Ce week-end, le Parc de la Villette accueillait une multitude de groupes ayant comme point commun l'accordéon. Organisée par Pascal Contet, cette manifestation donnait à voir des choses très différentes, de la musique contemporaine aux traditions chinoises ou est-européennes en passant par le jazz. J'y étais hier, tout d'abord pour le concert de Zakarya dans le parc en fin d'après-midi, puis pour la soirée organisée au Cabaret Sauvage.
J'avais déjà vu Zakarya à Vienne en 2003, en after du concert de l'Electric Masada. Ce groupe strasbourgeois est en fait le seul groupe français signé par John Zorn pour la série Radical Jewish Culture de Tzadik. Mené par l'accordéoniste Yves Weyh, Zakarya ressemble de prime abord à un groupe de rock avec guitare et basse électriques et batterie. Leur musique utilise la puissance du rock pour densifier le propos post-klezmer. Selon les morceaux, on est plus ou moins éloigné de la tradition. Au moment où le concert commence, les spectateurs les plus proches de la scène reculent d'ailleurs de quelques bons mètres, surpris par la lourdeur des attaques de la basse. A la guitare, Alexandre Wimmer ne se contente pas de riffs rock, mais utilise aussi des effets électroniques pour perturber quelque peu le déroulement des morceaux. Les dissonances et explosions bruitistes effraient une partie du public, mais ceux qui restent (nombreux quand même) se laissent emporter par ce mélange convaincant de mélodies yiddish et de rythmes lourds entre groove lancinant et éclairs rock. Ils jouent essentiellement des morceaux issus de leur nouvel album (à paraître), mais aussi quelques pièces plus anciennes comme le délicieux clin d'oeil Colère ("Zorn" auf Deutsch) basé sur une mélodie de Masada (Tzofeh).
Après cette mise en bouche dans le parc, direction la belle salle du Cabaret Sauvage. Avant que la soirée ne commence réellement, un accordéoniste se ballade parmi le public en reprenant quelques "tubes" de la chanson française. J'écoute d'une oreille distraite. A 21h, l'écoute se fait plus attentive quand le Quatuor d'Est en Ouest - une création - qui réunit l'accordéon de Pasacal Contet, le sheng (orgue à bouche en français) de Wu Wei, les flûtes et clarinettes exotiques de Carol Robinson et l'ordinateur de Tom Mays, entre en scène. Le concert est constitué d'une longue suite aux confins de la musique contemporaine électro-acoustique et des traditions extrême-orientales. Le programme indique que les musiciens suivent la route de la Soie, depuis la Chine jusqu'à l'Europe. Accompagnés d'une belle mise en scène - mouvante - et en lumières, ils sont particulièrement convaincants. Les sonorités explorées, entre la douceur du souffle de Wu Wei et les effets illbient de Tom Mays, sont souvent surprenantes, avec un véritable discours évolutif au cours du concert. Le sheng est en fait considéré comme l'ancêtre de l'accordéon - et c'est vrai que les sonorités des deux instruments sont étrangement proches - avec le souffle humain qui remplace celui du soufflet. Carol Robinson, en changeant régulièrement d'instruments (de flûtes orientales à la plus traditionnelle clarinette basse), semble tenir le fil d'Ariane du voyage, mais les changements de rythmes de ses collègues masculins - avec un Wu Wei qui évolue d'une approche très zen à une énergie corporelle quasi rock - ne sont pas en reste. Le résultat est en tout cas splendide pour ce qui restera comme le sommet de la soirée.
Après cela, Daniel Mille présentait un nouveau trio - une autre création - avec le saxophoniste Eric Séva (baryton, soprano et sopranino) et le violoncelliste Eric Longworth. C'est joli. Un peu trop ornemental à mon goût néanmoins. Pas vraiment de surprise dans cette musique qui semble couler naturellement, sans aspérité, pour faire entendre de belles mélodies. Quand le matériau devient connu (Oblivion de Piazzola par exemple), on se rend quand même compte qu'il manque quelque chose à cette musique - de l'énergie, de l'investissement, de la passion. Si la complémentarité entre l'accordéon et le violoncelle est belle à entendre, le saxophone reste assez discret - notamment quand Eric Séva empoigne le baryton. On se prend à imaginer ce que serait cette musique avec un Christophe Monniot à la place ! De plus, Daniel Mille, équipé d'un micro-bouche, a la fâcheuse habitude de s'accompagner par des miaulements aigus assez désagréables à mon oreille. Bref, on l'aura compris, je n'ai pas été convaincu par cette partie du concert.
La soirée s'achevait avec le trio Hradčany augmenté du percussionniste d'origine iranienne Bijan Chemirani. Comme leur nom l'indique (il désigne la colline du château de Prague en tchèque), ils puisent leur inspiration du côté des musiques populaires de l'Est européen, un peu plus au Sud que la République Tchèque ceci dit : Roumanie, Bulgarie, Turquie, Serbie sont les principaux territoires explorés. Composés de musiciens plus ou moins directement issues de la nébuleuse du Hask - Serge Adam à la trompette, Philippe Bota aux saxes et flûtes et David Venitucci à l'accordéon - c'est assez surprenant de les voir s'aventurer sur ces terres musicales. Mais le résultat est délicieux. Leur disque paru chez Quoi de neuf docteur (le label de Serge Adam) en 2003 fait partie de ces disques apparemment mineurs, qui ne font pas les gros titres de la presse spécialisée ou non, mais que j'aime écouter régulièrement. L'association avec le plus jeune du clan Chemirani (un nom qui compte dans la tradition percussive iranienne) est une riche idée. Dès ses premières frappes, il en impose par sa classe naturelle, la souplesse de ses doigts - plus pianistique que percussive - et son sens du rythme, léger et dansant. Au zarb et au bendir, il prolonge la musique du trio vers l'Orient - les traditions perses et turques ayant de nombreuses bases communes. Le concert souffre un peu des conditions avec un public plus préoccupé par l'heure du dernier métro - et qui quitte peu à peu la salle - et des organisateurs pressés d'en finir. L'ambiance n'est pas très chaleureuse, alors que la musique l'appelle. Cela gâche un peu la fête, mais ne m'empêche pas complètement d'apprécier les sonorités rauques des cuivres, la douceur du ney et l'abstraction de l'accordéon qui permet au groupe de se distinguer des traditionnels clichés de la musique de l'Est vu de l'Ouest.
Lina Allemano’s Ohrenschmaus – Flip Side (Lumo Records, 2024)
Il y a 13 heures
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