dimanche 14 septembre 2025

Gautier Garrigue / Orchestre National de Jazz @ Radio France, samedi 13 septembre 2025

Pour ce premier concert de la saison 25/26 de Jazz sur le Vif, la Maison de la Radio accueillait la première parisienne du nouvel ONJ, désormais dirigé par Sylvaine Hélary. Il y avait donc beaucoup de monde au studio 104 hier. Avec raison ! Avant le plat de résistance du jour, Gautier Garrigue se présentait à la tête de son élégant quartet, auteur du beau disque La Traversée, sorti l'année dernière sur Pee Wee. On a déjà eu le plaisir de voir et d'entendre le batteur au sein de Flash Pig ou aux côtés d'Henri Texier, et ce premier concert en leader a permis de se rendre compte que les qualités de compositeur du natif de Perpignan sont aussi réelles que ses capacités derrières les fûts. Le voisinage avec la musique développée par Flash Pig est d'autant plus évident que l'on retrouve les 3/4 du groupe sur scène ce soir. Au-delà du leader, Maxime Sanchez au piano et Florent Nisse à la contrebasse sont ainsi aussi présents. En revanche, le saxophone d'Adrien Sanchez se trouve "remplacé" par la guitare de Federico Casagrande. Même évidence mélodique que pour le groupe qui nous l'a révélé, même profondeur harmonique pour donner relief et dynamisme aux morceaux, même amour d'un jazz post-free entre retour aux sources et prise en compte d'un esprit de liberté pour aller au-delà des formes trop établies. On trouve dans la musique de Gautier Garrigue comme des échos du quartet américain de Keith Jarrett, quelques tournures mélodiques qui évoquent l'écriture d'Ornette Coleman, mais sans doute avant tout - est-ce le fait de diriger depuis la batterie qui veut ça - une dette évidente envers les ensembles de Paul Motian. La guitare de Federico Casagrande ne cesse ainsi d'évoquer les sonorités de quelques guitaristes passés par l'Electric Be Bop Band du batteur américain, tels Steve Cardenas, Jakob Bro, Kurt Rosenwinkel ou Ben Monder. Comme le titre de l'album le laisse entendre, la musique de La Traversée est voyageuse, souvent rêveuse, mais jamais trop "lâche" : en effet, la présence des musiciens les uns aux autres maintient l'intensité nécessaire pour, qu'au-delà de l'aspect à première vue "tranquille" des morceaux, il y ait un vrai travail harmonique qui donne de la densité à la musique. Le temps de cette traversée défile ainsi très vite, et l'on se retrouve surpris quand Gautier Garrigue annonce qu'ils n'ont plus que cinq minutes pour un dernier morceau - la diffusion en direct sur France Musique obligeant à s'arrêter à 20h00. 


Après l'entracte, la contrainte horaire disparaît puisque le concert sera diffusé ultérieurement (le 4 octobre) sur l'antenne de la radio publique. Il faudra néanmoins faire des coupes, car la durée de la prestation de la troupe assemblée par Sylvaine Hélary a duré près de deux heures. J'étais particulièrement content à l'annonce de l'arrivée de la flûtiste à la tête de l'ONJ, et ce premier concert parisien a grandement confirmé que cela était pleinement justifié. Cela fait maintenant depuis une vingtaine d'années que je vois et écoute la nouvelle directrice sur scène ou sur disque. Au départ, guest ou sidewoman dans des ensembles appréciés (je me souviens de concerts du Bruit du [sign] aux Voûtes ou du Monio Mania de Christophe Monniot), puis dans ses propres orchestres, à commencer par l'excellent quartet Spring Roll ou le plus récent Orchestre Incandescent, en passant par ses passages auprès de Didier Levallet, Denis Colin, Dominique Pifarély ou Stéphane Payen, entre autres. J'étais donc particulièrement curieux de voir quels musiciens elle allait choisir pour l'accompagner et quel répertoire elle allait développer. Sur scène, ils sont dix-sept, huit femmes, neuf hommes, et pour ce premier programme, c'est l'une des figures majeures du jazz post-free qu'ils honorent : Carla Bley, qui se trouve être une femme également. L'occasion d'un rééquilibrage nécessaire après des décénies de sur-représentation masculine, dans une démarche qui s'impose d'autant plus qu'elle semble naturelle et aller de soi. Pour l'accompagner dans les arrangements des morceaux de la californienne, Sylvaine Hélary a fait appel à Rémi Sciuto, que je n'avais pas vu depuis fort longtemps (près de vingt ans et les nombreux concerts du Grupa Palotaï auxquels j'avais assisté à l'époque). Pour servir ces compositions et leurs arrangements, l'orchestre rassemblé brille par sa diversité instrumentale et sa plasticité. 


Disposé en arc de cercle sur deux rangées, il y a d'abord, au centre, la batterie de Franck Vaillant. Sur la gauche de la scène, le piano et l'orgue Hammond d'Antonin Rayon (fidèle des ensembles de la flûtiste) et la contrebasse de Sébastien Boisseau. Sur la droite, les vents, à savoir Rémi Sciuto aux saxophones alto et baryton et à la clarinette, Hugues Mayot au sax ténor et à la clarinette basse, Léa Ciechelski au sax alto et à la flûte et Sylvaine Hélary elle-même à la flûte. Le deuxième arc de cercle rassemble, en partant de la gauche, un quatuor à cordes (Anne Le Pape et Laure Franz aux violons, Guillaume Roy à l'alto et Juliette Serrad au violoncelle), le vibraphone et les percussions d'Illya Amar et enfin les cuivres de Sylvain Bardiau (trompette), Quentin Ghomari (trompette et bugle), Fanny Meteier (tuba), Jessica Simon (trombone) et Mathilde Fèvre (cor). Bref, des noms bien connus pour la plupart, plein de promesses jubilatoires. De quoi sonner tour à tour comme une fanfarre, un orchestre de cabaret, un big band ou un orchestre de chambre et de permettre ainsi un portrait kaléïdoscopique de la musique de Carla Bley. Il y a des inflexions qui peuvent faire penser au Sacre du Tympan de Fred Pallem (dont Rémi Sciuto est un membre fidèle) ou au Surnatural Orchestra (Sylvaine Hélary comme camarade de route), mais c'est bien l'écriture protéïforme de la pianiste américaine qui transparaît partout. Toujours mélodieuse, parfaitement ciselée mais souvent pleine d'humour et de clins d'oeil, elle permet autant de mettre en lumière tel ou tel soliste à l'occasion que de jouer des combinaisons sonores variées dans les passages a tutti. Musique mécanique, Utviklingssang, In India et quelques autres compositions sont abordées. A priori rien d'Escalator Over The Hill (où alors je n'ai pas reconnu), peut-être pour mieux éviter l'évidence et donner à entendre finalement plus que l'opus magnum qui risquerait de cacher la dense forêt d'une riche discographie. En tout cas, l'esprit de Carla était bien là, aussi présent qu'un soir de juillet 2006 au New Morning avec son big band, pour le premier concert de la dame auquel j'ai eu la chance d'assister (enregistré et paru sur disque, Appearing Nightly, ensuite), ou qu'en mai 2017 au Jazz Dock praguois en trio avec Steve Swallow et Andy Sheppard, pour la quatrième et dernière fois me concernant. Quelle joie de pouvoir, encore, entendre cette musique en concert magré la disparition de Carla Bley il y a deux ans. On a hâte de pouvoir entendre les autres programmes que proposera Sylvaine Hélary durant son mandat !

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