Malgré tout l'arbitraire qu'il y a à juger que le passage des ans a une quelconque influence sur la qualité de la production discographique - moribonde autant que régulière - l'exercice de style annuel qui consiste à revenir un instant sur ce qui vous a titillé les tympans douze mois durant a le mérite de tout bilan : obliger le temps à s'arrêter en le fixant un instant pour qu'il devienne repère vers lequel revenir plus tard.
Je me suis donc prêter à l'exercice qui consiste à dresser la liste du "meilleur de" (avec toutes les précautions oratoires habituelles que tout le monde vous sert), soit dix disques parus en 2010 et une réédition de l'année. Petite revue rapide de chacun, par ordre alphabétique.
Atomic - Theater Tilters (Jazzland)
Formé il y a une dizaine d'années, le quintet scandinave donne régulièrement des nouvelles sous forme discographique (à défaut de passer souvent par Paris). Cette année, c'est un double CD enregistré lors d'un concert au Teater Lederman de Stockholm en octobre 2009 qui nous est proposé. On retrouve ce qui fait la spécificité d'Atomic : un son free-bop qui s'inscrit dans une tradition véritablement transatlantique (la fougue des roaring sixties new yorkaises alliée à un sens de l'écriture nourri de mélodies folkloriques européennes) tout en maintenant une oreille sur l'actualité du jazz innovant, avec notamment des accointances marquées avec la scène chicagoane réunie autour de Ken Vandermark. Les dix morceaux rassemblés ici sont signés soit du saxophoniste suédois Fredrik Ljungkvist, pour six d'entre eux, les plus mélodiques, soit du pianiste norvégien Håvard Wiik, pour les quatre autres, plus bouillonnants. L'enregistrement live permet de laisser exploser toute l'énergie dont est capable ce quintet à l'instrumentation des plus classiques, mais servie par des musiciens dont les noms apparaissent dans de nombreuses formations excitantes des deux côtés de l'Atlantique : outre les deux sus-cités, Magnus Broo (tp) et la solide paire rythmique Ingebrigt Håker Flaten (cb) / Paal Nilssen-Love (dms). Avec eux, le jazz est une tradition bien vivante.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman - Oblivia (Tzadik)
Duo sur scène et couple à la ville, la pianiste suisse et le violoniste américain nous ont enchantés ces dernières années sur les compositions de John Zorn pour Masada ou au sein d'ensembles plus vastes menées par Sylvie (Abaton en trio, Lonelyville en quintet). Il manquait cependant une pierre à leur édifice commun, un disque en duo documentant leurs propres compositions afin de pouvoir prolonger ce qu'on avait déjà eu l'occasion d'entendre en concert. C'est chose faite depuis le début de l'année grâce à Tzadik. Le répertoire du disque alterne les pièces courtes, marquées du sceau de l'improvisation et d'ailleurs cosignées des deux musiciens, et les compositions plus longues, quasiment toutes signées de la pianiste (cinq pour une de Mark pour être précis). Les couleurs de la musique sont extrêmement changeantes, du temps suspendu qui plane sur le délicat Bassorah, au dynamisme chatoyant de Messiaenesque, du romantisme à peine voilé de Purveyors au ludisme éphémère de courtes pièces bruitistes comme Samarcande ou Fontanelle. On retrouve néanmoins à chaque fois les caractéristiques premières du duo : l'attention portée au moindre petit bruit, à la poésie des sons et du silence, et à la progression sans digression inutile du discours musical. Les cinquante minutes du disque passent alors très vite et, arrivé à la fin, on n'a envie que d'une seule chose : réécouter encore un peu de la magie qui s'échappe des cordes sensibles - frappées, pincées, frottées, caressées, effleurées - du duo.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet - To Fly To Steal (Intakt)
Quoi de mieux, pour poursuivre la magie, qu'un autre disque du couple Courvoisier/Feldman ? Le label suisse Intakt, quelques semaines à peine après la parution d'Oblivia, a publié ce disque en quartet. Sylvie et Mark y sont accompagnés par une "classique" paire rythmique contrebasse/batterie. Enfin, pas si classique que ça dans son approche. Thomas Morgan et Gerry Hemingway sont bien loin de "tenir" le rythme derrière des leaders en pleine lumière. On est en présence d'une musique qui s'élabore à quatre. Sur les sept morceaux que compte le disque, trois sont d'ailleurs co-signés par les quatre musiciens. Le geste improvisé est collectif. Les combinaisons se font et se défont constamment, chacun ponctue le discours commun tour à tour, y apportant un accent, un contrepoint ou une note surprise. Le disque s'ouvre et se ferme sur des compositions de Sylvie, dont l'inaugural Messiaenesque, déjà présent sur Oblivia. En son cœur, on y trouve deux compositions de Mark Feldman dont la poignante Five Senses of Keen, parcourue par une mélodie retenue, comme en sourdine, triste comme un violon yiddish d'après la catastrophe, isolé dans un monde tombé en ruines, qui débouche sur la confrontation pointilliste de Fire, Fist and Bestial Wail, improvisation ponctuée de phrases désarticulées du piano, de la contrebasse et de la batterie. Vingt minutes intenses. Assurément un disque qui fera date.
Pascal Dusapin - Sept solos pour orchestre (Naïve)
La composition de ce cycle des sept formes s'étale de 1992 à 2009. Dusapin a ainsi trouvé le moyen de composer, avec le temps, une large pièce aux dimensions symphoniques, tout en respectant les formats courts (dix à vingt minutes) bien souvent imposés aux commandes de musique contemporaine. La création du dernier solo, Uncut (2009), avait lieu l'année dernière à la Cité de la Musique, et j'y étais. Pour l'occasion, l'Orchestre Philharmonique de Liège Wallonie Bruxelles dirigé par Pascal Rophé donnait pour la première fois à entendre l'ensemble des sept pièces. On retrouve le même orchestre sur le disque (2 CDs) qui permet de plonger en profondeur dans la riche matière sonore rendue extrêmement malléable par l'écriture de Dusapin. La musique se déploie en vagues successives, pleines de tension et d'énergies tour à tour contenues et comme déversées sur l'orchestre. Les sons semblent se plier, se déplier, se replier selon d'autres plis. Tout est histoire de flux et reflux, aussi bien horizontaux (mélodiques) que verticaux (harmoniques). D'un solos à l'autre on retrouve des éléments communs, mais à chaque fois agencés différemment. La "symphonie" qui en émerge semble alors avancer tout en revenant sans cesse aux mêmes endroits, comme prisonnière d'un étrange labyrinthe sonique. Les repères sont brouillés, l'équilibre toujours instable, et la surprise jaillit à chaque détour. Dusapin joue avec la matière orchestrale tel un sculpteur cubiste et nous plonge au cœur d'une œuvre au long cours résolument contemporaine et pourtant clairement reliée à la grande tradition symphonique classique. Magistral.
Marty Ehrlich - Fables (Tzadik)
Si seul le nom du saxophoniste et clarinettiste apparaît sur la tranche de ce deuxième opus qu'il enregistre pour la série Radical Jewish Culture de Tzadik, il s'agit ici avant tout d'un duo avec le pianiste et accordéoniste Hankus Netsky. Ce dernier est le fondateur du Klezmer Conservatory Band, groupe botsonien fondé au début des années 80 qui perpétue la tradition yiddish depuis trente ans. On est pourtant assez loin de la tradition ici. Pas dans une veine moderniste qui ferait se confronter klezmer et rythmes jazz, funk ou rock non plus. Plutôt dans un au-delà très personnel, sensible et spirituel. Comme si les deux amis avaient pris véritablement au pied de la lettre la définition zornienne de la série : jewish music beyond klezmer. L'ensemble sonne à la fois extrêmement familier, plein de résonances de musiques d'hier, et véritablement créatif, grâce à une écriture personnelle affirmée. Sur son blog Free Jazz, l'incontournable Stef concluait sa chronique du disque de la sorte : Don't underestimate the feat : it is incredibly difficult to turn the familiar into something so authentic, personal and fresh. A major achievement. On ne peut qu'approuver.
Jean-Marc Foltz, Matt Turner, Bill Carrothers - To the Moon (Ayler)
Dix vignettes crépusculaires, improvisées par une froide journée d'hiver 2008 à Minneapolis, qui dessinent une musique de chambre mystérieuse et racée. Dans les notes de pochette, Jean-Marc Foltz évoque le Pierrot Lunaire d'Albert Giraud - qui inspira en son temps Schönberg - non comme un programme prédéfini, mais comme de possibles correspondances qui surgissent après coup, à la réécoute. La musique surgit comme dans un entre-deux des styles, ni particulièrement jazz, ni tout à fait classique, juste inspirée par l'instant, le climat et l'air du temps. Les clarinettes de Foltz s'immiscent dans la nuit, caressantes ici, plus tranchantes là, portées par le piano obsessionnel, minimaliste ou percussif, de Bill Carrothers. Matt Turner les enrobe de son violoncelle passionné, entre rondeur boisée et étirement du temps. Le trio fait entendre une certaine idée de la délicatesse, bien loin de toute sensiblerie. Une musique qui touche par sa justesse. Évidente, calme, pudique.
Ben Goldberg Quartet - Baal (Tzadik)
Tzadik poursuit la publication de disques documentant le Book of Angels, second songbook de Masada composé par John Zorn. 2010 aura même été une année particulièrement prolifique avec quatre nouveaux opus : le quatuor vocal féminin de Mycale pour le 13e volume, le surf rock exotique de The Dreamers pour le 14e, les cordes familières du Masada String Trio pour le 16e, et donc ce quartet assemblé par Ben Goldberg pour le 15e. Un juste retour des choses vue l'influence revendiquée du New Klezmer Trio du clarinettiste sur l'aventure Masada. Ce nouveau disque voit la plus récente déclinaison du trio de Ben Golberg augmentée du piano de Jamie Saft qui avait fait sensation sur le premier volume de la série en 2005. La formule instrumentale assemblée ici (cl, p, cb, dms) me plaît particulièrement et permet une incarnation idéale du répertoire masadien. Si jazz et klezmer en sont la source évidente, la musique se dévoile dans un au-delà des genres - à la manière de Marty Ehrlich ci-dessus - qui brille par ses couleurs, son dynamisme et son sens de l'espace. La musique rebondit dans tous les sens, dérape ici, se fait plus climatique là, jaillit brusquement après un passage plus méditatif, et met en valeur la complémentarité de timbre des instruments avec éclat.
Alexandra Grimal - Seminare Vento (Free Lance)
Après le trio électrique avec Antonin Rayon et Emmanuel Scarpa documenté en 2008, Alexandra Grimal a fait paraître cette année un disque de son quartet acoustique pan-européen où l'on retrouve le pianiste Giovanni di Domenico, le contrebassiste Manolo Cabras et le batteur Joao Lobo. Mes fidèles lecteurs (s'il en reste malgré les changements de support) savent déjà mon goût pour les compositions et le jeu de la saxophoniste. Étonnamment, je n'ai pourtant assisté à aucun de ses concerts cette année, faute d'agendas concordants. Le support discographique pallie en partie ce manque et permet de prendre des nouvelles d'un groupe vu à plusieurs reprises sur scène durant la période de "maturation" du disque. Les trois premiers morceaux laissent entendre le goût de la retenue et des silences développé par ces quatre musiciens, ainsi que l'héritage shorterien évident. Par la suite, le disque trouve un équilibre caractéristique d'Alexandra, toujours sur la brèche, in'n'out, entre attaques franches et mélodies sensibles. L'agencement des titres faits que parmi les cinq premiers, un seul est signé de la saxophoniste alors que les cinq derniers sont tous de sa plume. Comme si se révélait progressivement sa personnalité, tout d'abord nourrie des apports de ses camarades de jeu, puis plus affirmée, sûre d'elle même et de sa singularité. En tout cas, déjà un grand disque.
Mary Halvorson Quintet - Saturn Sings (Firehouse 12)
D'année en année, le nom de Mary Halvorson grandit à mesure qu'elle occupe une place de plus en plus centrale dans le cercle restreint des musiques innovantes. D'abord un nom repéré au sein des ensembles d'Anthony Braxton, puis une pierre angulaire des formations de Taylor Ho Bynum, et enfin la révélation de son premier disque en leader, l'excellent Dragon's Head en trio paru il y a deux ans. Depuis le choc provoqué par ce disque, je la suis avec la plus grande attention, jusqu'à avoir fait le déplacement à Saalfelden cet été principalement pour pouvoir l'apprécier dans trois formations différentes. C'est donc dans la petite ville autrichienne que je lui ai acheté ce nouveau disque, prolongement idéal de son précédent opus en leader. Elle y retrouve son trio formé de John Hébert à la contrebasse et Ches Smith à la batterie auxquels s'ajoutent Jonathan Finlayson (tp) et Jon Irabagon (as). L'écriture de la guitariste est réellement originale, faite de subtils déséquilibres rythmiques et mélodiques, acidulée sans ne jamais tombée dans l'agressivité gratuite, variant les intensités et provoquant sans cesse des décalages qui font de chaque phrase une surprise. L'adjonction des deux souffleurs permet à Mary de démultiplier un peu plus le champ des possibles, en jouant sur les contrastes et les dérapages, sans que ses morceaux ne perdent jamais leur groove subtil qui semble les faire avancer. S'il ne fallait retenir qu'un disque cette année...
Chris Lightcap's BigMouth - Deluxe (Clean Feed)
Le BigMouth de Chris Lightcap nous avait déjà accroché l'oreille avec son premier disque paru en 2002 sur Fresh Sound New Talent. Huit ans après, le quartet à deux ténors a grandi et se présente sous la forme d'un quintet par l'adjonction de Craig Taborn au piano (principalement électrique). Le groupe se transforme même en sextet le temps de trois morceaux sur lesquels Andrew D'Angelo s'illustre au sax alto aux côtés des ténors de Tony Malaby et Chris Cheek. Les compositions du contrebassiste n'ont rien perdu de leur belle lisibilité mélodique. Avec l'instrumentation étendue, la musique du groupe trouve même une ampleur très chaleureuse, servie par la rondeur des sons du Wurlitzer de Taborn et des deux ténors. Il y a un côté quasiment pop dans cette musique, par son évidence mélodique et son caractère doucement dansant, sans jamais que cela ne soit pour autant synonyme de facilité ni de prêt-à-écouter. Le disque navigue dans des contrées déjà explorées récemment par David Binney, Donny McCaslin, Kneebody ou le Chris Potter Underground. Un jazz qui mêle attitude cool (Chris Cheek en héritier) et jeu sur les brèches (Tony Malaby en équilibriste), servi par un groove tranquille et addictif.
Vienna Art Orchestra - The Minimalism of Erik Satie (Hat Hut)
Alors que cet été Mathias Rüegg annonçait la dislocation de son orchestre trentenaire faute de financement, Hat Hut rééditait un disque fondateur, enregistré en 1983-84. Première d'une longue série d'incursions du VAO dans le répertoire classique, elle a tout du manifeste. Il ne s'agit pas ici de "jazzifier" les compositions de Satie, ni de les déconstruire sous les coups d'improvisations rageuses. Rüegg démontre plutôt tout son talent d'arrangeur. Les partitions de Satie sont brièvement exposées en ouverture des morceaux (pendant une à deux minutes la plupart du temps), avant que l'orchestre n'entame ses "Reflexions on" dans un langage qui doit autant à l'art du big band qu'aux free forms les plus sophistiquées des musiques improvisées européennes. On retrouve ici le VAO première formule avec quatre cuivres, trois anches (dont Harry Sokal et Wolfgang Puschnig), le vibraphone de Woody Schabata, les percussions de Wolfgang Reisinger et les merveilleuses inventions vocales de Lauren Newton. Soit un orchestre de jazz qui s'autorise l'absence de piano, contrebasse et batterie et dégage, par conséquent, un sentiment de liberté joyeuse, loin de tous les carcans et clichés du classique à la mode jazz.
mardi 28 décembre 2010
mardi 23 novembre 2010
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet @ Sunside, dimanche 21 novembre 2010
Quelques semaines après leur passage par Saalfelden, Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Thomas Morgan et Gerry Hemingway revenaient sur le vieux continent avec notamment une étape parisienne dimanche soir au Sunside. Leur disque commun est sorti en début d'année et leur concert estival reste suffisamment frais dans ma mémoire pour me retrouver... surpris par la musique proposée. En effet, sur deux longs sets, beaucoup de morceaux inédits et encore plus d'improvisations renouvelées. Aucune redite. S'ils interprètent bien Messiaenesque de Sylvie et The Good Life de Mark, présents sur To Fly To Steal (Intakt, 2010) et joués cet été, le reste est de l'ordre de l'inouïe. Et même sur ces terrains "balisés" on est bien loin du parcours fléché.
Le concert commence ainsi par une nouvelle composition de Sylvie : un "nouveau piece sans title" comme le dit Mark en faisant l'effort de parler français. Ce premier morceau est assez typique de la collaboration artistique du violoniste et de la pianiste. Tandis que lui alimente son jeu d'une expressivité post-romantique agrémentée de divers frottements et pincements, elle s'attache à mettre en place une tension rythmique dynamique, jouant sur tous les registres et toutes les techniques permis par le piano. La paire rythmique ponctue avec légèreté le discours laissé aux deux leaders sur cette entame. Les (r)apports de forces s'équilibrent par la suite grâce aux libertés prises par Hemingway notamment. Le traitement de Messiaenesque conduit ainsi le groupe à en proposer une vision complètement explosée, aux longues dérives bruitistes, juste entrecoupées de bref rappels de l'obsédant thème par le violon de Mark Feldman. La composition de Sylvie semble se décomposer dans l'instant. Elle se retrouve dispersée en mille morceaux, avec néanmoins cette sempiternelle phrase qui résiste, et ne semble pas vouloir mourir.
Le sommet du concert est atteint avec le troisième long morceau (plus d'une demi-heure ?) qui conclut le premier set. Mark Feldman commence en solo, dans le dévoilement progressif d'un relief mélodique vallonné, légèrement accidenté, mais qui conserve toute sa lisibilité. Les trois autres entrent très progressivement dans le morceau, jouant le plus délicatement possible. Sylvie frotte alors très légèrement les cordes du piano, dans un va-et-viens soyeux mais néanmoins obsessionnel. Elle maintient ainsi une tension, plus suggérée qu'explicite, qui n'en trouve que plus de force. Gerry Hemingway semble, lui, souffler dans un petit appeau au son délicat. Comme une légère brise dans les feuilles symbolisées par les vibrations des cordes du piano. Thomas Morgan n'intervient lui aussi qu'avec parcimonie, par une pulsation lâche, quasi fantomatique. L'installation dans la durée de ce climat d'entre deux mondes est propice à emmener avec lui l'esprit de l'auditeur, qui semble alors errer dans un étrange purgatoire, entre mémoire classique et surprise de l'inattendu. Sur le dernier tiers du morceau, le terrain se fait plus accidenté. Piano, contrebasse et batterie voient leurs chemins diverger, proposer pièges et tentations à un violon qui continue de musarder tant bien que mal à travers les embûches rythmiques et les explosions percussives. Magistrale réussite, par la maîtrise du temps et de la dramaturgie, de la forme et de la liberté.
Le deuxième set propose lui aussi trois morceaux, selon des règles - et dérèglements - du jeu similaires, mais néanmoins tout à fait différentes. Impossible de décrire in extenso cette musique où jaillit la vie à tout instant, et où les sentiments les plus divers (mélancolie, gaité, impatience, contemplation...) sont sublimés par le goût de la surprise. Le concert s'achève sur The Good Life et une envolée solitaire de Gerry Hemingway qui, si sur le principe se rapproche de ce que j'avais pu entendre à Saalfelden sur le même morceau, procure toujours son lot de plaisir sauvage en live. Le public, relativement nombreux pour un dimanche soir et pour une musique loin des codes du mainstream, témoigne de son plaisir par de longs applaudissements qui poussent les musiciens à revenir saluer plusieurs fois... ce qui est loin d'être toujours le cas au Sunside !
A lire ailleurs : Ludovic Florin, Bladsurb.
Le concert commence ainsi par une nouvelle composition de Sylvie : un "nouveau piece sans title" comme le dit Mark en faisant l'effort de parler français. Ce premier morceau est assez typique de la collaboration artistique du violoniste et de la pianiste. Tandis que lui alimente son jeu d'une expressivité post-romantique agrémentée de divers frottements et pincements, elle s'attache à mettre en place une tension rythmique dynamique, jouant sur tous les registres et toutes les techniques permis par le piano. La paire rythmique ponctue avec légèreté le discours laissé aux deux leaders sur cette entame. Les (r)apports de forces s'équilibrent par la suite grâce aux libertés prises par Hemingway notamment. Le traitement de Messiaenesque conduit ainsi le groupe à en proposer une vision complètement explosée, aux longues dérives bruitistes, juste entrecoupées de bref rappels de l'obsédant thème par le violon de Mark Feldman. La composition de Sylvie semble se décomposer dans l'instant. Elle se retrouve dispersée en mille morceaux, avec néanmoins cette sempiternelle phrase qui résiste, et ne semble pas vouloir mourir.
Le sommet du concert est atteint avec le troisième long morceau (plus d'une demi-heure ?) qui conclut le premier set. Mark Feldman commence en solo, dans le dévoilement progressif d'un relief mélodique vallonné, légèrement accidenté, mais qui conserve toute sa lisibilité. Les trois autres entrent très progressivement dans le morceau, jouant le plus délicatement possible. Sylvie frotte alors très légèrement les cordes du piano, dans un va-et-viens soyeux mais néanmoins obsessionnel. Elle maintient ainsi une tension, plus suggérée qu'explicite, qui n'en trouve que plus de force. Gerry Hemingway semble, lui, souffler dans un petit appeau au son délicat. Comme une légère brise dans les feuilles symbolisées par les vibrations des cordes du piano. Thomas Morgan n'intervient lui aussi qu'avec parcimonie, par une pulsation lâche, quasi fantomatique. L'installation dans la durée de ce climat d'entre deux mondes est propice à emmener avec lui l'esprit de l'auditeur, qui semble alors errer dans un étrange purgatoire, entre mémoire classique et surprise de l'inattendu. Sur le dernier tiers du morceau, le terrain se fait plus accidenté. Piano, contrebasse et batterie voient leurs chemins diverger, proposer pièges et tentations à un violon qui continue de musarder tant bien que mal à travers les embûches rythmiques et les explosions percussives. Magistrale réussite, par la maîtrise du temps et de la dramaturgie, de la forme et de la liberté.
Le deuxième set propose lui aussi trois morceaux, selon des règles - et dérèglements - du jeu similaires, mais néanmoins tout à fait différentes. Impossible de décrire in extenso cette musique où jaillit la vie à tout instant, et où les sentiments les plus divers (mélancolie, gaité, impatience, contemplation...) sont sublimés par le goût de la surprise. Le concert s'achève sur The Good Life et une envolée solitaire de Gerry Hemingway qui, si sur le principe se rapproche de ce que j'avais pu entendre à Saalfelden sur le même morceau, procure toujours son lot de plaisir sauvage en live. Le public, relativement nombreux pour un dimanche soir et pour une musique loin des codes du mainstream, témoigne de son plaisir par de longs applaudissements qui poussent les musiciens à revenir saluer plusieurs fois... ce qui est loin d'être toujours le cas au Sunside !
A lire ailleurs : Ludovic Florin, Bladsurb.
dimanche 14 novembre 2010
Marc Ribot's Sun Ship @ New Morning, samedi 13 novembre 2010
Après l'hommage à Albert Ayler mené par le guitariste il y a quelques années, on pouvait s'attendre à ce que ce nouveau projet n'en soit que la transcription au répertoire coltranien. Si le groupe a bien interprété des morceaux extraits de l'album posthume de Coltrane dont il tire son nom, la démarche semble différente. Et la différence fondamentale tient au fait qu'il ne s'agit pas ici d'un projet-hommage, mais d'un groupe aux fortes personnalités musicales qui a certes, avec Sun Ship, un point de départ bien précis, mais qui est loin de s'y cantonner.
La première réjouissance offerte par ce quartet en est sa paire rythmique. Jason Ajemian et Chad Taylor, contrebasse et batterie, sont issus de la fertile scène chicagoane (on les a entre autre entendus ensemble au sein du Chicago Underground Trio de Rob Mazurek). Ajemian, notamment, a été énorme durant tout le concert. Très musical, il met sa science des techniques étendues (baguettes coincées entre les cordes, percussions sur le bois et les cordes...) au service du discours d'ensemble et non juste pour le plaisir démonstratif individuel. C'est lui le vrai poumon du groupe, qui maintient l'aspect chantant des compositions quand les deux guitaristes se lancent dans des décalages mélodiques conjoints et complémentaires.
Car l'autre particularité du groupe c'est d'être mené par les douze cordes de Mary Halvorson et Marc Ribot. La présence d'une deuxième guitare à ses côtés semble pousser Ribot à aller au-delà de ses gimmicks habituels. Car, si la répartition des rôles n'est pas égalitaire (aggravée par un problème d'amplification d'Halvorson sur le côté gauche de la scène lors du premier set) et si on retrouve le langage bien particulier de Ribot dans ses solos faits de phrases heurtées très rythmiques, celui-ci élargit aussi la palette des possibles dans les passages où les deux guitares se répondent. L'illustration parfaite en a été l'interprétation magistrale de Dearly Beloved de Coltrane, pleine de spiritualité, dans l'esprit de son auteur, mais dans un langage propre aux musiciens présents. Ajemian et Taylor dressent le cadre solennel en installant lentement le rythme avant de plonger dans une furie bruitiste tandis que les deux guitares se répondent de manière retenue, Halvorson dans une approche acidulée d'abord cotonneuse avant de gagner en tranchant et Ribot obsessionnel autour du thème répétitif et mystique du morceau. Intense.
Au-delà des thèmes de Coltrane, le groupe puise dans les standards (un Stella by Starlight très swing en intro par exemple) et le rythm'n'blues des prétextes à ses décalages vénéneux, bien loin de toute formule. Si la présence d'Halvorson, au niveau de l'intensité sonore, apparaît parfois en retrait, ses interventions font surgir au détour d'une envolée solitaire de Ribot des contrepoints étonnants qui font tout l'intérêt du groupe. Elle se glisse ainsi dans les petits interstices dont elle dispose pour distiller des dissonances jamais brutales, toujours suggérées. Comme une sauce aigre-douce. Après les avoir vus se succéder sur la scène de la Kunsthaus de Saalfelden cet été, il y avait donc un vrai plaisir à les voir partager la même scène pour deux sets pleins de subtiles décalages au milieu d'une musique dense, parfois swinguante, parfois tirant vers le groove. Toujours chantante. Le public ne s'est pas trompé en faisant revenir les musiciens à deux reprises. Permettant au passage à Ribot de témoigner du plaisir qu'il avait à jouer dans cette salle, la première qui l'avait accueilli à Paris pensait-il se souvenir.
A lire ailleurs : Thierry Quénum sur leurs concerts à Tampere (Finlande) et à Strasbourg, et Ludovic Florin sur celui de Paris.
La première réjouissance offerte par ce quartet en est sa paire rythmique. Jason Ajemian et Chad Taylor, contrebasse et batterie, sont issus de la fertile scène chicagoane (on les a entre autre entendus ensemble au sein du Chicago Underground Trio de Rob Mazurek). Ajemian, notamment, a été énorme durant tout le concert. Très musical, il met sa science des techniques étendues (baguettes coincées entre les cordes, percussions sur le bois et les cordes...) au service du discours d'ensemble et non juste pour le plaisir démonstratif individuel. C'est lui le vrai poumon du groupe, qui maintient l'aspect chantant des compositions quand les deux guitaristes se lancent dans des décalages mélodiques conjoints et complémentaires.
Car l'autre particularité du groupe c'est d'être mené par les douze cordes de Mary Halvorson et Marc Ribot. La présence d'une deuxième guitare à ses côtés semble pousser Ribot à aller au-delà de ses gimmicks habituels. Car, si la répartition des rôles n'est pas égalitaire (aggravée par un problème d'amplification d'Halvorson sur le côté gauche de la scène lors du premier set) et si on retrouve le langage bien particulier de Ribot dans ses solos faits de phrases heurtées très rythmiques, celui-ci élargit aussi la palette des possibles dans les passages où les deux guitares se répondent. L'illustration parfaite en a été l'interprétation magistrale de Dearly Beloved de Coltrane, pleine de spiritualité, dans l'esprit de son auteur, mais dans un langage propre aux musiciens présents. Ajemian et Taylor dressent le cadre solennel en installant lentement le rythme avant de plonger dans une furie bruitiste tandis que les deux guitares se répondent de manière retenue, Halvorson dans une approche acidulée d'abord cotonneuse avant de gagner en tranchant et Ribot obsessionnel autour du thème répétitif et mystique du morceau. Intense.
Au-delà des thèmes de Coltrane, le groupe puise dans les standards (un Stella by Starlight très swing en intro par exemple) et le rythm'n'blues des prétextes à ses décalages vénéneux, bien loin de toute formule. Si la présence d'Halvorson, au niveau de l'intensité sonore, apparaît parfois en retrait, ses interventions font surgir au détour d'une envolée solitaire de Ribot des contrepoints étonnants qui font tout l'intérêt du groupe. Elle se glisse ainsi dans les petits interstices dont elle dispose pour distiller des dissonances jamais brutales, toujours suggérées. Comme une sauce aigre-douce. Après les avoir vus se succéder sur la scène de la Kunsthaus de Saalfelden cet été, il y avait donc un vrai plaisir à les voir partager la même scène pour deux sets pleins de subtiles décalages au milieu d'une musique dense, parfois swinguante, parfois tirant vers le groove. Toujours chantante. Le public ne s'est pas trompé en faisant revenir les musiciens à deux reprises. Permettant au passage à Ribot de témoigner du plaisir qu'il avait à jouer dans cette salle, la première qui l'avait accueilli à Paris pensait-il se souvenir.
A lire ailleurs : Thierry Quénum sur leurs concerts à Tampere (Finlande) et à Strasbourg, et Ludovic Florin sur celui de Paris.
vendredi 29 octobre 2010
Wayne Shorter Quartet @ Théâtre du Châtelet, mardi 26 octobre 2010
Le rythme s'accélère. Le batteur entre en transe. Tombe sur ses toms de tout son poids. Frappe, frappe, frappe. La densité du son libère la sauvagerie jusque là contenue. Brian Blade déborde du cadre. Le rythme s'accélère. Le pianiste plaque des accords répétitifs avec véhémence. Ses inflexions percussives irradient la salle plongée dans un décor bleu nuit d'une lumière vive, tropicale, presque aveuglante. Danilo Perez déborde du cadre. Le rythme s'accélère. Le contrebassiste, rigolard, ouvre la terre sous son slap violent. L'énormité du son fait trembler de plaisir ses complices d'orage. John Patitucci déborde du cadre.
Un éclair de soprano déchire ce ciel chargé d'électricité. La foudre de Wayne Shorter rappelle les ambiances climatiques qu'il inventait, entre deux mondes, à la fin des années 60 (Supernova, Bitches Brew, le premier Weather Report).
Le rythme s'accélère. De triennal (Parc Floral 2003, Châtelet 2006, Pleyel 2009), il devient bisannuel (La Défense en juin, le Châtelet en octobre), plein du souvenir de l'abandon des rythmes ternaires pour l'explosion binaire du jazz-rock naissant, encore loin de tout formatage. Le rythme s'accélère. Celui du renouveau permanent. On l'avait connu parcimonieux dans ses interventions, plus pointilliste qu'expressionniste, laissant libre cours aux développements de ses sidemen, Shorter nous revient au centre du discours, très présent dans la mise en place de l'architecture des morceaux. Il réinvente sans cesse son répertoire - se réinvente - faisant au passage un détour par le Brésil de Milton Nascimento, avec qui il grava Native Dancer en 1974, qui a bien entendu tout pour me plaire.
Un concert bien différent des précédents, notamment dans l'équilibre du groupe, mais qui atteint lui aussi très vite les sommets de magie télépathique dont est capable ce quartet depuis dix ans qu'il joue ensemble. Au plaisir de pouvoir apprécier une nouvelle fois dans une belle salle une musique qui sait allier avec tant d'élégance sauvagerie et finesse s'ajoute ainsi le plaisir de découvrir qu'elle n'est en rien figée dans une quelconque formule. Le rythme s'accélère. Et nous nous laissons emporter.
A lire ailleurs : Alex Dutilh.
Un éclair de soprano déchire ce ciel chargé d'électricité. La foudre de Wayne Shorter rappelle les ambiances climatiques qu'il inventait, entre deux mondes, à la fin des années 60 (Supernova, Bitches Brew, le premier Weather Report).
Le rythme s'accélère. De triennal (Parc Floral 2003, Châtelet 2006, Pleyel 2009), il devient bisannuel (La Défense en juin, le Châtelet en octobre), plein du souvenir de l'abandon des rythmes ternaires pour l'explosion binaire du jazz-rock naissant, encore loin de tout formatage. Le rythme s'accélère. Celui du renouveau permanent. On l'avait connu parcimonieux dans ses interventions, plus pointilliste qu'expressionniste, laissant libre cours aux développements de ses sidemen, Shorter nous revient au centre du discours, très présent dans la mise en place de l'architecture des morceaux. Il réinvente sans cesse son répertoire - se réinvente - faisant au passage un détour par le Brésil de Milton Nascimento, avec qui il grava Native Dancer en 1974, qui a bien entendu tout pour me plaire.
Un concert bien différent des précédents, notamment dans l'équilibre du groupe, mais qui atteint lui aussi très vite les sommets de magie télépathique dont est capable ce quartet depuis dix ans qu'il joue ensemble. Au plaisir de pouvoir apprécier une nouvelle fois dans une belle salle une musique qui sait allier avec tant d'élégance sauvagerie et finesse s'ajoute ainsi le plaisir de découvrir qu'elle n'est en rien figée dans une quelconque formule. Le rythme s'accélère. Et nous nous laissons emporter.
A lire ailleurs : Alex Dutilh.
lundi 25 octobre 2010
John Hébert's Byzantine Monkey @ Musée du Quai Branly, samedi 23 octobre 2010
John Hébert tient à son accent aigu. Le contrebassiste explique entre deux morceaux que sans lui on le prend, même ici en France, pour un Allemand. Or John Hébert est cajun. S'il ne parle pas ce français coloré d'outre-atlantique, il cite en revanche à plusieurs reprises des mélodies traditionnelles dans sa musique. Le premier morceau voit ainsi s'enrouler les saxophones de Michael Attias (alto) et Tony Malaby (ténor et soprano) autour de la voix samplée d'une vieille acadienne qui chante La reine de la salle. On est néanmoins loin d'une approche revivaliste. Les quelques samples utilisés au cours du concert surgissent au cœur de l'improvisation comme les fantômes d'une mémoire engloutie, aussitôt ingurgités et transfigurés par les musiciens sous de nouvelles formes. Cet aller et retour entre racines et improvisation est au centre des attentions du "Byzantine Monkey", surnom surréaliste que le contrebassiste a hérité de sa femme. Michael Attias précisera après le concert que le traitement libre des formes proposées par Hébert est le même qu'il s'agisse d'un sample ou d'une composition originale. Chacun des musiciens prend en compte les informations qu'il reçoit pour les incorporer à son langage, sa fantaisie du moment, et construire avec les autres un dialogue autour de ce sujet commun. Pour brouiller encore un peu plus les pistes entre folklores et modernité, Tony Malaby insiste lui sur la nature folklorique new-yorkaise de leur musique. Les sons de la Big Apple qu'ils perçoivent de leurs appartements sont indissociables de leur langage sur l'instrument et la concentration de jazzmen réunis à New York leur permet un échange fructueux, impossible ailleurs, qui participe de la création d'une musique authentiquement new-yorkaise.
Poussé par les souffles entrelacés des deux saxophonistes, la musique fait aussi la part belle à une paire rythmique très chantante. L'absence d'instrument harmonique laisse beaucoup de place au jeu mélodique du leader. C'est lui qui le plus souvent cite les chansons traditionnelles avant que les saxophones n'en fassent leur terrain d'exploration. La plasticité de son jeu et sa large palette sonore captivent comme peu de contrebassistes peuvent le faire. On avait déjà eu l'occasion de l'apprécier aux côtés d'Andrew Hill (pour son dernier concert parisien) ou plus récemment avec Mary Halvorson. Il ajoute à son arc un rôle de compositeur-aiguilleur particulièrement riche, original dans le matériau traité, enthousiasmant dans la forme qu'il prend. A ses côtés, le batteur Satoshi Takeishi met à profit sa science percussive (on le croise plus souvent percussionniste que pur batteur), et fait notamment des merveilles lors d'un passage à main nues, produisant autant de la chanson que du rythme dans ses interventions. La dimension sonore du groupe - concentrée mais dégageant une énergie rayonnante - doit bien entendu beaucoup à l'aura des deux souffleurs. On connaît la fougue toujours sur la brèche de Malaby, on découvre sur scène les subtils sinuosités d'Attias à l'alto. L'entrelacement des lignes des deux saxophonistes fait décoller à plus d'une reprise la musique. Car, s'ils excellent bien entendu comme solistes, c'est par la conjugaison de leurs forces qu'ils créent l'identité sonore de Byzantine Monkey. Au cœur du jazz contemporain, du folklore new-yorkais, et pourtant diablement différente des autres formes qu'il peut prendre aujourd'hui.
Comme la veille, les caméras d'Arte Live Web étaient présentes pour conserver un petit souvenir.
Poussé par les souffles entrelacés des deux saxophonistes, la musique fait aussi la part belle à une paire rythmique très chantante. L'absence d'instrument harmonique laisse beaucoup de place au jeu mélodique du leader. C'est lui qui le plus souvent cite les chansons traditionnelles avant que les saxophones n'en fassent leur terrain d'exploration. La plasticité de son jeu et sa large palette sonore captivent comme peu de contrebassistes peuvent le faire. On avait déjà eu l'occasion de l'apprécier aux côtés d'Andrew Hill (pour son dernier concert parisien) ou plus récemment avec Mary Halvorson. Il ajoute à son arc un rôle de compositeur-aiguilleur particulièrement riche, original dans le matériau traité, enthousiasmant dans la forme qu'il prend. A ses côtés, le batteur Satoshi Takeishi met à profit sa science percussive (on le croise plus souvent percussionniste que pur batteur), et fait notamment des merveilles lors d'un passage à main nues, produisant autant de la chanson que du rythme dans ses interventions. La dimension sonore du groupe - concentrée mais dégageant une énergie rayonnante - doit bien entendu beaucoup à l'aura des deux souffleurs. On connaît la fougue toujours sur la brèche de Malaby, on découvre sur scène les subtils sinuosités d'Attias à l'alto. L'entrelacement des lignes des deux saxophonistes fait décoller à plus d'une reprise la musique. Car, s'ils excellent bien entendu comme solistes, c'est par la conjugaison de leurs forces qu'ils créent l'identité sonore de Byzantine Monkey. Au cœur du jazz contemporain, du folklore new-yorkais, et pourtant diablement différente des autres formes qu'il peut prendre aujourd'hui.
Comme la veille, les caméras d'Arte Live Web étaient présentes pour conserver un petit souvenir.
dimanche 24 octobre 2010
Tyshawn Sorey Quartet @ Musée du Quai Branly, vendredi 22 octobre 2010
L'année dernière le Musée du Quai Branly avait accueilli l'exposition "Le siècle du jazz" consacrée aux interactions entre le jazz et les autres formes d'art. Après avoir regardé le XXe siècle dans le rétroviseur, le musée organise cette saison une série de concerts tournée vers le présent - américain - de cette musique. Je ne comprends toujours pas ce que le jazz fait dans un musée consacré aux arts premiers et aux cultures extra-occidentales, lui qui est l'une des expressions artistiques les plus nettement ancrées dans le XXe siècle américain, mais les affiches proposées sont belles, et les artistes souvent rares à Paris, alors profitons-en. Un peu plus tard dans la saison se produiront notamment Steve Lehman, Matana Roberts ou Rob Mazurek. Alléchant. Tyshawn Sorey ouvrait la programmation vendredi à la tête d'un quartet là aussi particulièrement intéressant sur le papier : John Escreet au piano, Aaron Stewart au ténor et surtout Taylor Ho Bynum aux cornet et bugle.
J'avais découvert Tyshawn Sorey il y a déjà quelques années (2003, peut-être) omniprésent derrière sa batterie aux côté de Steve Coleman. A l'époque, sa présence de tous les instants et sa puissance de frappe écrasaient presque la musique des Five Elements. Quelle surprise de le retrouver ici au centre d'une composition laissant beaucoup de place au silence et jouant le plus souvent sur les infrasons. Comme si la fougue d'hier, imprégnée de rythmes venus du hip hop, avait laissé la place à une science de l'agencement des sons directement inspirée par la musique contemporaine. Dans l'intéressante conversation avec le public qui suit le concert, le batteur fait part de son intérêt, depuis cinq ans, pour les "extended forms" où composition et improvisation se mêlent et cite les influences primordiales de Charles Mingus, Roscoe Mitchell et Anthony Braxton. Pas étonnant dans ce contexte de retrouver Taylor Ho Bynum, grandi musicalement aux côtés de Braxton.
Le concert débute par la répétition de phrases minimalistes au piano par John Escreet, comme une invocation rituelle destinée à créer les conditions de l'écoute et de l'échange. Progressivement saxophone et cornet entrent à pas feutrés dans la musique - le feutre d'un chapeau servant d'ailleurs de sourdine à Taylor Ho Bynum. Les sons sont étouffés, à peine suggérés. Tyshawn Sorey intervient plus au trombone qu'à la batterie - qu'il ne fera qu'effleurer tout au long du concert préférant d'autres percussions (gongs, vibraphone) s'inscrivant mieux dans la fluidité très liquide de la musique - ce qui crée par l'addition des souffles murmurés une impression de flottement autour des notes égrenées par le pianiste. La musique offre peu de prises à l'auditeur et exige de lui concentration. Cette même exigence se retrouve pour les musiciens, comme le note Tyshawn Sorey au cours de la discussion. Il s'agit ici de maintenir sur la longue durée (près d'une heure et demi ininterrompue) la curiosité des interprètes pour qu'ils proposent un matériel toujours changeant. Le batteur-compositeur insiste également sur la théâtralité de la performance : ses grandes frappes sur les gongs évoquent ainsi d'étranges rituels chamaniques où le caractère visuel est au moins aussi important que le son produit. Taylor Ho Bynum joue aussi avec l'aspect visuel de la représentation. Il se ballade dans la salle, monte les escaliers, va faire un tour derrière le rideau, glisse de l'eau dans son cornet pour en sortir des sons aquatiques... Insaisissable, la musique surgit de-ci de-là, s'élaborant à partir des idées suggérées par les uns et les autres, avant de s'éclipser quelques instants le temps qu'émerge une nouvelle direction. On est très loin de la musique que le batteur aime à jouer en tant que sideman (on pense à l'architecture rythmique très structurée de Fieldwork par exemple). Plutôt dans un prolongement de certaines expériences post-free des années 70 où les notions de composition et d'improvisation disparaissent pour ressurgir transfigurées sous les vocables imprécis d'instant composition ou d'extended forms. Philippe Carles parle d'acte sur le site de Jazz Magazine, ce qui rend bien compte de la dimension au-delà de la seule musique qui sous-tend la performance du quartet.
Comme la vue est aussi essentielle que l'ouïe pour ce genre d'expérience, Arte Live Web a eu la bonne idée de filmer le concert. Avis aux curieux.
J'avais découvert Tyshawn Sorey il y a déjà quelques années (2003, peut-être) omniprésent derrière sa batterie aux côté de Steve Coleman. A l'époque, sa présence de tous les instants et sa puissance de frappe écrasaient presque la musique des Five Elements. Quelle surprise de le retrouver ici au centre d'une composition laissant beaucoup de place au silence et jouant le plus souvent sur les infrasons. Comme si la fougue d'hier, imprégnée de rythmes venus du hip hop, avait laissé la place à une science de l'agencement des sons directement inspirée par la musique contemporaine. Dans l'intéressante conversation avec le public qui suit le concert, le batteur fait part de son intérêt, depuis cinq ans, pour les "extended forms" où composition et improvisation se mêlent et cite les influences primordiales de Charles Mingus, Roscoe Mitchell et Anthony Braxton. Pas étonnant dans ce contexte de retrouver Taylor Ho Bynum, grandi musicalement aux côtés de Braxton.
Le concert débute par la répétition de phrases minimalistes au piano par John Escreet, comme une invocation rituelle destinée à créer les conditions de l'écoute et de l'échange. Progressivement saxophone et cornet entrent à pas feutrés dans la musique - le feutre d'un chapeau servant d'ailleurs de sourdine à Taylor Ho Bynum. Les sons sont étouffés, à peine suggérés. Tyshawn Sorey intervient plus au trombone qu'à la batterie - qu'il ne fera qu'effleurer tout au long du concert préférant d'autres percussions (gongs, vibraphone) s'inscrivant mieux dans la fluidité très liquide de la musique - ce qui crée par l'addition des souffles murmurés une impression de flottement autour des notes égrenées par le pianiste. La musique offre peu de prises à l'auditeur et exige de lui concentration. Cette même exigence se retrouve pour les musiciens, comme le note Tyshawn Sorey au cours de la discussion. Il s'agit ici de maintenir sur la longue durée (près d'une heure et demi ininterrompue) la curiosité des interprètes pour qu'ils proposent un matériel toujours changeant. Le batteur-compositeur insiste également sur la théâtralité de la performance : ses grandes frappes sur les gongs évoquent ainsi d'étranges rituels chamaniques où le caractère visuel est au moins aussi important que le son produit. Taylor Ho Bynum joue aussi avec l'aspect visuel de la représentation. Il se ballade dans la salle, monte les escaliers, va faire un tour derrière le rideau, glisse de l'eau dans son cornet pour en sortir des sons aquatiques... Insaisissable, la musique surgit de-ci de-là, s'élaborant à partir des idées suggérées par les uns et les autres, avant de s'éclipser quelques instants le temps qu'émerge une nouvelle direction. On est très loin de la musique que le batteur aime à jouer en tant que sideman (on pense à l'architecture rythmique très structurée de Fieldwork par exemple). Plutôt dans un prolongement de certaines expériences post-free des années 70 où les notions de composition et d'improvisation disparaissent pour ressurgir transfigurées sous les vocables imprécis d'instant composition ou d'extended forms. Philippe Carles parle d'acte sur le site de Jazz Magazine, ce qui rend bien compte de la dimension au-delà de la seule musique qui sous-tend la performance du quartet.
Comme la vue est aussi essentielle que l'ouïe pour ce genre d'expérience, Arte Live Web a eu la bonne idée de filmer le concert. Avis aux curieux.
lundi 6 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 4e jour (2/2), dimanche 29 août 2010
Taylor Ho Bynum Sextet, Congress, 19h00
Quelle musique ! Quel groupe ! Quels solistes ! L'intelligence de l'écriture, des arrangements et des combinaisons instrumentales débouche sur un plaisir évident, contagieux. Le sextet assemblé par le cornetiste sert une écriture inventive, originale et moderne, parlant la langue du jazz et lui offrant de nouveaux élans ouverts sur un ailleurs encore vierge. Véritable apothéose du festival, la longue suite de 45 minutes déployée par le groupe joue sur les combinaisons et les timbres des instruments, entre mémoire et inouï. Les solos de sax alto de Jim Hobbs brûlent du souvenir du Liberation Music Orchestra. Le dialogue entre le trombone basse de Bill Lowe et le cornet du leader est tout en subtilité, sourdines partagées et murmures poétiques échangées. La ponctuation de la guitare de Mary Halvorson offre des contrepoints décalés, plongeant l'ensemble dans un équilibre instable dont surgit une séduction vénéneuse, quand la rondeur de la contrebasse de Ken Filiano maintient le lien primordiale avec la terre-mère nourricière. Quant à Tomas Fujiwara, son drive est aussi élégant que son allure. Moteur continu du sextet, il renouvelle le langage de la batterie jazz. Au-delà de l'impression fort agréable de côtoyer la beauté pendant une petite heure, c'est vraiment l'originalité de l'écriture de Taylor Ho Bynum qui fait tout l'intérêt de cette musique. Rien de révolutionnaire en apparence, mais une qualité de renouvellement de l'écoute au fil des minutes grâce à des développements sans cesse surprenants rarement atteinte sur une aussi longue durée. En complément, ils nous offrent des variations autour d'un blues qui laissent entrevoir ce qu'aurait pu produire Mingus à partir du langage du jazz contemporain. La dédicace à Bill Dixon, comme pour l'Exploding Star Orchestra la veille, finit de relier histoire et futur du jazz, dans un élan qui ne se contente ni de l'un ni de l'autre mais embrasse l'ensemble pour faire durer le plaisir du temps présent.
Odean Pope & Odean's List, Congress, 20h30
Après les beautés irisées du setxet de Taylor Ho Bynum, il est quasiment impossible de venir conclure le festival. C'est pourtant la tâche qui incombe au saxophoniste Odean Pope, vétéran de 71 ans longtemps partenaire de jeu de Max Roach. Après avoir exploré pendant quatre jours les possibles du jazz contemporain, le festival s'achève étrangement sur un concert qui rencontre tous les codes (les clichés ?) auquel le grand public aime confiner le jazz : une musique jouée par des afro-américains, un groupe emmené par un leader en âge d'être papy, une section rythmique piano / contrebasse / batterie qui assure le swing et une section de soufflants (deux ténors, un baryton et deux trompettes) qui se relaie au cours de solos démonstratifs. Sans doute pas pour dire ce qu'est le jazz, mais plutôt pour affirmer, c'est aussi ça le jazz : un lien avec une tradition séculaire, forgée aux côtés de grands disparus comme semblent en témoigner les hommages à Max Roach et George Russell, ou ce morceau modal aux reflets espagnols qui évoque avec élégance Sketches of Spain ou Olé. Le tout est quand même un peu trop respectueux des fameux codes à mon goût, et est bien loin de procurer, une nouvelle fois, l'envie de prolonger le plaisir. C'est peut-être aussi en cela une forme de conclusion.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Quelle musique ! Quel groupe ! Quels solistes ! L'intelligence de l'écriture, des arrangements et des combinaisons instrumentales débouche sur un plaisir évident, contagieux. Le sextet assemblé par le cornetiste sert une écriture inventive, originale et moderne, parlant la langue du jazz et lui offrant de nouveaux élans ouverts sur un ailleurs encore vierge. Véritable apothéose du festival, la longue suite de 45 minutes déployée par le groupe joue sur les combinaisons et les timbres des instruments, entre mémoire et inouï. Les solos de sax alto de Jim Hobbs brûlent du souvenir du Liberation Music Orchestra. Le dialogue entre le trombone basse de Bill Lowe et le cornet du leader est tout en subtilité, sourdines partagées et murmures poétiques échangées. La ponctuation de la guitare de Mary Halvorson offre des contrepoints décalés, plongeant l'ensemble dans un équilibre instable dont surgit une séduction vénéneuse, quand la rondeur de la contrebasse de Ken Filiano maintient le lien primordiale avec la terre-mère nourricière. Quant à Tomas Fujiwara, son drive est aussi élégant que son allure. Moteur continu du sextet, il renouvelle le langage de la batterie jazz. Au-delà de l'impression fort agréable de côtoyer la beauté pendant une petite heure, c'est vraiment l'originalité de l'écriture de Taylor Ho Bynum qui fait tout l'intérêt de cette musique. Rien de révolutionnaire en apparence, mais une qualité de renouvellement de l'écoute au fil des minutes grâce à des développements sans cesse surprenants rarement atteinte sur une aussi longue durée. En complément, ils nous offrent des variations autour d'un blues qui laissent entrevoir ce qu'aurait pu produire Mingus à partir du langage du jazz contemporain. La dédicace à Bill Dixon, comme pour l'Exploding Star Orchestra la veille, finit de relier histoire et futur du jazz, dans un élan qui ne se contente ni de l'un ni de l'autre mais embrasse l'ensemble pour faire durer le plaisir du temps présent.
Odean Pope & Odean's List, Congress, 20h30
Après les beautés irisées du setxet de Taylor Ho Bynum, il est quasiment impossible de venir conclure le festival. C'est pourtant la tâche qui incombe au saxophoniste Odean Pope, vétéran de 71 ans longtemps partenaire de jeu de Max Roach. Après avoir exploré pendant quatre jours les possibles du jazz contemporain, le festival s'achève étrangement sur un concert qui rencontre tous les codes (les clichés ?) auquel le grand public aime confiner le jazz : une musique jouée par des afro-américains, un groupe emmené par un leader en âge d'être papy, une section rythmique piano / contrebasse / batterie qui assure le swing et une section de soufflants (deux ténors, un baryton et deux trompettes) qui se relaie au cours de solos démonstratifs. Sans doute pas pour dire ce qu'est le jazz, mais plutôt pour affirmer, c'est aussi ça le jazz : un lien avec une tradition séculaire, forgée aux côtés de grands disparus comme semblent en témoigner les hommages à Max Roach et George Russell, ou ce morceau modal aux reflets espagnols qui évoque avec élégance Sketches of Spain ou Olé. Le tout est quand même un peu trop respectueux des fameux codes à mon goût, et est bien loin de procurer, une nouvelle fois, l'envie de prolonger le plaisir. C'est peut-être aussi en cela une forme de conclusion.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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dimanche 5 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 4e jour (1/2), dimanche 29 août 2010
Speak, Congress, 14h30
Il y a trois ans Cuong Vu, trompettiste vu avec Myra Melford le vendredi, s'est vu proposer un poste à l'université de Seattle. En quittant la foisonnante scène new yorkaise, il était inquiet de ne pas trouver sur les bords du Pacifique de musiciens partageant ses intérêts, et puis il a découvert parmi ses étudiants les quatre compères qui complètent ce groupe. C'est ainsi que Cuong Vu présente Andrew Swanson (sax), Aaron Otheim (p), Luke Bergman (b) et Chris Icasiano (dms), en prenant soin d'insister sur le caractère collectif du groupe. Il n'en est pas le leader, tout juste le plus vieux. Speak est un concept band. En effet, les cinq musiciens portent tous des chemises à carreaux en flanelle ! Au delà de l'humour potache, Speak c'est surtout une énergie et une cohésion digne d'un groupe de rock. On ne vient pas innocemment de la ville d'Hendrix et du grunge. La ville de Jim Black également, que leur musique évoque par moment. Le son du groupe voisine avec certaines productions mêlant jazz et pop-rock documentées par Chief Inspector en France (Rockingchair ou Camisetas... avec Jim Black et là aussi un goût pour les chemises improbables). Le cousinage avec Kneebody, originaire de la côte Ouest comme eux, transparaît également. Speak s'impose par la clarté des lignes et la recherche de la qualité du son, particulièrement belle à la trompette et à la basse. Il y a un côté très West Coast, loin de toute prise de tête. C'est efficace et direct.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet, Congress, 16h00
Après leur duo la veille, Sylvie Courvoisier et Mark Feldman partagent la grande scène du centre des congrès avec le jeune Thomas Morgan à la contrebasse (notamment entendu auprès de Steve Coleman) et le plus expérimenté Gerry Hemingway à la batterie. Le concert commence par des infrasons. Les instruments murmurent de fines sonorités comme pour prendre progressivement possession de l'espace. Le premier morceau, To Fly To Steal signé Sylvie Courvoisier, semble destiner à construire l'écoute. Tout est ici question de ponctuation et d'impressions esquissées. Le jeu avec l'espace conduit à une dilution du son dans le silence, qui est aussi une marque de fabrique de la pianiste. Le deuxième morceau, Messiaenesque, toujours de Sylvie, propose une autre vision que celle du duo la veille. Le dynamisme des couleurs du quartet évoque alors une toile expressionniste. Pulsation et chromatisme... messiaenesque mettent le feu à la toile. Les deux autres morceaux joués sont des compositions de Mark Feldman, Five Senses of Keen et The Good Life. La mélancolie est un trait toujours présent chez le violoniste. On ressent une certaine tension dans son écriture, un caractère dramatique qui fait penser aux prémices d'un orage. La place dévolue à l'improvisation est particulièrement grande. Les compositions ne sont que des prétextes, beaucoup plus que lors du duo en tout cas. Sur le dernier morceau, Gerry Hemingway vole la vedette aux autres par un solo particulièrement inventif et un dialogue avec Thomas Morgan qui renverse les rôles entre rythmique et leaders.
Led Bib, Congress, 17h30
Encore du rock. Encore des musiciens tout juste sortis de l'université. Cette fois-ci de celle du Middlesex, en Angleterre. La musique est plus brute de décoffrage que celle de Speak. Le son est volontiers sale avec notamment un fender rhodes saturé et deux sax alto, instrument qui peut être le plus acide et criard de la gamme des vents. La musique des cinq lascars de Led Bib est lyrique et violente. Le claviériste, Toby McLaren, se distingue particulièrement. Ses interventions sont denses et inventives dans un contexte qui pourrait facilement être trop codé. J'avais en effet quelques craintes avant le concert en découvrant les quelques lignes du programme à leur propos : encore un groupe "punk-jazz" anglais comme il en sort régulièrement, feux de paille éphémères le plus souvent inconsistants. Mes réticences sautèrent assez vites face à cette musique à l'effet purificateur, comme une rasade d'alcool fort. On sort comme essoré de ce genre de concert, épuisé mais ravi.
Il y a trois ans Cuong Vu, trompettiste vu avec Myra Melford le vendredi, s'est vu proposer un poste à l'université de Seattle. En quittant la foisonnante scène new yorkaise, il était inquiet de ne pas trouver sur les bords du Pacifique de musiciens partageant ses intérêts, et puis il a découvert parmi ses étudiants les quatre compères qui complètent ce groupe. C'est ainsi que Cuong Vu présente Andrew Swanson (sax), Aaron Otheim (p), Luke Bergman (b) et Chris Icasiano (dms), en prenant soin d'insister sur le caractère collectif du groupe. Il n'en est pas le leader, tout juste le plus vieux. Speak est un concept band. En effet, les cinq musiciens portent tous des chemises à carreaux en flanelle ! Au delà de l'humour potache, Speak c'est surtout une énergie et une cohésion digne d'un groupe de rock. On ne vient pas innocemment de la ville d'Hendrix et du grunge. La ville de Jim Black également, que leur musique évoque par moment. Le son du groupe voisine avec certaines productions mêlant jazz et pop-rock documentées par Chief Inspector en France (Rockingchair ou Camisetas... avec Jim Black et là aussi un goût pour les chemises improbables). Le cousinage avec Kneebody, originaire de la côte Ouest comme eux, transparaît également. Speak s'impose par la clarté des lignes et la recherche de la qualité du son, particulièrement belle à la trompette et à la basse. Il y a un côté très West Coast, loin de toute prise de tête. C'est efficace et direct.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet, Congress, 16h00
Après leur duo la veille, Sylvie Courvoisier et Mark Feldman partagent la grande scène du centre des congrès avec le jeune Thomas Morgan à la contrebasse (notamment entendu auprès de Steve Coleman) et le plus expérimenté Gerry Hemingway à la batterie. Le concert commence par des infrasons. Les instruments murmurent de fines sonorités comme pour prendre progressivement possession de l'espace. Le premier morceau, To Fly To Steal signé Sylvie Courvoisier, semble destiner à construire l'écoute. Tout est ici question de ponctuation et d'impressions esquissées. Le jeu avec l'espace conduit à une dilution du son dans le silence, qui est aussi une marque de fabrique de la pianiste. Le deuxième morceau, Messiaenesque, toujours de Sylvie, propose une autre vision que celle du duo la veille. Le dynamisme des couleurs du quartet évoque alors une toile expressionniste. Pulsation et chromatisme... messiaenesque mettent le feu à la toile. Les deux autres morceaux joués sont des compositions de Mark Feldman, Five Senses of Keen et The Good Life. La mélancolie est un trait toujours présent chez le violoniste. On ressent une certaine tension dans son écriture, un caractère dramatique qui fait penser aux prémices d'un orage. La place dévolue à l'improvisation est particulièrement grande. Les compositions ne sont que des prétextes, beaucoup plus que lors du duo en tout cas. Sur le dernier morceau, Gerry Hemingway vole la vedette aux autres par un solo particulièrement inventif et un dialogue avec Thomas Morgan qui renverse les rôles entre rythmique et leaders.
Led Bib, Congress, 17h30
Encore du rock. Encore des musiciens tout juste sortis de l'université. Cette fois-ci de celle du Middlesex, en Angleterre. La musique est plus brute de décoffrage que celle de Speak. Le son est volontiers sale avec notamment un fender rhodes saturé et deux sax alto, instrument qui peut être le plus acide et criard de la gamme des vents. La musique des cinq lascars de Led Bib est lyrique et violente. Le claviériste, Toby McLaren, se distingue particulièrement. Ses interventions sont denses et inventives dans un contexte qui pourrait facilement être trop codé. J'avais en effet quelques craintes avant le concert en découvrant les quelques lignes du programme à leur propos : encore un groupe "punk-jazz" anglais comme il en sort régulièrement, feux de paille éphémères le plus souvent inconsistants. Mes réticences sautèrent assez vites face à cette musique à l'effet purificateur, comme une rasade d'alcool fort. On sort comme essoré de ce genre de concert, épuisé mais ravi.
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (3/3), samedi 28 août 2010
Exploding Star Orchestra, Congress, 21h30
Pour l'inauguration du Jay Pritzker Pavilion en 2005, la ville de Chicago a demandé à Rob Mazurek de monter un groupe permettant de capter le son actuel de la Windy City. Au-delà de la commande initiale, l'Exploding Star Orchestra, qui réunit aussi bien des musiciens venus de la fertile scène jazz locale que des figures de la scène post-rock dont la ville est la capitale mondiale, est devenu un groupe régulier, qui publie ces jours-ci son troisième disque (Star Have Shapes, chez Delmark). Le concert commence par une explosion de sons, qui s'agencent progressivement. La musique est luxuriante, s'apparentant à une jungle sonore dont émerge un groove poussé par une rythmique à deux batteries, une basse électrique et une contrebasse. Les deux batteurs ont une approche complémentaire. John Herndon, de Tortoise, est très lourd, très rock. Il semble tomber de tout son poids sur les toms. Mike Reed apporte une dimension polyrythmique qui enrobe les frappes puissantes de Herndon. Grâce à eux, un groove continuel, presque dansant par moment, parcours le concert. De riches solos particulièrement expressifs donnent beaucoup de relief au son de l'ensemble : Jeb Bishop (tb), Jason Adasiewicz (vib), Matt Bauder (sax), Nicole Mitchell (fl), Jeff Parker (g) ou le leader au cornet créent de multiples explosions colorées qui permettent au groupe de jouer avec la densité du son, sa qualité et ses accidents. Tous très élégants - une fine cravate pour chacun - ils nous offrent une belle visite guidée de la métropole américaine, dont la musique, qui mêle une apparence décontractée et des mises en forme savantes, se présente de plus en plus comme une alternative aux propositions new yorkaises. L'approche syncrétiste de l'ESO, à l'aspect kaléidoscopique, se situe quelque part au-delà des genres et n'est pas une simple combinaison entre eux. En cela, il ouvre véritablement la voie à de nouveaux développements qu'on espère fructueux. Très applaudi, Rob Mazurek dédie le concert aux mémoires de deux figures chicagoanes récemment décédées, Bill Dixon et Fred Anderson. On ne saurait leur rendre un plus bel hommage.
Raoul Björkenheim, William Parker & Hamid Drake, Congress, 23h00
Le guitariste finlandais joue beaucoup de notes, égrenées rapidement, pour commencer. Dans une attitude très guitar hero, il prend visiblement du plaisir à faire étalage de sa technique. Moi, beaucoup moins. La paire rythmique est, comme d'habitude avec William Parker et Hamid Drake, en revanche au top. Le batteur est particulièrement réjouissant avec une variété d'approches qui le voit passer des baguettes aux mailloches, puis à mains nues. Toutefois, le jeu de guitare de Raoul Björkenheim ne permet pas de faire réellement décoller la musique à mon goût. Il devient plus intéressant quand le rythme ralentit et que le blues transpire enfin. Par un jeu sur les effets, il entraîne sa guitare vers d'étranges sonorités de gamelan, faisant place à une originalité qui captive. Le deuxième, et dernier, morceau voit Hamid Drake se saisir d'un bendir et William Parker souffler dans un shenai. En adaptant son jeu à l'Orient imaginaire et envoûtant décrit par ses camarades, le guitariste imite les sonorités de basse répétitive du guembri des Gnawas. Le voyage semble enfin démarrer, mais s'arrête bien trop rapidement. La première partie du concert, assez inintéressante, a duré beaucoup trop longtemps.
The Jazz Passengers Re-United, Congress, 00h30
On retrouve sur scène l'essentiel du groupe de Subway Moon vu jeudi en ouverture du festival : Roy Nathanson (sax), Curtis Fowlkes (tb), Bill Ware (vib) et Sam Bardfeld (vl) sont rejoints pour l'occasion par de vieilles connaissances, Brad Jones (cb), E.J. Rodriguez (dms) et Marc Ribot (g). Quasiment tous passés par les Lounge Lizards de John Lurie, ils reforment pour l'occasion les Jazz Passengers, groupe actif pendant une décennie (1987-1997) qui prolongeait, dans une veine plus pop, l'esthétique des lézards. On est ici clairement dans le registre du jazz entertainment, avec une attitude cool nourrie de toutes les musiques de la grosse pomme. Les morceaux respectent tous le format chanson, avec ou sans paroles. Mais, est-ce l'effet de la saturation au bout de huit concerts, ou tout simplement le manque d'acidité et de surprise, j'ai du mal à maintenir l'attention à son plus haut niveau. Après toutes les combinaisons sonores entendues au cours de la journée, on est ici en terrain beaucoup trop balisé pour éveiller l'intérêt. Dommage vus les musiciens rassemblés.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Pour l'inauguration du Jay Pritzker Pavilion en 2005, la ville de Chicago a demandé à Rob Mazurek de monter un groupe permettant de capter le son actuel de la Windy City. Au-delà de la commande initiale, l'Exploding Star Orchestra, qui réunit aussi bien des musiciens venus de la fertile scène jazz locale que des figures de la scène post-rock dont la ville est la capitale mondiale, est devenu un groupe régulier, qui publie ces jours-ci son troisième disque (Star Have Shapes, chez Delmark). Le concert commence par une explosion de sons, qui s'agencent progressivement. La musique est luxuriante, s'apparentant à une jungle sonore dont émerge un groove poussé par une rythmique à deux batteries, une basse électrique et une contrebasse. Les deux batteurs ont une approche complémentaire. John Herndon, de Tortoise, est très lourd, très rock. Il semble tomber de tout son poids sur les toms. Mike Reed apporte une dimension polyrythmique qui enrobe les frappes puissantes de Herndon. Grâce à eux, un groove continuel, presque dansant par moment, parcours le concert. De riches solos particulièrement expressifs donnent beaucoup de relief au son de l'ensemble : Jeb Bishop (tb), Jason Adasiewicz (vib), Matt Bauder (sax), Nicole Mitchell (fl), Jeff Parker (g) ou le leader au cornet créent de multiples explosions colorées qui permettent au groupe de jouer avec la densité du son, sa qualité et ses accidents. Tous très élégants - une fine cravate pour chacun - ils nous offrent une belle visite guidée de la métropole américaine, dont la musique, qui mêle une apparence décontractée et des mises en forme savantes, se présente de plus en plus comme une alternative aux propositions new yorkaises. L'approche syncrétiste de l'ESO, à l'aspect kaléidoscopique, se situe quelque part au-delà des genres et n'est pas une simple combinaison entre eux. En cela, il ouvre véritablement la voie à de nouveaux développements qu'on espère fructueux. Très applaudi, Rob Mazurek dédie le concert aux mémoires de deux figures chicagoanes récemment décédées, Bill Dixon et Fred Anderson. On ne saurait leur rendre un plus bel hommage.
Raoul Björkenheim, William Parker & Hamid Drake, Congress, 23h00
Le guitariste finlandais joue beaucoup de notes, égrenées rapidement, pour commencer. Dans une attitude très guitar hero, il prend visiblement du plaisir à faire étalage de sa technique. Moi, beaucoup moins. La paire rythmique est, comme d'habitude avec William Parker et Hamid Drake, en revanche au top. Le batteur est particulièrement réjouissant avec une variété d'approches qui le voit passer des baguettes aux mailloches, puis à mains nues. Toutefois, le jeu de guitare de Raoul Björkenheim ne permet pas de faire réellement décoller la musique à mon goût. Il devient plus intéressant quand le rythme ralentit et que le blues transpire enfin. Par un jeu sur les effets, il entraîne sa guitare vers d'étranges sonorités de gamelan, faisant place à une originalité qui captive. Le deuxième, et dernier, morceau voit Hamid Drake se saisir d'un bendir et William Parker souffler dans un shenai. En adaptant son jeu à l'Orient imaginaire et envoûtant décrit par ses camarades, le guitariste imite les sonorités de basse répétitive du guembri des Gnawas. Le voyage semble enfin démarrer, mais s'arrête bien trop rapidement. La première partie du concert, assez inintéressante, a duré beaucoup trop longtemps.
The Jazz Passengers Re-United, Congress, 00h30
On retrouve sur scène l'essentiel du groupe de Subway Moon vu jeudi en ouverture du festival : Roy Nathanson (sax), Curtis Fowlkes (tb), Bill Ware (vib) et Sam Bardfeld (vl) sont rejoints pour l'occasion par de vieilles connaissances, Brad Jones (cb), E.J. Rodriguez (dms) et Marc Ribot (g). Quasiment tous passés par les Lounge Lizards de John Lurie, ils reforment pour l'occasion les Jazz Passengers, groupe actif pendant une décennie (1987-1997) qui prolongeait, dans une veine plus pop, l'esthétique des lézards. On est ici clairement dans le registre du jazz entertainment, avec une attitude cool nourrie de toutes les musiques de la grosse pomme. Les morceaux respectent tous le format chanson, avec ou sans paroles. Mais, est-ce l'effet de la saturation au bout de huit concerts, ou tout simplement le manque d'acidité et de surprise, j'ai du mal à maintenir l'attention à son plus haut niveau. Après toutes les combinaisons sonores entendues au cours de la journée, on est ici en terrain beaucoup trop balisé pour éveiller l'intérêt. Dommage vus les musiciens rassemblés.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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samedi 4 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (2/3), samedi 28 août 2010
Carla Kihlstedt & Satoko Fujii, Congress, 17h00
Deuxième duo violon-piano de la journée après le concert de Mark Feldman et Sylvie Courvoisier en ouverture de programme. La tentation est grande d'entrer dans un jeu de comparaison. Les démarches sont néanmoins suffisamment différentes pour que les plaisirs des deux concerts soient complémentaires. La seule caractéristique commune en est l'excellence. La musique de Carla Kihlstedt et Satoko Fujii semble moins structurée, et est sans doute moins composée, que celle du premier duo. Les deux suites jouées s'apparentent ainsi à des enchaînements de chansons improvisées. A leur maîtrise instrumentale, les deux musiciennes ajoutent chant, cris et onomatopées. Elles se font sirènes envoutantes avec leurs étranges mélodies folk. Beaucoup de fraîcheur et de simplicité se dégagent de la prestation. La lisibilité des improvisations et le jeu sur les tensions laissent apparaître une vitalité naturelle, que les deux musiciennes ne cherchent pas à catalyser à tout prix, préférant se laisser aller à la joie du débordement et de l'inattendu. Tout cela est très musical, ludique et enchanteur.
Ingrid Laubrock Quintet, Congress, 18h30
La saxophoniste allemande, qui vit désormais à New York, a réuni pour l'occasion un groupe au casting alléchant. On y retrouve d'abord Mary Halvorson et John Hébert après leur formidable concert en trio de la veille. A cela s'ajoutent la pianiste canadienne Kris Davis, que j'avais eu l'occasion de voir aux 7 Lézards il y a quelques années, et l'incontournable Tom Rainey à la batterie. "Comme tout le monde", ils commencent par plonger dans un chaos sonore fait d'une accumulation de bruits en tous genres. Les deux premiers morceaux du concert sont ainsi très déstructurés, mais semblent néanmoins très écrits, avec un jeu sur le silence, les pauses et la suspension du temps au centre des intérêts d'Ingrid Laubrock. Au troisième morceau, le langage devient plus clairement jazz, avec une musique qui semble inventer dans l'instant de faux standards déglingués et des berceuses hantées. Tom Rainey, qui joue autant du glockenspiel que de la batterie, apporte une touche enfantine dans cette musique entre deux mondes, entre mélodies et cliquetis. Contrairement à de nombreux concerts du festival, on est ici au cœur d'un jazz d'apparence classique, il n'y a pas de combinaison avec des sons rock, pop, folk ou autre. La musique maintient néanmoins un caractère tout à fait original et assez inhabituel par ses aspects parfois tendrement fantomatiques. Il y a quelque chose du côté de l'enfance - avec sa part de jeu, comme d'inquiétudes - qui fait tout l'intérêt de l'écriture d'Ingrid Laubrock. Les jeux de Mary Halvorson et Kris Davis s'accordent à merveille avec cette dimension qui se tient sur le fil, entre in et out. Une bien belle découverte.
Deuxième duo violon-piano de la journée après le concert de Mark Feldman et Sylvie Courvoisier en ouverture de programme. La tentation est grande d'entrer dans un jeu de comparaison. Les démarches sont néanmoins suffisamment différentes pour que les plaisirs des deux concerts soient complémentaires. La seule caractéristique commune en est l'excellence. La musique de Carla Kihlstedt et Satoko Fujii semble moins structurée, et est sans doute moins composée, que celle du premier duo. Les deux suites jouées s'apparentent ainsi à des enchaînements de chansons improvisées. A leur maîtrise instrumentale, les deux musiciennes ajoutent chant, cris et onomatopées. Elles se font sirènes envoutantes avec leurs étranges mélodies folk. Beaucoup de fraîcheur et de simplicité se dégagent de la prestation. La lisibilité des improvisations et le jeu sur les tensions laissent apparaître une vitalité naturelle, que les deux musiciennes ne cherchent pas à catalyser à tout prix, préférant se laisser aller à la joie du débordement et de l'inattendu. Tout cela est très musical, ludique et enchanteur.
Ingrid Laubrock Quintet, Congress, 18h30
La saxophoniste allemande, qui vit désormais à New York, a réuni pour l'occasion un groupe au casting alléchant. On y retrouve d'abord Mary Halvorson et John Hébert après leur formidable concert en trio de la veille. A cela s'ajoutent la pianiste canadienne Kris Davis, que j'avais eu l'occasion de voir aux 7 Lézards il y a quelques années, et l'incontournable Tom Rainey à la batterie. "Comme tout le monde", ils commencent par plonger dans un chaos sonore fait d'une accumulation de bruits en tous genres. Les deux premiers morceaux du concert sont ainsi très déstructurés, mais semblent néanmoins très écrits, avec un jeu sur le silence, les pauses et la suspension du temps au centre des intérêts d'Ingrid Laubrock. Au troisième morceau, le langage devient plus clairement jazz, avec une musique qui semble inventer dans l'instant de faux standards déglingués et des berceuses hantées. Tom Rainey, qui joue autant du glockenspiel que de la batterie, apporte une touche enfantine dans cette musique entre deux mondes, entre mélodies et cliquetis. Contrairement à de nombreux concerts du festival, on est ici au cœur d'un jazz d'apparence classique, il n'y a pas de combinaison avec des sons rock, pop, folk ou autre. La musique maintient néanmoins un caractère tout à fait original et assez inhabituel par ses aspects parfois tendrement fantomatiques. Il y a quelque chose du côté de l'enfance - avec sa part de jeu, comme d'inquiétudes - qui fait tout l'intérêt de l'écriture d'Ingrid Laubrock. Les jeux de Mary Halvorson et Kris Davis s'accordent à merveille avec cette dimension qui se tient sur le fil, entre in et out. Une bien belle découverte.
jeudi 2 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (1/3), samedi 28 août 2010
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman, Kunsthaus Nexus, 12h30
Plaisir renouvelé. Le duo que forment Sylvie Courvoisier (piano) et Mark Feldman (violon) est vraiment l'une des plus belles expériences musicales à laquelle on puisse assister à l'heure actuelle. Leur musique est inventive, poétique et, au fil des écoutes, toujours surprenante. Au plaisir auditif, s'ajoute un plaisir visuel car avec eux on peut vraiment entendre et voir l'écoute mutuelle qu'ils s'accordent l'un à l'autre. Les regards appuyés, les attentes attentives lorsque l'autre joue, les signes de tête pour changer de direction, tout cela prend totalement sens dans le cadre intime du Nexus, et résonne pleinement avec la musique. Malgré la complexité apparente des structures, la construction des morceaux conserve une grande clarté. Le duo ne joue en effet que ce qui est nécessaire. Il n'y a pas d'esbroufe inutile ni de développement sans fin, mais juste un sens aigu de la note - ou du silence - indispensable pour que le morceau révèle toute sa poésie. Ce terme n'est pas ici galvaudé. Car comment, autrement, faire sonner de manière à la fois aussi ludique et lisible une musique qui ne se prive pourtant pas de développements accidentés. Il y a vraiment, dans ce rapport de la musique aux sons, quelque chose d'approchant le rapport de la poésie aux mots. Le set a permis d'apprécier deux compositions de Sylvie pour commencer, Dunes et la bien nommée Messianesque. Le duo a ensuite enchaîné par trois morceaux extraits du songbook de Masada, dont l'un contenant une citation de Mozart... clin d'œil amusé dans ce contexte salzbourgeois. Le set s'est achevé sur une composition de Mark Feldman, Purveyors, et une nouvelle de Sylvie, To Speedy. L'écriture du violoniste fait la part belle au lyrisme délicat de son instrument nourri de klezmer et de folk, quand celle de la pianiste s'organise autour d'un jeu avec les bruits et le silence élaboré au contact de la musique contemporaine. Sur le dernier morceau, sa main gauche installe ainsi un rythme répétitif qui semble tourner en boucle même dans les nombreuses interruptions et changements de direction. Comme si les notes suggérées étaient aussi présentes que celles réellement jouées. Le rappel, sur un autre morceau de Masada, permit une nouvelle citation de Mozart, pour ne pas oublier le ludisme de la vraie poésie.
Fire!, Kunsthaus Nexus, 14h00
Sous cet intitulé martial se cache un trio suédois emmené par Mats Gustafsson, déjà vu la veille avec The Thing XXL. Accompagné par Johan Berthling à la basse et Andreas Werliin à la batterie, Gustafsson surprend en commençant... tout doucement. La montée en puissance (quand même !) est lente et progressive. Le son du sax est d'abord étouffé avant de gagner peu à peu en ampleur. Le rythme s'installe lui aussi très progressivement, dans une lente dérive vers des sonorités techno-rock. Le jeu du trio est basé sur la répétition, avec des boucles rythmiques sans variation, qui ont un indéniable effet hypnotique. Là dessus, Gustafsson construit ses interventions au cours des deux longues suites qui composent le concert de manière similaire : d'abord une mise en place lente, puis un passage aux claviers et machines pour quelques bidouillages électro, avant une montée paroxystique au sax pour conclure. A chaque fois, le troisième "mouvement" est le meilleur. Celui où Gustafsson parle la langue qu'il maîtrise le mieux : la fureur.
Terje Rypdal & Bergen Big Band, Congress, 15h30
On reste en terres scandinaves avec le concert suivant, mais dans le versant qui me plait le moins en jazz. Le son du groupe assemblé pour l'occasion est en effet, dans une esthétique à la ECM, extrêmement réverbéré et les solos des deux "stars" de l'affiche, Terje Rypdal à la guitare et Palle Mikkelborg au bugle, semblent ancrés dans le jazz-rock à bout de souffle des 80s. Le guitariste est particulièrement abrutissant à mon sens. La rythmique est de plus très présente (basse et orgue vintage), et pas très inventive, avec une sous-utilisation des possibles combinaisons sonores entre les vents du Bergen Big Band qui finit de décevoir. Sans doute la seule faute de goût de la programmation.
Plaisir renouvelé. Le duo que forment Sylvie Courvoisier (piano) et Mark Feldman (violon) est vraiment l'une des plus belles expériences musicales à laquelle on puisse assister à l'heure actuelle. Leur musique est inventive, poétique et, au fil des écoutes, toujours surprenante. Au plaisir auditif, s'ajoute un plaisir visuel car avec eux on peut vraiment entendre et voir l'écoute mutuelle qu'ils s'accordent l'un à l'autre. Les regards appuyés, les attentes attentives lorsque l'autre joue, les signes de tête pour changer de direction, tout cela prend totalement sens dans le cadre intime du Nexus, et résonne pleinement avec la musique. Malgré la complexité apparente des structures, la construction des morceaux conserve une grande clarté. Le duo ne joue en effet que ce qui est nécessaire. Il n'y a pas d'esbroufe inutile ni de développement sans fin, mais juste un sens aigu de la note - ou du silence - indispensable pour que le morceau révèle toute sa poésie. Ce terme n'est pas ici galvaudé. Car comment, autrement, faire sonner de manière à la fois aussi ludique et lisible une musique qui ne se prive pourtant pas de développements accidentés. Il y a vraiment, dans ce rapport de la musique aux sons, quelque chose d'approchant le rapport de la poésie aux mots. Le set a permis d'apprécier deux compositions de Sylvie pour commencer, Dunes et la bien nommée Messianesque. Le duo a ensuite enchaîné par trois morceaux extraits du songbook de Masada, dont l'un contenant une citation de Mozart... clin d'œil amusé dans ce contexte salzbourgeois. Le set s'est achevé sur une composition de Mark Feldman, Purveyors, et une nouvelle de Sylvie, To Speedy. L'écriture du violoniste fait la part belle au lyrisme délicat de son instrument nourri de klezmer et de folk, quand celle de la pianiste s'organise autour d'un jeu avec les bruits et le silence élaboré au contact de la musique contemporaine. Sur le dernier morceau, sa main gauche installe ainsi un rythme répétitif qui semble tourner en boucle même dans les nombreuses interruptions et changements de direction. Comme si les notes suggérées étaient aussi présentes que celles réellement jouées. Le rappel, sur un autre morceau de Masada, permit une nouvelle citation de Mozart, pour ne pas oublier le ludisme de la vraie poésie.
Fire!, Kunsthaus Nexus, 14h00
Sous cet intitulé martial se cache un trio suédois emmené par Mats Gustafsson, déjà vu la veille avec The Thing XXL. Accompagné par Johan Berthling à la basse et Andreas Werliin à la batterie, Gustafsson surprend en commençant... tout doucement. La montée en puissance (quand même !) est lente et progressive. Le son du sax est d'abord étouffé avant de gagner peu à peu en ampleur. Le rythme s'installe lui aussi très progressivement, dans une lente dérive vers des sonorités techno-rock. Le jeu du trio est basé sur la répétition, avec des boucles rythmiques sans variation, qui ont un indéniable effet hypnotique. Là dessus, Gustafsson construit ses interventions au cours des deux longues suites qui composent le concert de manière similaire : d'abord une mise en place lente, puis un passage aux claviers et machines pour quelques bidouillages électro, avant une montée paroxystique au sax pour conclure. A chaque fois, le troisième "mouvement" est le meilleur. Celui où Gustafsson parle la langue qu'il maîtrise le mieux : la fureur.
Terje Rypdal & Bergen Big Band, Congress, 15h30
On reste en terres scandinaves avec le concert suivant, mais dans le versant qui me plait le moins en jazz. Le son du groupe assemblé pour l'occasion est en effet, dans une esthétique à la ECM, extrêmement réverbéré et les solos des deux "stars" de l'affiche, Terje Rypdal à la guitare et Palle Mikkelborg au bugle, semblent ancrés dans le jazz-rock à bout de souffle des 80s. Le guitariste est particulièrement abrutissant à mon sens. La rythmique est de plus très présente (basse et orgue vintage), et pas très inventive, avec une sous-utilisation des possibles combinaisons sonores entre les vents du Bergen Big Band qui finit de décevoir. Sans doute la seule faute de goût de la programmation.
mardi 31 août 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 2e jour (2/2), vendredi 27 août 2010
Myra Melford's Be Bread, Congress, 20h30
Le sextet réuni par Myra Melford se nourrit d'ingrédients très divers, a priori difficiles à tenir ensemble, tant entre chaque morceau qu'au sein même des morceaux. L'instrumentation, d'abord, avec une guitare soprano entre les mains de Brandon Ross face à la basse électrique de Stomu Takeishi. La trompette tranchante et expressive de Cuong Vu face à la clarinette en clair-obscur de Ben Goldberg. Le piano et l'harmonium peu mis en avant de la leader face à la batterie de Matt Wilson enfin. De la même manière, les influences musicales recouvrent un champ extrêmement large, entre jazz, blues, rock, musique indienne, d'Europe de l'Est, folk... Rien de clairement identifiable néanmoins. Ce sont des parfums suggérés, de subtiles touches sur une toile plus vaste, des inflections dans la langue commune. Malgré sa diversité apparente, l'ensemble prend rapidement forme grâce à la qualité d'écriture de Myra Melford et au talent des solistes. La musique est délicatement voyageuse, avec la mélodie mise en avant, mais pimentée par un jeu sur les tensions avec l'intensité du son de chacun subtilement dosée en fonction des couleurs changeantes. L'inventivité rythmique déployée par Matt Wilson permet de donner naissance à une réelle dramaturgie dans le déploiement des morceaux. Les complémentarités expressives des différents musiciens sont parfaitement utilisées, avec notamment une guitare délicate, retenue, et une trompette incisive, explosive. Le concert fut, à juste titre, l'un des plus applaudis du festival. En rappel, Myra Melford évoque ses racines chicagoanes en solo à travers un blues très... melfordien.
Dominique Pifarély & l'Ensemble Dédales, Congress, 22h30
Sans faire preuve de patriotisme outrancier, il est intéressant de voir quelle "musique française" (si cela a un sens) est proposée hors de nos frontières. Le choix du festival, au-delà de toute volonté représentative, a été judicieux... car la musique proposée par l'Ensemble Dédales est magnifique. Le groupe rassemble quelques figures bien connues de la musique aventureuse : Dominique Pifarély au violon, Guillaume Roy à l'alto, Hélène Labarrière à la contrebasse, François Corneloup au sax baryton, Eric Groleau à la batterie ; mais aussi quelques noms qui me sont moins familiers : Vincent Boisseau à la clarinette, Pascal Gachet à la trompette, Christiane Bopp au trombone et Julien Pandovani au piano. Pour caractériser la musique, on pourrait évoquer un lieu : elle a en effet toutes les qualités d'une musique "made in Atelier du Plateau". Elle ménage des montées en tension lyriques à l'aide de solos basés sur la puissance du son couplés à des combinaisons (duos/trios) bruitistes. Les tuttis paraissent plus écrits, jouant sur l'alliage des sonorités instrumentales, entre cordes et vents. Les attaques sont souvent déstructurées, avant que n'émerge peu à peu le groove. La multiplicité des approches et des combinaisons instrumentales donne beaucoup de relief à la musique. Si le rapport à une certaine abstraction et à la littérature transparait dans les titres des morceaux annoncés par Dominique Pifarély, cette musique de chambre moderne joue avec les pulsations propres au jazz, et ne refuse pas le plaisir du débordement et de l'expressivité. Là aussi, franc succès auprès du public. A tel point que lorsque je cherche à acheter le disque auprès de la petite boutique du festival... il n'y en a déjà plus.
The Thing XXL, Congress, 00h00
Déjà à trois, The Thing fait beaucoup de bruit, alors à sept, il est presque attendu que The Thing XXL entame le concert de manière apocalyptique. Le mur du son dressé d'entrée semble s'effondrer progressivement avec fracas. Peu à peu le rythme se structure, puis la mélodie d'une chanson traditionnelle hongroise depuis vingt ans au répertoire de The Ex, Hidegen fujnak a szelek, émerge du sax baryton de Mats Gustafsson. C'est pour cela qu'on aime The Thing. Comme Zu la veille, ils savent être extrêmement brutaux, mais ils n'oublient pas de respirer, en s'abreuvant constamment d'un matériau de base chantant (mélodies de Don Cherry, chansons traditionnelles, succès pop-rock). La cellule de base scandinave (Gustafsson, Haker Flaten, Nilssen-Love) est donc augmentée pour l'occasion par le trombone de Mats Äleklint, la trompette de Peter Evans, la guitare de Terrie Ex et les claviers et machines de Jim Baker. La place de ce dernier me pose problème. Il est de toute évidence là pour perturber le bon déroulé du reste du groupe - il est d'ailleurs en retrait sur le côté droit de la scène alors que les six autres formes un arc de cercle par lequel ils peuvent échanger regards et indications - mais justement ses interventions ne trouvent pas d'interaction avec le reste du groupe. Il semble isolé de la fabrique de la musique et ses interventions aux machines s'apparentent plus à un bidouillage mal venu qu'à l'ajout d'une dimension supplémentaire à la musique. Dommage, car le reste est très cohérent, avec un jeu sur les tensions, entre murmures, bruits, déflagrations et tuttis ravageurs qui fait plaisir à entendre.
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A voir ailleurs : videos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Le sextet réuni par Myra Melford se nourrit d'ingrédients très divers, a priori difficiles à tenir ensemble, tant entre chaque morceau qu'au sein même des morceaux. L'instrumentation, d'abord, avec une guitare soprano entre les mains de Brandon Ross face à la basse électrique de Stomu Takeishi. La trompette tranchante et expressive de Cuong Vu face à la clarinette en clair-obscur de Ben Goldberg. Le piano et l'harmonium peu mis en avant de la leader face à la batterie de Matt Wilson enfin. De la même manière, les influences musicales recouvrent un champ extrêmement large, entre jazz, blues, rock, musique indienne, d'Europe de l'Est, folk... Rien de clairement identifiable néanmoins. Ce sont des parfums suggérés, de subtiles touches sur une toile plus vaste, des inflections dans la langue commune. Malgré sa diversité apparente, l'ensemble prend rapidement forme grâce à la qualité d'écriture de Myra Melford et au talent des solistes. La musique est délicatement voyageuse, avec la mélodie mise en avant, mais pimentée par un jeu sur les tensions avec l'intensité du son de chacun subtilement dosée en fonction des couleurs changeantes. L'inventivité rythmique déployée par Matt Wilson permet de donner naissance à une réelle dramaturgie dans le déploiement des morceaux. Les complémentarités expressives des différents musiciens sont parfaitement utilisées, avec notamment une guitare délicate, retenue, et une trompette incisive, explosive. Le concert fut, à juste titre, l'un des plus applaudis du festival. En rappel, Myra Melford évoque ses racines chicagoanes en solo à travers un blues très... melfordien.
Dominique Pifarély & l'Ensemble Dédales, Congress, 22h30
Sans faire preuve de patriotisme outrancier, il est intéressant de voir quelle "musique française" (si cela a un sens) est proposée hors de nos frontières. Le choix du festival, au-delà de toute volonté représentative, a été judicieux... car la musique proposée par l'Ensemble Dédales est magnifique. Le groupe rassemble quelques figures bien connues de la musique aventureuse : Dominique Pifarély au violon, Guillaume Roy à l'alto, Hélène Labarrière à la contrebasse, François Corneloup au sax baryton, Eric Groleau à la batterie ; mais aussi quelques noms qui me sont moins familiers : Vincent Boisseau à la clarinette, Pascal Gachet à la trompette, Christiane Bopp au trombone et Julien Pandovani au piano. Pour caractériser la musique, on pourrait évoquer un lieu : elle a en effet toutes les qualités d'une musique "made in Atelier du Plateau". Elle ménage des montées en tension lyriques à l'aide de solos basés sur la puissance du son couplés à des combinaisons (duos/trios) bruitistes. Les tuttis paraissent plus écrits, jouant sur l'alliage des sonorités instrumentales, entre cordes et vents. Les attaques sont souvent déstructurées, avant que n'émerge peu à peu le groove. La multiplicité des approches et des combinaisons instrumentales donne beaucoup de relief à la musique. Si le rapport à une certaine abstraction et à la littérature transparait dans les titres des morceaux annoncés par Dominique Pifarély, cette musique de chambre moderne joue avec les pulsations propres au jazz, et ne refuse pas le plaisir du débordement et de l'expressivité. Là aussi, franc succès auprès du public. A tel point que lorsque je cherche à acheter le disque auprès de la petite boutique du festival... il n'y en a déjà plus.
The Thing XXL, Congress, 00h00
Déjà à trois, The Thing fait beaucoup de bruit, alors à sept, il est presque attendu que The Thing XXL entame le concert de manière apocalyptique. Le mur du son dressé d'entrée semble s'effondrer progressivement avec fracas. Peu à peu le rythme se structure, puis la mélodie d'une chanson traditionnelle hongroise depuis vingt ans au répertoire de The Ex, Hidegen fujnak a szelek, émerge du sax baryton de Mats Gustafsson. C'est pour cela qu'on aime The Thing. Comme Zu la veille, ils savent être extrêmement brutaux, mais ils n'oublient pas de respirer, en s'abreuvant constamment d'un matériau de base chantant (mélodies de Don Cherry, chansons traditionnelles, succès pop-rock). La cellule de base scandinave (Gustafsson, Haker Flaten, Nilssen-Love) est donc augmentée pour l'occasion par le trombone de Mats Äleklint, la trompette de Peter Evans, la guitare de Terrie Ex et les claviers et machines de Jim Baker. La place de ce dernier me pose problème. Il est de toute évidence là pour perturber le bon déroulé du reste du groupe - il est d'ailleurs en retrait sur le côté droit de la scène alors que les six autres formes un arc de cercle par lequel ils peuvent échanger regards et indications - mais justement ses interventions ne trouvent pas d'interaction avec le reste du groupe. Il semble isolé de la fabrique de la musique et ses interventions aux machines s'apparentent plus à un bidouillage mal venu qu'à l'ajout d'une dimension supplémentaire à la musique. Dommage, car le reste est très cohérent, avec un jeu sur les tensions, entre murmures, bruits, déflagrations et tuttis ravageurs qui fait plaisir à entendre.
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A voir ailleurs : videos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Jazzfestival Saalfelden 2010, 2e jour (1/2), vendredi 27 août 2010
Marc Ribot solo, Kunsthaus Nexus, 12h30
Le guitariste new-yorkais propose un set très relaxe, à la guitare acoustique. On est loin du guitar hero. Beaucoup de blues, de fantomatiques mélodies folk-jazz, une citation du Theme from a symphony d'Ornette Coleman, un morceau d'Albert Ayler, quelques subtiles sorties de piste... on reconnaît les amours musicales de Ribot, dans une veine apaisée. Apparemment, un nouveau disque en solo devrait paraître prochainement sur Pi Recordings intitulé Silent Movies. Le titre résume assez bien l'ambiance qui se dégage du concert. En rappel, pour ne pas frustrer l'ingénieur du son qui avait effectué les réglages pour la guitare électrique, explique-t-il, il propose quelques pièces de John Cage, absolument pas écrites pour guitare, précise-t-il, avant d'ajouter... he is dead.
Mary Halvorson Trio, Kunsthaus Nexus, 14h00
La triple présence de Mary Halvorson dans la programmation du festival a été l'une des raisons de ma venue. Avec son trio auteur du fabuleux Dragon's Head (chez Firehouse 12), soit John Hébert à la contrebasse et Ches Smith à la batterie, elle a plus que confirmé tout le bien que je pensais d'elle. Ce concert fut le premier sommet du festival (qui en connut quelques autres !). Le jeu de Mary Halvorson à la guitare est singulier. Il s'apparente à une pluie de notes qui semble tomber à côté de la ligne mélodique, un coup au-dessus, un coup en dessous. La mélodie apparaît alors comme suggérée, dessinée en clair-obscur. Par ce procédé, elle allie la simplicité élégante du folk et la complexité de l'avant-garde (quelques années passées aux côtés d'Anthony Braxton y aidant) avec un grand naturel. Ses mélodies ont un intense pouvoir de séduction vénéneux. Elle joue sur les tensions, entre lisibilité immédiate et subtilités qui prolongent le plaisir dans la durée. Elle commence souvent ses morceaux par une approche assez rock, avec une démonstration d'énergie, avant de les faire évoluer vers des développements plus sinueux, plus jazz, comme si l'énergie de départ était désormais contenue, maîtrisée et malmenée pour en révéler des beautés cachées. Derrière une progression d'apparence bancale, on sous-entend ainsi toujours une ligne rythmique et mélodique plus straight, par un rapport entre le dit et le non-dit particulièrement raffiné. Le concert a commencé et s'est conclu par des morceaux extraits de Dragon's Head, mais a aussi permis de découvrir de nouvelles compositions, dont certaines à paraître sur son nouveau disque en quintet (le trio + deux cuivres), Saturn Sings. La longue liste de spectateurs qui viennent lui acheter ledit disque à la fin du concert semble l'étonner. Elle remercie chacun chaleureusement, tout en jonglant entre les euros, les dollars et les francs suisses.
Franz Hautzinger Quintet, Congress, 19h00
Le régional de l'étape ! Le trompettiste autrichien s'est entouré d'un beau groupe qui compte en ses rangs Hayden Chisholm au sax alto, Hilary Jeffrey au trombone, William Parker à la contrebasse et Tony Buck à la batterie. Le concert s'organise autour de deux longues suites, complétées par un rappel plus court. La première suite est majestueuse, avec une avancée lente et progressive par unisson des cuivres face aux développements bruitistes de la section rythmique. La musique semble avoir quelques reflets africains, un peu à la manière de ce que peut faire Henri Texier parfois, notamment dans la combinaison des timbres du sax alto et du trombone. La deuxième suite est plus dynamique, proche dans l'esprit du workshop mingusien, avec une rythmique qui assure cette fois le groove. Les cuivres, entre solos et tutti, font preuve de puissance et proposent des mélodies dansantes enthousiasmantes. Le rappel mixe en raccourci les éléments présents dans ces deux suites, soit un groove bruitiste du plus bel effet. La démarche très jazz étonne de la part d'un musicien que l'on connaît plus pour ses participations à des projets expérimentaux électro-acoustiques et avant-rock, mais le résultat est très bon.
Le guitariste new-yorkais propose un set très relaxe, à la guitare acoustique. On est loin du guitar hero. Beaucoup de blues, de fantomatiques mélodies folk-jazz, une citation du Theme from a symphony d'Ornette Coleman, un morceau d'Albert Ayler, quelques subtiles sorties de piste... on reconnaît les amours musicales de Ribot, dans une veine apaisée. Apparemment, un nouveau disque en solo devrait paraître prochainement sur Pi Recordings intitulé Silent Movies. Le titre résume assez bien l'ambiance qui se dégage du concert. En rappel, pour ne pas frustrer l'ingénieur du son qui avait effectué les réglages pour la guitare électrique, explique-t-il, il propose quelques pièces de John Cage, absolument pas écrites pour guitare, précise-t-il, avant d'ajouter... he is dead.
Mary Halvorson Trio, Kunsthaus Nexus, 14h00
La triple présence de Mary Halvorson dans la programmation du festival a été l'une des raisons de ma venue. Avec son trio auteur du fabuleux Dragon's Head (chez Firehouse 12), soit John Hébert à la contrebasse et Ches Smith à la batterie, elle a plus que confirmé tout le bien que je pensais d'elle. Ce concert fut le premier sommet du festival (qui en connut quelques autres !). Le jeu de Mary Halvorson à la guitare est singulier. Il s'apparente à une pluie de notes qui semble tomber à côté de la ligne mélodique, un coup au-dessus, un coup en dessous. La mélodie apparaît alors comme suggérée, dessinée en clair-obscur. Par ce procédé, elle allie la simplicité élégante du folk et la complexité de l'avant-garde (quelques années passées aux côtés d'Anthony Braxton y aidant) avec un grand naturel. Ses mélodies ont un intense pouvoir de séduction vénéneux. Elle joue sur les tensions, entre lisibilité immédiate et subtilités qui prolongent le plaisir dans la durée. Elle commence souvent ses morceaux par une approche assez rock, avec une démonstration d'énergie, avant de les faire évoluer vers des développements plus sinueux, plus jazz, comme si l'énergie de départ était désormais contenue, maîtrisée et malmenée pour en révéler des beautés cachées. Derrière une progression d'apparence bancale, on sous-entend ainsi toujours une ligne rythmique et mélodique plus straight, par un rapport entre le dit et le non-dit particulièrement raffiné. Le concert a commencé et s'est conclu par des morceaux extraits de Dragon's Head, mais a aussi permis de découvrir de nouvelles compositions, dont certaines à paraître sur son nouveau disque en quintet (le trio + deux cuivres), Saturn Sings. La longue liste de spectateurs qui viennent lui acheter ledit disque à la fin du concert semble l'étonner. Elle remercie chacun chaleureusement, tout en jonglant entre les euros, les dollars et les francs suisses.
Franz Hautzinger Quintet, Congress, 19h00
Le régional de l'étape ! Le trompettiste autrichien s'est entouré d'un beau groupe qui compte en ses rangs Hayden Chisholm au sax alto, Hilary Jeffrey au trombone, William Parker à la contrebasse et Tony Buck à la batterie. Le concert s'organise autour de deux longues suites, complétées par un rappel plus court. La première suite est majestueuse, avec une avancée lente et progressive par unisson des cuivres face aux développements bruitistes de la section rythmique. La musique semble avoir quelques reflets africains, un peu à la manière de ce que peut faire Henri Texier parfois, notamment dans la combinaison des timbres du sax alto et du trombone. La deuxième suite est plus dynamique, proche dans l'esprit du workshop mingusien, avec une rythmique qui assure cette fois le groove. Les cuivres, entre solos et tutti, font preuve de puissance et proposent des mélodies dansantes enthousiasmantes. Le rappel mixe en raccourci les éléments présents dans ces deux suites, soit un groove bruitiste du plus bel effet. La démarche très jazz étonne de la part d'un musicien que l'on connaît plus pour ses participations à des projets expérimentaux électro-acoustiques et avant-rock, mais le résultat est très bon.
Jazzfestival Saalfelden 2010, 1er jour, jeudi 26 août 2010
La petite ville autrichienne de Saalfelden, nichée au creux d'une vallée des Alpes entre Salzbourg et Kitzbühel, organise l'un des plus intéressants festivals de jazz de l'été. Cette année, à la vue de la programmation particulièrement alléchante, j'ai décidé de faire le déplacement et de passer 4 jours à écouter 21 concerts. La programmation s'organise autour de deux salles : la grande scène du centre des congrès et la plus intime Kunsthaus Nexus qui permet principalement d'entendre des musiciens programmés sur la grande scène dans des formations alternatives. Un chapiteau est également dressé sur la place de la mairie pour accueillir des concerts gratuits qui attirent un public plus familial (la région est assez touristique grâce à ses atouts naturels, même en été). De ce que j'ai pu entendre, les groupes qui s'y produisent (autrichiens, allemands, italiens... les frontières ne sont pas loin) font la part belle aux musiques tziganes, klezmer et balkaniques. Une manière pour les Autrichiens de se remémorer les contours de leur défunt empire, ou tout simplement l'achèvement de vingt ans de redécouverte de l'Autre Europe. Il y aurait d'ailleurs une étude assez intéressante à mener sur les conséquences de la libération de l'Europe centrale et orientale sur le cours des musiques populaires occidentales. Mais ce sera pour une autre fois, place plutôt à une revue jour par jour des concerts auxquels j'ai pu assister (l'intégralité de la programmation des deux salles).
Roy Nathanson's Subway Moon, Kunsthaus Nexus, 21h30
Le groupe réuni par le saxophoniste new-yorkais rappelle en grande partie le line-up des Jazz Passengers, groupe jazz-pop formé d'anciens des Lounge Lizards qui connut un petit succès dans les 90s. La musique proposée est dans la même veine : un jazz urbain cool, matiné de pop songs, de musiques de film, avec en plus une pincée de hip hop décontracté grâce au human beat boxing de Napoleon Maddox. Le projet s'articule autour de chansons et poèmes inspirés par les trajets quotidiens dans le métro new-yorkais. C'est une entrée en douceur dans le festival, bercée par le son moelleux du vibraphone de Bill Ware ou du trombone de Curtis Fowlkes. Comme le fait remarquer Roy Nathanson, il n'est pas toujours évident de saisir toutes les subtilités de poèmes dans une langue étrangère, mais l'ensemble démontre cohérence et plaisir de jouer ensemble, avec en plus un sens mélodique efficace. On suit donc les tribulations des passagers du métro avec plaisir, grâce à une narration musicale presque cinématographique.
Zu, Kunsthaus Nexus, 23h00
Les trois Italiens de Zu ne font pas, eux, dans la décontraction. C'est même plutôt tout le contraire. Tout est ici question de puissance et de force brute. Les muscles tendus, le trio, très centré sur lui même, sans communication avec le public, érige un mur du son impressionnant où sax baryton, basse et batterie sont à pleine puissance, tout le temps. Cette musique se veut étouffante... et l'est aisément. On ne peut plus respirer. Les seules variations viennent de ruptures rythmiques. Pour le reste, on a un peu le sentiment qu'ils jouent de la même manière depuis trente ans, quelque soit l'endroit où ils se trouvent. Une fois l'effet de surprise de départ estompé, il n'y a plus grand chose à se mettre sous la dent. Vite, de l'air.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Roy Nathanson's Subway Moon, Kunsthaus Nexus, 21h30
Le groupe réuni par le saxophoniste new-yorkais rappelle en grande partie le line-up des Jazz Passengers, groupe jazz-pop formé d'anciens des Lounge Lizards qui connut un petit succès dans les 90s. La musique proposée est dans la même veine : un jazz urbain cool, matiné de pop songs, de musiques de film, avec en plus une pincée de hip hop décontracté grâce au human beat boxing de Napoleon Maddox. Le projet s'articule autour de chansons et poèmes inspirés par les trajets quotidiens dans le métro new-yorkais. C'est une entrée en douceur dans le festival, bercée par le son moelleux du vibraphone de Bill Ware ou du trombone de Curtis Fowlkes. Comme le fait remarquer Roy Nathanson, il n'est pas toujours évident de saisir toutes les subtilités de poèmes dans une langue étrangère, mais l'ensemble démontre cohérence et plaisir de jouer ensemble, avec en plus un sens mélodique efficace. On suit donc les tribulations des passagers du métro avec plaisir, grâce à une narration musicale presque cinématographique.
Zu, Kunsthaus Nexus, 23h00
Les trois Italiens de Zu ne font pas, eux, dans la décontraction. C'est même plutôt tout le contraire. Tout est ici question de puissance et de force brute. Les muscles tendus, le trio, très centré sur lui même, sans communication avec le public, érige un mur du son impressionnant où sax baryton, basse et batterie sont à pleine puissance, tout le temps. Cette musique se veut étouffante... et l'est aisément. On ne peut plus respirer. Les seules variations viennent de ruptures rythmiques. Pour le reste, on a un peu le sentiment qu'ils jouent de la même manière depuis trente ans, quelque soit l'endroit où ils se trouvent. Une fois l'effet de surprise de départ estompé, il n'y a plus grand chose à se mettre sous la dent. Vite, de l'air.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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samedi 5 juin 2010
Ben Goldberg Trio @ Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, mercredi 2 juin 2010
Jusqu'au 18 juillet, le MAHJ se penche sur la Radical Jewish Culture. A travers une exposition sur les racines et l'histoire de ce slogan, plus proche du questionnement permanent que de la revendication d'une esthétique partagée. Et à travers une série de concerts avec quelques figures emblématiques de ce que l'on ne peut même pas appeler un mouvement. Volontairement ou non, le concert de ce mercredi remettait même en cause le sous-titre de l'exposition : Scène musicale New York. Ben Goldberg, clarinettiste essentiel de la "jewish music beyond klezmer" chère à John Zorn, est en effet une figure de la scène alternative de la Bay Area (San Francisco). D'une côte à l'autre, sa présence était toutefois entièrement naturelle, Zorn n'ayant cessé, au fil des années, de citer le New Klezmer Trio du clarinettiste comme une des inspirations majeures de Masada. En questionnant le lien un peu trop évident et exclusif entre la Downtown Scene new-yorkaise et la Radical Jewish Culture, ce concert avait ainsi pour premier mérite de briser quelques idées reçues.
Le premier disque du New Klezmer Trio est en effet paru en 1990, soit quelques années avant qu'autour de John Zorn et de la première Knitting Factory une scène identifiable ne se structure à New York. Contrairement à d'autres groupes pionniers de la fusion entre tradition yiddish et musiques actuelles au tournant des années 80-90 (on pense aux Klezmatics), l'esthétique du New Klezmer Trio semble alors s'écarter volontairement de l'approche jubilatoire et virtuose qui colle à la peau du klezmer. Plus retenue, plus abstraite, plus jazz, la musique de Ben Goldberg (cl), Dan Seamans (cb) et Kenny Wollesen (dms) jette comme un pont entre les développements les plus sophistiqués du jazz West Coast - comment ne pas songer aux expérimentations en trio de Jimmy Giuffre par moment - et le répertoire traditionnel. Comme une prolongation, aussi, de la démarche de Shelly Manne ou Terry Gibbs, qui mêlaient dans les années 60 chansons traditionnelles et jazz californien. Bref, une musique antérieure - et par bien des aspects différente - à la mainmise de la scène alternative new-yorkaise sur la new jewish music.
Au fil de ses disques, le New Klezmer Trio a progressivement abandonné les morceaux traditionnels au profit des compositions de ses membres. Ainsi, alors qu'en 1990, sur Masks and Faces, six arrangements côtoient quatre compositions originales, en 1993, sur Melt Zonk Rewire, la proportion passe à trois contre onze, avant qu'en 1999, sur Short for something, il n'y ait plus qu'un seul morceau qui ne soit pas signé d'un des musiciens du trio. Pour son plus récent disque dans cette configuration, Ben Goldberg a même abandonné la dénomination New Klezmer Trio (la contrebasse changeant aussi de mains, passant de Dan Seamans à Greg Cohen). Sur Speech Communication, paru l'an dernier sur Tzadik et dont un extrait est disponible dans le jukebox 2009, toutes les compositions sont du clarinettiste. C'est cette configuration - Goldberg, Cohen, Wollesen - qui se présente sur la scène de l'auditorium du musée.
Ceux qui étaient venus entendre un mélange joyeux de jazz et de klezmer - habitués par exemple à la fougue de David Krakauer - ont dû être surpris. Les quelques défections de spectateurs tout au long du concert semblent indiquer une certaine incompréhension face à cette musique décidément éloignée de tous les clichés du genre. Pour ma part, je ne boude pas mon plaisir. Rien de démonstratif ici, tout est retenu, subtil - mono-chromique et extatique par moment - avec un Ben Goldberg concentré sur les textures, le choix de la juste note et un sens très délicat du silence et de la respiration. La coloration klezmer n'est pas mise en avant - même si quelques inflexions de-ci de-là ponctuent le discours du clarinettiste. La dette respectueuse envers la liberté de forme des trios de Jimmy Giuffre est en revanche partout présente. Elle transpire dans cette musique audacieuse à défaut d'être expressive. On entend également des musiciens à l'écoute de la culture classique, du folk chambriste que pratique par ailleurs Ben Goldberg au sein de Tin Hat, et d'un jazz frisellien basé sur l'étirement du temps et le goût des grands espaces. Le trio n'en oublie néanmoins pas le cœur du jazz moderne et propose, en guise de rappel, une interprétation d'un standard monkien en hommage à Steve Lacy, Américain de Paris qui enregistra d'ailleurs à la fin des années 90 un disque en solo pour la série Radical Jewish Culture de Tzadik. Une manière de boucler la boucle, tout en ayant pris soin de faire déborder dans de multiples directions une musique qu'il serait bien dommage d'enfermer dans une catégorisation trop immédiate.
A voir, un extrait du concert :
L'intégralité du concert est visible sur le site d'Akadem.
A lire ailleurs : Belette sur les concerts du duo Sylvie Courvoisier / Mark Feldman et de l'Aleph Trio (Zorn/Dunn/Baron).
Le premier disque du New Klezmer Trio est en effet paru en 1990, soit quelques années avant qu'autour de John Zorn et de la première Knitting Factory une scène identifiable ne se structure à New York. Contrairement à d'autres groupes pionniers de la fusion entre tradition yiddish et musiques actuelles au tournant des années 80-90 (on pense aux Klezmatics), l'esthétique du New Klezmer Trio semble alors s'écarter volontairement de l'approche jubilatoire et virtuose qui colle à la peau du klezmer. Plus retenue, plus abstraite, plus jazz, la musique de Ben Goldberg (cl), Dan Seamans (cb) et Kenny Wollesen (dms) jette comme un pont entre les développements les plus sophistiqués du jazz West Coast - comment ne pas songer aux expérimentations en trio de Jimmy Giuffre par moment - et le répertoire traditionnel. Comme une prolongation, aussi, de la démarche de Shelly Manne ou Terry Gibbs, qui mêlaient dans les années 60 chansons traditionnelles et jazz californien. Bref, une musique antérieure - et par bien des aspects différente - à la mainmise de la scène alternative new-yorkaise sur la new jewish music.
Au fil de ses disques, le New Klezmer Trio a progressivement abandonné les morceaux traditionnels au profit des compositions de ses membres. Ainsi, alors qu'en 1990, sur Masks and Faces, six arrangements côtoient quatre compositions originales, en 1993, sur Melt Zonk Rewire, la proportion passe à trois contre onze, avant qu'en 1999, sur Short for something, il n'y ait plus qu'un seul morceau qui ne soit pas signé d'un des musiciens du trio. Pour son plus récent disque dans cette configuration, Ben Goldberg a même abandonné la dénomination New Klezmer Trio (la contrebasse changeant aussi de mains, passant de Dan Seamans à Greg Cohen). Sur Speech Communication, paru l'an dernier sur Tzadik et dont un extrait est disponible dans le jukebox 2009, toutes les compositions sont du clarinettiste. C'est cette configuration - Goldberg, Cohen, Wollesen - qui se présente sur la scène de l'auditorium du musée.
Ceux qui étaient venus entendre un mélange joyeux de jazz et de klezmer - habitués par exemple à la fougue de David Krakauer - ont dû être surpris. Les quelques défections de spectateurs tout au long du concert semblent indiquer une certaine incompréhension face à cette musique décidément éloignée de tous les clichés du genre. Pour ma part, je ne boude pas mon plaisir. Rien de démonstratif ici, tout est retenu, subtil - mono-chromique et extatique par moment - avec un Ben Goldberg concentré sur les textures, le choix de la juste note et un sens très délicat du silence et de la respiration. La coloration klezmer n'est pas mise en avant - même si quelques inflexions de-ci de-là ponctuent le discours du clarinettiste. La dette respectueuse envers la liberté de forme des trios de Jimmy Giuffre est en revanche partout présente. Elle transpire dans cette musique audacieuse à défaut d'être expressive. On entend également des musiciens à l'écoute de la culture classique, du folk chambriste que pratique par ailleurs Ben Goldberg au sein de Tin Hat, et d'un jazz frisellien basé sur l'étirement du temps et le goût des grands espaces. Le trio n'en oublie néanmoins pas le cœur du jazz moderne et propose, en guise de rappel, une interprétation d'un standard monkien en hommage à Steve Lacy, Américain de Paris qui enregistra d'ailleurs à la fin des années 90 un disque en solo pour la série Radical Jewish Culture de Tzadik. Une manière de boucler la boucle, tout en ayant pris soin de faire déborder dans de multiples directions une musique qu'il serait bien dommage d'enfermer dans une catégorisation trop immédiate.
A voir, un extrait du concert :
L'intégralité du concert est visible sur le site d'Akadem.
A lire ailleurs : Belette sur les concerts du duo Sylvie Courvoisier / Mark Feldman et de l'Aleph Trio (Zorn/Dunn/Baron).