lundi 19 mai 2008

Eschyle - L'Orestie @ Théâtre de l'Odéon, samedi 17 mai 2008

Pour clore sa première saison à la tête de l'Odéon, Olivier Py met en scène la trilogie d'Eschyle qu'il a retraduite pour l'occasion, afin de proposer une langue plus adaptée à la représentation théâtrale qu'à la lecture agrémentée de notes de bas de page. Vaste fresque en trois temps - Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides - qui relate le destin tragique des Atrides et affirme la force du logos face aux passions, ces trois pièces célèbrent les fondements d'une civilisation dont nous sommes les héritiers. Souvent réduite à son message politique (à la gloire de la démocratie), l'Orestie retrouve avec Olivier Py une force quasi religieuse, lieu d'affrontement de forces cosmiques que seule la raison permet d'équilibrer.

Trois pièces, trois temps, et trois couleurs choisies par Py. Le rouge domine Agamemnon. Le rouge du sang de la guerre, du sacrifice d'Iphigénie, des honneurs dûs au vainqueur, du meurtre du roi par son épouse, du festin macabre de Thyeste. Le noir baigne Les Choéphores. Le noir du deuil impossible d'Oreste et d'Electre, des lamentations et des implorations, du désir de vengeance et des tourments du meurtrier. Le blanc resplendit enfin dans Les Euménides. Le blanc de la purification, de l'établissement de la justice et du nouvel ordre divin et politique, de la raison et de la force de la parole. Cycle fondamental - la mort, le deuil, l'espoir - que le christianisme reprendra à son compte, ce qui n'a évidemment pas dû échapper à Py.

Le cycle commence puissamment avec un Agamemnon particulièrement impressionnant. Sanglant - "gore" disaient certains spectateurs à l'entracte - il apparaît comme un manifeste tragique au cours duquel les passions se déchaînent en semblant ajouter l'horreur à l'horreur. Sacrifice, guerre, destruction, la démesure règne en maître sur cette pièce. Nada Strancar campe une Clytemnestre magnifique, en acier trempé, déterminée et dont le caractère est le plus étoffé, autour de laquelle la pièce est organisée.

Les Choéphores souffrent un peu de leur statut de transition entre les deux autres pièces. L'essentiel du discours, centré sur les lamentations et les appels aux dieux, est en plus sans doute la partie du texte d'Eschyle qui nous est la plus étrangère vingt-cinq siècles après.

Les Euménides retrouvent la force du début. Ce ne sont plus les mortels, mais les dieux (à l'exception d'Oreste) qui sont désormais représentés sur scène. Affrontement des anciennes divinités (les Erinyes) et des nouvelles (celles de l'Olympe, figurées par Apollon et Athéna) qui débouche sur l'établissement d'un ordre nouveau, où la politique se substitue aux logiques claniques. Athéna, pour juger Oreste, crée les conditions d'un procès juste, avec avocats pour les deux parties, aéropage de juges et nécessité de dégager une majorité (elle déclare qu'en cas d'égalité, elle se rangera du côté d'Oreste). La force du logos, la gloire de la parole ("au commencement était le Verbe", hé hé...), est affirmée. La mesure et la prudence deviennent les valeurs cardinales de la vie en société. Phronesis contre hybris, refrain connu mais que célèbre ici Eschyle avec une force qui impressionne et donne à penser encore aujourd'hui.

La grande idée d'Olivier Py pour cette mise en scène, c'est d'avoir constitué un choeur composé de quatre véritables chanteurs lyriques et de ne pas avoir traduit leur chant. S'exprimant en grec classique, soutenu par un quatuor à cordes et une grosse caisse, le choeur offre de magnifiques respirations au cours du déroulé de l'action. Il interrompt les déclamations des acteurs - c'est une forme encore archaïque de théâtre malgré toutes les innovations d'Eschyle (le premier a ne pas se contenter d'un seul acteur sur scène) - et laisse le public repenser et s'interroger sur ce qu'il vient de se passer. Les résonances du chant grec contribuent en plus un peu plus au caractère sacré de la mise en scène (prestige des langues mortes associé aux lieux de culte).

Le décor (un palais de fer) et les costumes (noirs, rouges, blancs) ajoutent un effet visuel d'une grande force qui donne une solennité antique à la pièce sans pour autant avoir recours à des éléments trop identifiés. Les quelques anachronismes (le char d'Agamemnon en vieille Citroën, la cuisinière pour évoquer le festin de Thyeste) instaurent alors un brin d'humour comme pour évacuer par ailleurs toute tentation de la contemporanéité. Antique et moderne, la pièce devient intemporelle. Un grand moment de théâtre.

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