, les démonstrations d'énergie collective rutillantes soutenues par la basse obsédante de Berthling, et les explorations sonores bruitistes notamment articulées autour des platines de Mariam Rezaei, de la guitare de Julien Desprez et de la voix de Sofia Jernberg. C'est très prenant, servi par des noms remarqués dans la galaxie de la free music contemporaine : ainsi, outre ceux déjà cités, Mette Rasmussen et Adia Vanheerentals aux saxophones, Lina Allemano et Tuva Olsson aux trompettes, Mats Äleklint au trombone, Heida Karine Jóhannesdóttir Mobeck au tuba, Anna Lindal et Anna Neubert aux violons, Emily Wittbrodt au violoncelle, Kit Downes au piano et à l'orgue et Maria Portugal et Mads Forsby aux batteries. S'étirant sur près d'une heure et demi, l'oeuvre se conclut comme elle a commencé, sur un registre plus apaisé, cette fois-ci par un duo entre Tuva Olsson et Kit Downes, que le leader avait présenté comme les deux invités de l'orchestre en début de concert.
James Brandon Lewis Quartet @ Quasimodo, 23h00
Le concert du Fire! Orchestra se termine sur le gong à 23h00 pile. J'arrive donc en retard au Quasimodo - après dix minutes de marche rapide - où je trouve Aruan Ortiz en plein solo. Le pianiste cubain est en pleine chevauchée inspirée, avec Chad Taylor à la batterie et Brad Jones à la contrebasse qui connaissent leur clave. James Brandon Lewis les rejoint ensuite et son souffle puissant semble convoquer les esprits, imprégné de l'héritage des spirituals. Ca commence très fort. Et ça ne va pas se relâcher pendant une heure et demi. Sans interruption, les morceaux s'enchaînent avec une véhémence jamais démentie. Même les ballades sont jouées avec un tel engagement, une telle intensité, qu'on se sent transpercé par le musique tout du long. La puissance du saxophoniste est phénoménale, et particulièrement envoûtante dans cette salle au format réduit, où le public debout répond avec enthousiasme au débordement de spiritualité dont fait preuve le quartet. Je connais bien les thèmes joués (ceux du dernier disque du quartet, paru cette année), mais les entendre joués avec une telle énergie, une telle densité de tous les instants, les sublime. J'avais déjà eu l'occasion de voir James Brandon Lewis cette année, pour un concert qui explorait son versant électrique, tirant vers le funk, avec ce quartet acoustique, il s'inscrit dans la descendance assumée du quartet classique de Coltrane. Nourrie des musiques racines de l'Amérique noire, notamment dans leur version d'Eglise (il est fils de pasteur), il a comme un engagement mystique dans sa musique, proche d'une certaine forme de transe. C'est véritablement impressionnant à quelques mètres de distance, et une conclusion parfaite d'un festival qui aura été d'une excellence constante. Ca va être difficile de revenir à la réalité quotidienne après ça !




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