Une standing ovation immédiate et spontanée de la quasi totalité du public dès que la dernière note a retenti. Des cris d'enthousiasme qui évoquent plus l'ambiance d'un concert de rock que le cadre habituellement feutré des concerts classiques. La réaction du public est à la hauteur de la "performance" de Barbara Hannigan qui vient de chanter, interpréter et diriger l'orchestre en même temps. Performance, il y a effectivement, mais surtout parce que "l'exploit" ne se fait pas au détriment de la qualité artistique de l'oeuvre servie, bien au contraire.
La soprano canadienne porte le texte de Cocteau et la musique de Poulenc a elle (quasi) seule. Il y a bien sûr l'Orchestre Philharmonique de Radio France qui l'accompagne, impeccablement, sur scène, mais elle incarne tellement chaque recoin de la partition et du texte qu'on a vite d'yeux et d'oreilles que pour elle. Des oreilles, évidemment, pour l'entendre chanter ce long monologue d'une femme trompée qui passe par toutes les émotions au téléphone alors que son amant (inaudible) est sans doute au bout du fil (à moins qu'elle ne soit vraiment seule dans son chagrin). On n'entend pas non plus les standardistes qu'elle interpelle ou prend à témoin lors des nombreuses coupures (si la composition de Poulenc date de 1959, la pièce de Cocteau a, elle, été écrite en 1930). "Elle" est donc seule pour évoquer son amour déçu, ses tentatives de suicide, le soutien de son amie Marthe, sa douleur et son mince espoir. La musique de Poulenc, entre acidité, explosions de violence, silences en suspension et pointes post-romantiques, souligne parfaitement les changements d’humeur du personnage.
Les oreilles ne sont néanmoins pas seules sollicitées. Grâce à un dispositif vidéo qui capte en direct les gestes de la soprano, les yeux sont aussi mobilisés. Alors qu'elle tourne la plupart du temps le dos au public, direction d'orchestre oblige, Barbara Hannigan ne se contente pas seulement de chanter et diriger, mais elle "interprète" pleinement son personnage, comme à l'opéra. Trois caméras, dispersées au sein de l’orchestre, lui font face, l'une droit devant, les autres légèrement sur chaque côté. Un grand écran surplombe l'orchestre, et outre les sur-titres, projette une version particulièrement spectracle, en noir et blanc, de la cantatrice. Pas un plan fixe, mais des surexpositions des trois angles permis par les caméras, du flou, des gros plans sur ses mains ou ses yeux... c'est un moyen supplémentaire de faire "passer" le texte de Cocteau. Barbara Hannigan avait interprété l'oeuvre dans sa version opéra à Garnier il y a quelque années (dans une mise en scène de Warlikowski), et le passage à la direction d'orchestre ne lui fait donc pas oublier la nécessité de l'interprétation.
Un spectacle en tout point fascinant... qui fait que la première partie - l'interprétation des Métamorphoses de Richard Strauss - n'a semblé qu'une aimable introduction à la puissance de ce qui allait suivre.