Les traditionnels rappels se transforment peu à peu en deuxième partie de concert. Exit les films, les musiciens interprètent quatre titres issus du répertoire masadien. Un classique et indispensable Hath Arob, qui est toujours aussi impressionnant à voir en live avec Zorn qui organise littéralement le chaos. Mais aussi un plus récent Yezriel, ryhtmique rock puissante, qu'on peut entendre sur le volume 7 du Book of Angels par le trio de Marc Ribot. Ce bonus inattendu prouve une fois de plus que ce groupe est vraiment exceptionnel. Un pur moment de magie partagé par l'ensemble des spectateurs après coup.
dimanche 29 juin 2008
John Zorn - Essential Cinema featuring Electric Masada @ Cité de la Musique, mercredi 25 juin 2008
John Zorn - The Dreamers @ Cité de la Musique, mardi 24 juin 2008
John Zorn - Necrophiliac / Painkiller @ Cité de la Musique, lundi 23 juin 2008
L'ascension commence par la face hardcore. Necrophiliac, c'est la réunion de Zorn au sax alto, Fred Frith à la guitare et Mike Patton à la voix, une configuration à ma connaissance inédite. Si l'entame est telle qu'on s'y attendait, violente, puissante et destructurée, la suite surprend un peu avec des éléments mélodiques qui surgissent ici ou là, des moments apaisés qui s'insinuent dans la décharge d'énergie générale. Un petit regret qui tient à la faible place laissée à Fred Frith par un Mike Patton assez envahissant. Un beau souvenir avec un passage de Zorn en respiration circulaire qui emmène son alto vers des sonorités de musique indienne (on pense à Kadri Gopalnath).
Painkiller, ensuite, fonctionne sur le même principe de l'improvisation hardcore, mais à l'avantage d'être un groupe régulier. La puissance de Mike Harris à la batterie et la lourdeur liquide de la basse dub de Bill Laswell forment un tapis mouvant sur lequel Zorn lance de grands jets d'alto rageur, mais pas que. La musique semble dériver, propulsée par la paire rythmique toute en cycles obsédant, oscillant entre tentations ambient et nécessité du cri de colère. Sur la fin du concert, Mike Patton puis Fred Frith rejoignent le groupe. C'est paradoxalement à ce moment là que Frith est le plus convaincant, comme si l'on assistait à la fusion de Painkiller et Massacre (où Frith et Laswell officient).
lundi 19 mai 2008
Eschyle - L'Orestie @ Théâtre de l'Odéon, samedi 17 mai 2008
Trois pièces, trois temps, et trois couleurs choisies par Py. Le rouge domine Agamemnon. Le rouge du sang de la guerre, du sacrifice d'Iphigénie, des honneurs dûs au vainqueur, du meurtre du roi par son épouse, du festin macabre de Thyeste. Le noir baigne Les Choéphores. Le noir du deuil impossible d'Oreste et d'Electre, des lamentations et des implorations, du désir de vengeance et des tourments du meurtrier. Le blanc resplendit enfin dans Les Euménides. Le blanc de la purification, de l'établissement de la justice et du nouvel ordre divin et politique, de la raison et de la force de la parole. Cycle fondamental - la mort, le deuil, l'espoir - que le christianisme reprendra à son compte, ce qui n'a évidemment pas dû échapper à Py.
Le cycle commence puissamment avec un Agamemnon particulièrement impressionnant. Sanglant - "gore" disaient certains spectateurs à l'entracte - il apparaît comme un manifeste tragique au cours duquel les passions se déchaînent en semblant ajouter l'horreur à l'horreur. Sacrifice, guerre, destruction, la démesure règne en maître sur cette pièce. Nada Strancar campe une Clytemnestre magnifique, en acier trempé, déterminée et dont le caractère est le plus étoffé, autour de laquelle la pièce est organisée.
Les Choéphores souffrent un peu de leur statut de transition entre les deux autres pièces. L'essentiel du discours, centré sur les lamentations et les appels aux dieux, est en plus sans doute la partie du texte d'Eschyle qui nous est la plus étrangère vingt-cinq siècles après.
Les Euménides retrouvent la force du début. Ce ne sont plus les mortels, mais les dieux (à l'exception d'Oreste) qui sont désormais représentés sur scène. Affrontement des anciennes divinités (les Erinyes) et des nouvelles (celles de l'Olympe, figurées par Apollon et Athéna) qui débouche sur l'établissement d'un ordre nouveau, où la politique se substitue aux logiques claniques. Athéna, pour juger Oreste, crée les conditions d'un procès juste, avec avocats pour les deux parties, aéropage de juges et nécessité de dégager une majorité (elle déclare qu'en cas d'égalité, elle se rangera du côté d'Oreste). La force du logos, la gloire de la parole ("au commencement était le Verbe", hé hé...), est affirmée. La mesure et la prudence deviennent les valeurs cardinales de la vie en société. Phronesis contre hybris, refrain connu mais que célèbre ici Eschyle avec une force qui impressionne et donne à penser encore aujourd'hui.
La grande idée d'Olivier Py pour cette mise en scène, c'est d'avoir constitué un choeur composé de quatre véritables chanteurs lyriques et de ne pas avoir traduit leur chant. S'exprimant en grec classique, soutenu par un quatuor à cordes et une grosse caisse, le choeur offre de magnifiques respirations au cours du déroulé de l'action. Il interrompt les déclamations des acteurs - c'est une forme encore archaïque de théâtre malgré toutes les innovations d'Eschyle (le premier a ne pas se contenter d'un seul acteur sur scène) - et laisse le public repenser et s'interroger sur ce qu'il vient de se passer. Les résonances du chant grec contribuent en plus un peu plus au caractère sacré de la mise en scène (prestige des langues mortes associé aux lieux de culte).
Le décor (un palais de fer) et les costumes (noirs, rouges, blancs) ajoutent un effet visuel d'une grande force qui donne une solennité antique à la pièce sans pour autant avoir recours à des éléments trop identifiés. Les quelques anachronismes (le char d'Agamemnon en vieille Citroën, la cuisinière pour évoquer le festin de Thyeste) instaurent alors un brin d'humour comme pour évacuer par ailleurs toute tentation de la contemporanéité. Antique et moderne, la pièce devient intemporelle. Un grand moment de théâtre.
dimanche 4 mai 2008
Alexandra Grimal @ Les Disquaires, mercredi 23 avril et vendredi 2 mai 2008
Pour replonger, rien de tel que la résidence actuelle aux Disquaires développée par une musicienne vue à de nombreuses reprises ses dernières années. Construction patiente d'un univers personnel particulièrement intéressant. Après le foisonnement tous azimuts qu'Alexandra évoquait dans l'interview qu'elle m'avait accordée pour CJ il y a un peu moins de deux ans, on sent aujourd'hui comme une phase de consolidation, du discours comme des groupes. Il y a certes toujours chez elle ce besoin de multiplier les projets et les rencontres, mais on perçoit désormais également la nécessité de stabiliser des collaborations, de développer sur le plus long terme un corpus de compositions qui forment à présent les bases d'une démarche singulière. Côté groupes, le quartet acoustique qu'elle forme avec Giovanni Di Domenico, Manolo Cabras et Joao Lobo comme le trio électrique avec Antonin Rayon et Emmanuel Scarpa ont désormais une existence pluri-annuelle qui en font les deux piliers-laboratoires de son univers. Au-delà de ces deux ensembles, il y a aussi quelques rencontres au long cours comme les échanges répétés avec Nelson Veras. On retrouvait ainsi le guitariste brésilien dans les deux concerts de l'actuelle résidence d'Alexandra auxquels j'ai assisté jusqu'à présent.
Tout d'abord, mercredi 23 avril, une rencontre avec la chanteuse Jeanne Added - autre jeune musicienne dont je pense le plus grand bien et déjà vue à de nombreuses reprises, de Bruit du [sign] en Poète, vos papiers, en passant par Vincent Courtois ou l'Ensemble Cairn. Pour l'occasion, nouvelles compositions pour un quintet qui outre les deux jeunes femmes comptaient en ses rangs Nelson Veras donc, mais aussi Joachim Florent à la contrebasse et Patrick Goraguer à la batterie. Une soirée pour le côté nouvelles rencontres.
Ensuite, vendredi 2 mai, un quartet avec toujours Nelson Veras et Patrick Goraguer, auxquels s'adjoignait Jozef Dumoulin au fender rhodes. Un groupe pour le côté approfondissement. Des musiciens croisés régulièrement ces dernières années, et un répertoire avec quelques compositions désormais familières (Elks around !), développées au sein du quartet acoustique.
Il y a des points communs aux deux concerts, comme le travail épatant sur le jeu de groupe, les jonctions entre les différentes phases d'un morceau, le fondu des solos dans une ambition plus collective. Les éléments rythmiques tirant sur un certain rock - pas si éloignés par exemple du Bruit du [sign] - apportés par le batteur forment un contraste saisissant avec le jeu souvent tout en retenue de Nelson Veras, guitariste de la surprise, qui lance des phrases inattendues, douces et liquides, et pourtant rythmiquement solidement charpentées (on ne joue pas avec Steve Coleman sans conséquence), ce qui crée un décalage onirique au sein de l'ensemble. Alexandra Grimal tire profit de ce paysage mouvant pour donner de l'épaisseur à ses compositions, sans nécessiter aucune esbroufe ou débauche de puissance tapageuse. Elle privilégie les climats, dans la lignée (toutes proportions gardées) d'un Wayne Shorter autant nourri de ses expériences au sein de la machine hard bop d'Art Blakey que des lignes électriques de Weather Report. Goût de l'entre-deux qui débouche sur une démarche particulièrement en phase avec ce que le jazz contemporain propose de plus intéressant. La solidité du discours au soprano (le 2 mai uniquement) accentue bien entendu le parallèle.
Au-delà de ce fonds commun, chaque concert avait néanmoins ses particularités. Avec Jeanne Added, un brin d'espièglerie et pas mal de fraicheur. Avec Jozef Dumoulin, le plaisir des jouets électriques, du bidouillage des claviers et la recherche d'un développement très organique de la musique, bien au-delà de l'exposé successifs de solos et de thèmes. Sans oublier le plaisir d'entendre Alexandra au ténor et au soprano lors du deuxième concert. Et à chaque fois, la sensation d'assister à une œuvre en phase "laborantine". Des projets multiples développés sur trois mois aux Disquaires dans le but d'affiner, et affirmer, une démarche. Précieux. Pour ne pas louper là suite, commencez par cliquer.
A lire ailleurs :
- Jazzques, sur un récent concert à Bruxelles
- Thierry Quénum, sur le concert du 1er mai aux Disquaires
- Franck Bergerot, sur le concert du 2 mai aux Disquaires