Trio majuscule vendredi soir au Sunside. Le rare Fred Hersch, trop souvent réduit au rôle de musicians' musician, a proposé un concert généreux, en deux longs sets, entouré d'une paire rythmique idéale. Le pianiste américain était en effet accompagné par John Hébert (cb) et Eric McPherson (dms), dont je gardais le souvenir ému de leur contribution au dernier concert parisien du regretté Andrew Hill. C'était il y a cinq ans. McPherson, c'est l'incarnation de la légèreté. D'une subtile ponctuation. Régulière mais inventive. Très présent sur les cymbales, il semble tisser comme une fine dentelle autour des mélodies déployées par le pianiste. Mais quand on concentre l'écoute sur son jeu, on découvre une richesse rythmique, faite de multiples petites surprises, qui épice le discours sans jamais le dénaturer. Pas le genre de batteur à tirer la couverture à lui dans des solos démonstratifs. Plutôt un symbole d'élégance naturelle au service de la musique de son leader.
Au jeu des influences, on évoque souvent Bill Evans pour situer la musique de Fred Hersch. La playlist du concert, et les hommages revendiqués de quelques compositions personnelles, en disent sans doute plus long : un standard pour commencer (You're my everything), des morceaux de modernistes du jazz (Ornette, Shorter, Monk), et des compositions "inspirées par" donc (Jobim, Schumann, Monk encore). D'autres compositions personnelles, toutes nouvelles comme cette merveilleuse Havana du second set ou un peu plus anciennes comme la délicate A lark, qui figurait il y a quelques années sur l'un de mes disques préférés du pianiste (The Fred Hersh Trio +2), permettaient de bien mettre en valeur toute la musicalité que recèle l'écriture de Fred Hersch. Le pianiste a une capacité immense à rendre évidente, par une maîtrise technique loin de toute esbroufe, la complexité rythmique qu'incorpore pourtant son jeu. On est ainsi vite emporté par l'élan du trio, prié de laisser à l'entrée l'idée même d'écouter cette musique avec l'oreille de l'analyste. Le plaisir est trop présent. Le subtil lyrisme du pianiste, magnifiquement secondé par ses acolytes, entre réminiscences romantiques, influences brésiliennes et caraïbes plus suggérées qu'affirmées, et écoute attentive de tous les rénovateurs du jazz (Monk en tête, toujours et encore), ne permet aucune résistance. Là est toute la force de Fred Hersch : embrasser dans un même geste un sentiment d'inexorabilité joyeuse très contagieuse et une retenue dans les effets qui est la marque des grands. Sûrs de leur art.
A lire ailleurs : Ludovic Florin.
dimanche 6 novembre 2011
dimanche 24 juillet 2011
Ralph Alessi Quartet @ Jazz Gallery, vendredi 17 juin 2011
Après une tentative infructueuse pour aller écouter Craig Taborn en solo au Rubin Museum (concert sold out), je me rabats sur le premier set du quartet de Ralph Alessi à la Jazz Gallery de SoHo. Le trompettiste est pour l'occasion entouré de Jason Moran au piano, Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie.
Sur le trottoir devant l'entrée se forment deux sages files indiennes : l'une pour les tickets achetés en ligne et l'autre pour les "non ticket holders". Heureusement, l'évènement semble un peu moins prisé que la performance solitaire de Craig Taborn (il faut dire que le groupe joue deux sets, plusieurs soirs de suite), et il reste des places pour les envies de dernières minutes. Après l'entrée prioritaire des réservations, on peut enfin monter les marches qui mènent à une salle toute en longueur, ornée des photos d'une exposition sur Ornette Coleman. Le lieu possède un côté un peu plus institutionnel que le Stone ou le Barbès fréquentés la veille. D'ailleurs le prix d'entrée, à $20 par set, y est le double. La programmation y est résolument moderne, tout en restant dans le strict cadre du jazz. Steve Coleman y tient par exemple une master-class hebdomadaire le lundi quand il n'est pas en tournée.
On retrouve d'ailleurs ce soir-là sur scène quelques anciens compagnons de route de Steve Coleman, mais surtout des musiciens qui multiplient les expériences avec, en commun, un large spectre de collaborations : de figures légendaires en jeunes loups, il n'est pas rare de les croiser comme sidemen dans les contextes les plus divers, du post-bop aux lisières du free. Ralph Alessi impressionne par la clarté de ses lignes mélodiques à la trompette. Le son est mat, sans fioritures, résolument "droit", que ce soit sur tempo rapide ou dans les ballades. Il privilégie la lisibilité des structures et la fluidité du phrasé. Par contraste, celui qui allume le feu, c'est Nasheet Waits. Le concert est l'occasion d'un véritable festival rythmique. Extrêmement présent, le batteur dynamise l'ensemble et le pousse vers plus d'expressivité. Pour rivaliser avec la puissance chantante - Waits est un batteur qui n'oublie jamais la musicalité - les autres doivent être bien solides dans leurs choix. Jason Moran alterne ainsi les passages nourris d'un jeu anguleux hérité du stride et de Monk avec les boucles rythmiques obsessionnelles qui doivent beaucoup au hip hop. Souvent en soutien, il s'autorise néanmoins quelques solos plus surprenants où il propose fausses pistes et variations rythmiques afin de faire quelque peu dérailler la mécanique bien huilée du quartet.
Dans l'ensemble, la musique du groupe sonne particulièrement new yorkaise, moderne sans rejeter pour autant la tradition de la "musique de club" : démonstrative, dense, rythmique. Les musiciens semblent s'amuser avec les codes du jazz, sans jamais pour autant chercher à les faire exploser ou à en sortir.
Sur le trottoir devant l'entrée se forment deux sages files indiennes : l'une pour les tickets achetés en ligne et l'autre pour les "non ticket holders". Heureusement, l'évènement semble un peu moins prisé que la performance solitaire de Craig Taborn (il faut dire que le groupe joue deux sets, plusieurs soirs de suite), et il reste des places pour les envies de dernières minutes. Après l'entrée prioritaire des réservations, on peut enfin monter les marches qui mènent à une salle toute en longueur, ornée des photos d'une exposition sur Ornette Coleman. Le lieu possède un côté un peu plus institutionnel que le Stone ou le Barbès fréquentés la veille. D'ailleurs le prix d'entrée, à $20 par set, y est le double. La programmation y est résolument moderne, tout en restant dans le strict cadre du jazz. Steve Coleman y tient par exemple une master-class hebdomadaire le lundi quand il n'est pas en tournée.
On retrouve d'ailleurs ce soir-là sur scène quelques anciens compagnons de route de Steve Coleman, mais surtout des musiciens qui multiplient les expériences avec, en commun, un large spectre de collaborations : de figures légendaires en jeunes loups, il n'est pas rare de les croiser comme sidemen dans les contextes les plus divers, du post-bop aux lisières du free. Ralph Alessi impressionne par la clarté de ses lignes mélodiques à la trompette. Le son est mat, sans fioritures, résolument "droit", que ce soit sur tempo rapide ou dans les ballades. Il privilégie la lisibilité des structures et la fluidité du phrasé. Par contraste, celui qui allume le feu, c'est Nasheet Waits. Le concert est l'occasion d'un véritable festival rythmique. Extrêmement présent, le batteur dynamise l'ensemble et le pousse vers plus d'expressivité. Pour rivaliser avec la puissance chantante - Waits est un batteur qui n'oublie jamais la musicalité - les autres doivent être bien solides dans leurs choix. Jason Moran alterne ainsi les passages nourris d'un jeu anguleux hérité du stride et de Monk avec les boucles rythmiques obsessionnelles qui doivent beaucoup au hip hop. Souvent en soutien, il s'autorise néanmoins quelques solos plus surprenants où il propose fausses pistes et variations rythmiques afin de faire quelque peu dérailler la mécanique bien huilée du quartet.
Dans l'ensemble, la musique du groupe sonne particulièrement new yorkaise, moderne sans rejeter pour autant la tradition de la "musique de club" : démonstrative, dense, rythmique. Les musiciens semblent s'amuser avec les codes du jazz, sans jamais pour autant chercher à les faire exploser ou à en sortir.
dimanche 10 juillet 2011
Andy Statman Trio @ Barbès, jeudi 16 juin 2011
Take the F train... to Brooklyn, pour se retrouver à 22h au Barbès, un café parisien qui ne dénoterait pas à la Goutte d'Or. Le bar est tout en longueur. Au mur, quelques vieilles affiches en français n'ont pas sur moi l'effet exotique qu'elles procurent sans doute aux autochtones. Au fond, une petite salle derrière une vitre et un rideau accueille des concerts tous les soirs. Programmation world et jazz contemporain pour l'essentiel. Sorte de cousin d'outre-atlantique de l'Olympic Café.
Ce soir le clarinettiste klezmer Andy Statman joue en trio (cb, dms). Arborant kippa et tsitsit, il joue aussi bien dans les synagogues que dans les lieux alternatifs. Grand écart ? Plutôt une expression typiquement new-yorkaise qui, de Knitting Factory en Tonic, a remis la tradition yiddish au cœur des musiques créatives. Je ne connaissais de Statman avant ce concert qu'un disque, paru dans la série Radical Jewish Culture de Tzadik, Avodas ha-Levi : recueil passionnant de mélodies klezmer jouées avec la fougue du free jazz des 60s. Certains duos clarinette / batterie n'étant d'ailleurs pas sans évoquer, toute proportion gardée, Interstellar Space. Vétéran de la tradition yiddish, Statman semblait, sur ce disque, jeter un pont entre le revival folk des 70s et le traitement modernisé de la Downtown Scene dans les 90s.
Le concert de ce soir est plus sage que le disque. Même si la densité de son jeu à la clarinette sur l'entame du concert emporte immédiatement tous les spectateurs avec lui. Le premier morceau met ainsi la barre (trop ?) haut : solos chantants, très expressifs, de la contrebasse et drumming à mains nues - à la Joey Baron - du batteur servent d'écrin à la joyeuse fougue du leader. Par la suite, Andy Statman troque le plus souvent sa clarinette pour la mandoline, son autre instrument de prédilection. Si sur quelques morceaux il trouve des accents rebetiko qui nous rappellent que Salonique fut un grand centre juif de l'empire Ottoman, le champ d'expression de l'instrument est trop limité pour permettre de maintenir un discours surprenant tout au long du concert. On attend alors avec impatience les morceaux où il reprend sa clarinette, malheureusement minoritaires. C'est sur ceux-là qu'il fait preuve d'une véritable originalité dans l'interprétation, nourrie de jazz libre, transcendant la tradition, quand les modes de jeu à la mandoline sont, eux, un peu toujours les mêmes : jeu très rythmique, à sens unique. Même les sidemen semblent avoir moins de liberté dans ce contexte.
Concert en demi-teinte, donc. Je me faisais une joie de pouvoir voir sur scène cette légende méconnue qui tourne peu en dehors de New York, baigné du souvenir de son disque sur Tzadik. La magie ne fut que trop occasionnelle ce soir-là.
Ce soir le clarinettiste klezmer Andy Statman joue en trio (cb, dms). Arborant kippa et tsitsit, il joue aussi bien dans les synagogues que dans les lieux alternatifs. Grand écart ? Plutôt une expression typiquement new-yorkaise qui, de Knitting Factory en Tonic, a remis la tradition yiddish au cœur des musiques créatives. Je ne connaissais de Statman avant ce concert qu'un disque, paru dans la série Radical Jewish Culture de Tzadik, Avodas ha-Levi : recueil passionnant de mélodies klezmer jouées avec la fougue du free jazz des 60s. Certains duos clarinette / batterie n'étant d'ailleurs pas sans évoquer, toute proportion gardée, Interstellar Space. Vétéran de la tradition yiddish, Statman semblait, sur ce disque, jeter un pont entre le revival folk des 70s et le traitement modernisé de la Downtown Scene dans les 90s.
Le concert de ce soir est plus sage que le disque. Même si la densité de son jeu à la clarinette sur l'entame du concert emporte immédiatement tous les spectateurs avec lui. Le premier morceau met ainsi la barre (trop ?) haut : solos chantants, très expressifs, de la contrebasse et drumming à mains nues - à la Joey Baron - du batteur servent d'écrin à la joyeuse fougue du leader. Par la suite, Andy Statman troque le plus souvent sa clarinette pour la mandoline, son autre instrument de prédilection. Si sur quelques morceaux il trouve des accents rebetiko qui nous rappellent que Salonique fut un grand centre juif de l'empire Ottoman, le champ d'expression de l'instrument est trop limité pour permettre de maintenir un discours surprenant tout au long du concert. On attend alors avec impatience les morceaux où il reprend sa clarinette, malheureusement minoritaires. C'est sur ceux-là qu'il fait preuve d'une véritable originalité dans l'interprétation, nourrie de jazz libre, transcendant la tradition, quand les modes de jeu à la mandoline sont, eux, un peu toujours les mêmes : jeu très rythmique, à sens unique. Même les sidemen semblent avoir moins de liberté dans ce contexte.
Concert en demi-teinte, donc. Je me faisais une joie de pouvoir voir sur scène cette légende méconnue qui tourne peu en dehors de New York, baigné du souvenir de son disque sur Tzadik. La magie ne fut que trop occasionnelle ce soir-là.
samedi 25 juin 2011
Matthew Shipp & Darius Jones @ The Stone, jeudi 16 juin 2011
Une porte au coin de 2nd Street et d'Avenue C. En face, une station-service. Ecrit en petit, au dessus de la poignée : The Stone. Seule indication pour identifier qu'il y a derrière cette porte un lieu dédié aux musiques créatives, perdu dans cette "Alphabet City" du Lower East Side (les avenues y sont identifiées par des lettres A, B, C, D et non par des chiffres comme dans le reste de Manhattan). Pas de réservation possible, il suffit juste d'arriver à l'heure dite (les portes n'ouvrent pas avant). Quelques personnes font la queue en bon ordre au coin de la rue. A 20h, on tend un billet de 10 dollars au portier, puis on s'installe tranquillement sur l'une des - environ - 70 places assises que propose l'endroit. Pas de bière - ou quoi que ce soit d'autre - à vendre. On vient ici pour écouter de la musique, et c'est déjà beaucoup. La programmation de cet espace ouvert en 2005 par John Zorn est confiée chaque mois (ou par quinzaine comme en ce mois) à une personne différente. Du 16 au 30 juin, c'est Steven Joerg qui s'y colle. Ce dernier est le producteur du label AUM Fidelity qui documente largement la scène free new-yorkaise rassemblée autour du Vision Festival (qui s'est tenu quelques jours auparavant dans la grosse pomme) : David S. Ware, William Parker, Joe Morris, Cooper-Moore, etc.
Pour inaugurer la série (à raison de deux concerts par soir, l'un à 20h, l'autre à 22h), le duo formé par Matthew Shipp (piano) et Darius Jones (saxophone alto) s'installe au centre de la pièce. Par quelques phrases au déroulement classique, l'altiste commence par insister sur son ancrage dans la tradition du jazz. Progressivement, il laisse pourtant apparaître un discours plus exploratoire fait de déviations, bifurcations, accélérations, changements soudains de direction, hésitations, ralentissement vers un rythme lancinant, insistance répétitive sur une simple note, puis retour - sans redite - à des développements plus classiques. Ce va et vient permanent entre réceptacle d'une riche tradition et volonté d'affirmer sa singularité fait écho au jeu tout en flux et reflux si caractéristique du pianiste. Très percussif, comme à son habitude, Matthew Shipp peint un univers cubiste, aux rythmes anguleux et aux harmonies instables qui créent des conditions favorables à l'expressivité de son jeune partenaire. Souvent dans le registre de la puissance, le pianiste sait aussi, à l'occasion, ralentir le rythme pour étirer le paysage dans une approche quasi romantique, avant de repartir de plus belle dans les cascades rythmiques dont il a le secret. Le rythme est l'élément essentiel du dialogue entre les deux musiciens. Il est leur point de contact, leur terrain d'échanges, quand mélodies et harmonies sont développées dans des approches moins coordonnées.
Les morceaux s'enchaînent sans applaudissement pour les interrompre au cours de l'heure que dure le set. On est emporté par le flux constant - non sans silence, mais qui semble créer un continuum au-delà des sons émis par le saxophone et la piano. Au final, on a assisté à un set vif, très rythmique, parcouru d'échos de la tradition du jazz (free ou non), qui lance parfaitement ces quelques jours passés à parcourir les clubs new-yorkais.
Pour inaugurer la série (à raison de deux concerts par soir, l'un à 20h, l'autre à 22h), le duo formé par Matthew Shipp (piano) et Darius Jones (saxophone alto) s'installe au centre de la pièce. Par quelques phrases au déroulement classique, l'altiste commence par insister sur son ancrage dans la tradition du jazz. Progressivement, il laisse pourtant apparaître un discours plus exploratoire fait de déviations, bifurcations, accélérations, changements soudains de direction, hésitations, ralentissement vers un rythme lancinant, insistance répétitive sur une simple note, puis retour - sans redite - à des développements plus classiques. Ce va et vient permanent entre réceptacle d'une riche tradition et volonté d'affirmer sa singularité fait écho au jeu tout en flux et reflux si caractéristique du pianiste. Très percussif, comme à son habitude, Matthew Shipp peint un univers cubiste, aux rythmes anguleux et aux harmonies instables qui créent des conditions favorables à l'expressivité de son jeune partenaire. Souvent dans le registre de la puissance, le pianiste sait aussi, à l'occasion, ralentir le rythme pour étirer le paysage dans une approche quasi romantique, avant de repartir de plus belle dans les cascades rythmiques dont il a le secret. Le rythme est l'élément essentiel du dialogue entre les deux musiciens. Il est leur point de contact, leur terrain d'échanges, quand mélodies et harmonies sont développées dans des approches moins coordonnées.
Les morceaux s'enchaînent sans applaudissement pour les interrompre au cours de l'heure que dure le set. On est emporté par le flux constant - non sans silence, mais qui semble créer un continuum au-delà des sons émis par le saxophone et la piano. Au final, on a assisté à un set vif, très rythmique, parcouru d'échos de la tradition du jazz (free ou non), qui lance parfaitement ces quelques jours passés à parcourir les clubs new-yorkais.
jeudi 21 avril 2011
Amiri Baraka / Cecil Taylor @ Cité de la Musique, mercredi 20 avril 2011
Amiri Baraka est un gentil. Et il est en guerre contre les méchants. Tous les méchants. Mais s'ils ont un nez crochu et un étrange petit couvre chef sur la tête qui ne les protège pas complètement des intempéries, c'est quand même mieux.
"Who set the Reichstag Fire
Who knew the World Trade Center was gonna get bombed
Who told 4000 Israeli workers at the Twin Towers
To stay home that day"
déclame-t-il ainsi au cours de sa longue litanie pamphlétaire contre les méchants de l'histoire. On appréciera particulièrement la juxtaposition des deux évènements qui en dit long sur les ressorts profonds de cette interrogation rhétorique. Amiri Baraka est un symptôme de cette cassure historique au sein du mouvement progressiste américain entre Juifs et Noirs, survenue quelque part dans les tristes 70s post-droits civiques. Suivant une voie parallèle à la Nation of Islam farrakhanisée, il en arrive malheureusement aujourd'hui aux mêmes bêtises. Amiri Baraka est aussi un symptôme de la démonétisation du discours nationaliste noir dans l'Amérique d'Obama. Les textes scandés hier soir dataient tous de l'époque Bush et semblaient ancrés dans une autre époque, déjà lointaine, où le manichéisme pouvait encore tenir lieu de progressisme. L'inspiration pamphlétaire se serait-elle tarie ? Ce ne sont pas les brèves allusions aux bombardements en Lybie, recyclage qu'il semble lui-même, tant l'ardeur est absente, trouver trop facile des critiques contre l'intervention en Irak, qui y changeront quelque chose.
La soirée d'hier à la Cité de la Musique sous-titrée Diction & Contra-diction fut cependant chiche en contradiction. Pas de partage d'affiche contrairement à ce que le programme pouvait laisser croire. Après les slogans d'Amiri Baraka, les lumières se rallument sans que personne ne sache réellement s'il s'agit d'une courte respiration ou d'un entracte. Vingt minutes plus tard, un petit homme tout de blanc vêtu s'avance, partitions à la main, vers le piano. Cecil Taylor a donc des partitions !
Il me faut là faire un petit détour par un soir d'octobre 2002, au même endroit. J'étais en effet resté sur un souvenir pour le moins... particulier de Cecil Taylor. Il est en effet à l'origine du seul fou-rire que je n'ai jamais eu au cours d'un concert. Enfin, concert si on peut appeler de la sorte ses pitreries clownesques de l'époque. Ne touchant quasiment pas son piano, le grand musicien préfère déclamer des poèmes de sa composition dans une langue imaginaire inarticulée en effectuant quelques mouvements de danse qui se veulent précolombiens (enfin, c'est ce que disait le programme dans mon souvenir). Le tout agrémenté de magnifiques chaussettes vert pomme remontées sur son pantalon. Un grand moment ! La "performance" faisait suite à un solo plus que minimaliste de Tony Oxley et précédait le souffle silencieux de Bill Dixon. Défense et illustration des clichés qui collent à la peau du free jazz.
Je revenais par conséquent neuf ans plus tard avec quelques appréhensions. C'est peut-être le contraste entre ce souvenir encore très présent et le flux ininterrompu du piano qui m'a fait autant apprécier le concert d'hier soir. Prêt à toutes les "surprises" extra-musicales, j'ai été littéralement happé par... la musique. D'abord hachurée, faite de rythmes concassés et d'accords jetés en vrac, elle prend vite forme(s) et laisse alors transpirer les fantômes du blues au cours de longues chevauchées aux changements de rythmes incessants. J'y entends de délicats échos du Duke Elington des petites formations (Money Jungle), une majesté dans les passages les plus calmes qui évoque Abdullah Ibrahim ou encore une science des mécaniques rythmiques proche des Études de Ligeti. J'y entends étrangement assez peu de la densité taylorienne qui marque ses grands disques des roaring sixties. On semble plus dans l'exploration de nouvelles combinaisons rythmiques, d'une mélodie prise en cours de route et aussitôt laissée là, sur le bord du chemin, que dans la perpétuation de la fougue légendaire de l'Unit. Si les faibles variations de jeu peuvent facilement paraître hermétiques, la clarté du doigté et l'ampleur du son ont vite fait de m'embarquer avec eux.
Quelque part il doit être écrit qu'un concert de Cecil Taylor laisse toujours un souvenir singulier.
A lire ailleurs : Criss Cross, Ludovic Florin, Philippe Carles, Bladsurb.
"Who set the Reichstag Fire
Who knew the World Trade Center was gonna get bombed
Who told 4000 Israeli workers at the Twin Towers
To stay home that day"
déclame-t-il ainsi au cours de sa longue litanie pamphlétaire contre les méchants de l'histoire. On appréciera particulièrement la juxtaposition des deux évènements qui en dit long sur les ressorts profonds de cette interrogation rhétorique. Amiri Baraka est un symptôme de cette cassure historique au sein du mouvement progressiste américain entre Juifs et Noirs, survenue quelque part dans les tristes 70s post-droits civiques. Suivant une voie parallèle à la Nation of Islam farrakhanisée, il en arrive malheureusement aujourd'hui aux mêmes bêtises. Amiri Baraka est aussi un symptôme de la démonétisation du discours nationaliste noir dans l'Amérique d'Obama. Les textes scandés hier soir dataient tous de l'époque Bush et semblaient ancrés dans une autre époque, déjà lointaine, où le manichéisme pouvait encore tenir lieu de progressisme. L'inspiration pamphlétaire se serait-elle tarie ? Ce ne sont pas les brèves allusions aux bombardements en Lybie, recyclage qu'il semble lui-même, tant l'ardeur est absente, trouver trop facile des critiques contre l'intervention en Irak, qui y changeront quelque chose.
La soirée d'hier à la Cité de la Musique sous-titrée Diction & Contra-diction fut cependant chiche en contradiction. Pas de partage d'affiche contrairement à ce que le programme pouvait laisser croire. Après les slogans d'Amiri Baraka, les lumières se rallument sans que personne ne sache réellement s'il s'agit d'une courte respiration ou d'un entracte. Vingt minutes plus tard, un petit homme tout de blanc vêtu s'avance, partitions à la main, vers le piano. Cecil Taylor a donc des partitions !
Il me faut là faire un petit détour par un soir d'octobre 2002, au même endroit. J'étais en effet resté sur un souvenir pour le moins... particulier de Cecil Taylor. Il est en effet à l'origine du seul fou-rire que je n'ai jamais eu au cours d'un concert. Enfin, concert si on peut appeler de la sorte ses pitreries clownesques de l'époque. Ne touchant quasiment pas son piano, le grand musicien préfère déclamer des poèmes de sa composition dans une langue imaginaire inarticulée en effectuant quelques mouvements de danse qui se veulent précolombiens (enfin, c'est ce que disait le programme dans mon souvenir). Le tout agrémenté de magnifiques chaussettes vert pomme remontées sur son pantalon. Un grand moment ! La "performance" faisait suite à un solo plus que minimaliste de Tony Oxley et précédait le souffle silencieux de Bill Dixon. Défense et illustration des clichés qui collent à la peau du free jazz.
Je revenais par conséquent neuf ans plus tard avec quelques appréhensions. C'est peut-être le contraste entre ce souvenir encore très présent et le flux ininterrompu du piano qui m'a fait autant apprécier le concert d'hier soir. Prêt à toutes les "surprises" extra-musicales, j'ai été littéralement happé par... la musique. D'abord hachurée, faite de rythmes concassés et d'accords jetés en vrac, elle prend vite forme(s) et laisse alors transpirer les fantômes du blues au cours de longues chevauchées aux changements de rythmes incessants. J'y entends de délicats échos du Duke Elington des petites formations (Money Jungle), une majesté dans les passages les plus calmes qui évoque Abdullah Ibrahim ou encore une science des mécaniques rythmiques proche des Études de Ligeti. J'y entends étrangement assez peu de la densité taylorienne qui marque ses grands disques des roaring sixties. On semble plus dans l'exploration de nouvelles combinaisons rythmiques, d'une mélodie prise en cours de route et aussitôt laissée là, sur le bord du chemin, que dans la perpétuation de la fougue légendaire de l'Unit. Si les faibles variations de jeu peuvent facilement paraître hermétiques, la clarté du doigté et l'ampleur du son ont vite fait de m'embarquer avec eux.
Quelque part il doit être écrit qu'un concert de Cecil Taylor laisse toujours un souvenir singulier.
A lire ailleurs : Criss Cross, Ludovic Florin, Philippe Carles, Bladsurb.
dimanche 27 mars 2011
Taylor Ho Bynum Sextet / Joëlle Léandre Sudo Quartet @ Salle Pablo Neruda, Bobigny, vendredi 25 mars 2011
Deux groupes majuscules réunis sur la scène du festival Banlieues Bleues : relève américaine et Européens intemporels. Le sextet de Taylor Ho Bynum sert une écriture belle, intelligente, ludique et surprenante. J'avais déjà eu l'occasion - et la chance - d'y goûter l'été dernier à Saalfelden. Plaisir renouvelé. Le concert débute par un solo du cornettiste leader qui impressionne par sa technique de souffle continu. Au-delà de la performance physique, il y a surtout un discours qui, dans le dénuement du solo introductif, donne déjà toutes les indications sur ce qui va suivre : attachement aux flux et aux contrepoints, à la circulation du son et des idées, au souffle et aux murmures. Le sextet s'engage alors dans un morceau écrit en hommage à Bill Lowe, qui tient le pupitre du trombone basse et du tuba dans l'actuelle composition du groupe. On pouvait déjà entendre une version de ce morceau, Look Below, par le trio à la base du sextet sur l'excellent Asphalt Flowers Forking Paths (Hat Hut, 2008). Taylor Ho Bynum, Mary Halvorson (guitare) et Tomas Fujiwara (batterie) forment en effet la colonne vertébrale de cet ensemble dont les trois autres membres ont été renouvelés par rapport aux deux disques déjà sortis par le groupe. Il ne s'agit plus uniquement de l'expression d'une jeunesse brooklynienne grandie musicalement dans le sillage d'Anthony Braxton, puisque le sextet est désormais complété par des musiciens un peu plus âgés, nourris d'autres expériences : Ken Filiano à la contrebasse, Jim Hobbs au sax alto et donc le vétéran Bill Lowe au trombone basse et tuba.
Comme à Saalfelden, le cœur du concert est constitué par une longue suite d'une quarantaine de minutes, en quatre parties. Cette commande d'une institution artistique américaine devrait être enregistrée le mois prochain. Et c'est tant mieux, car ce n'est pas deux écoutes à six mois d'intervalle qui vont suffire à en épuiser les richesses, les surprises et les subtilités d'écriture. Ample dans sa forme, diverse dans ses formes - flirtant parfois avec le risque du collage - l'écriture de Taylor Ho Bynum est surtout, en concert, un parfait prétexte au jeu. Jeu avec les sons, jeu entre les musiciens avec un Bill Lowe souvent hilare, un Ken Filiano à la large "banane" en travers du visage et un Jim Hobbs facétieux, presque clownesque, dans ses débordements lyriques. Mary Halvorson et Tomas Fujiwara sont, par caractère ou par nécessité, plus concentrés sur leur rôle au service de la construction d'ensemble. Plus fondus dans le discours collectif, ils n'en sont pour autant pas moins importants. Les contrepoints acidulés de la guitare d'Halvorson et l'élégance chantante de la batterie de Fujiwara sont des caractéristiques finalement plus déterminantes de la musique du sextet que les solos rageurs du saxophoniste.
Le concert s'achève sur un blues intitulé Bowie. Taylor Ho Bynum explique alors que Lester Bowie est un de ses héros, qu'il lui a dédié un morceau et... que ce n'est pas celui-ci. Les musiciens sont hilares et enchaînent dans un élan mingussien sur lequel la guitare de Mary Halvorson se permet un solo incisif très rock.
Joëlle Léandre fête cette année ses soixante ans. La contrebassiste, ex de l'EIC et figure de proue de l'improvisation libre en France (et dans le monde), se voit offrir de multiples apparitions sur les scènes hexagonales à cette occasion. Avec, à chaque fois, des combinaisons instrumentales différentes. Pour Banlieues Bleues, c'est donc un quartet "sudiste" (Aix, Portugal, Sicile et un Allemand de Toscane) de vétérans de la free music qui se présente sur scène. "Vétérans", mais loin de radoter les souvenirs d'une époque révolue. Au contraire, c'est la fraîcheur sans cesse renouvelée du discours qui ne cesse d'étonner et de caractériser cette musique. Il y a d'abord la science percussive de Paul Lovens, de cliquetis en ponctuations, plus suggérée qu'imposée, qui sert de cadre ouvert. ll y a ensuite le trombone échappé de l'Instabile Orchestra, vrombissant et sussurant, de Sebi Tramontana qui donne du relief. Il y a enfin les huit cordes de Carlos Zingaro (violon) et Joëlle Léandre qui s'échappent vers le grand large, les espaces infinis, la beauté vénéneuse de l'absence de limite. Ces quatre là, compagnons de route des uns et des autres dans des contextes toujours changeants depuis des années, maîtrisent suffisamment leur instrument et leur discours pour ne pas s'encombrer de devoir les respecter. Ils préfèrent le jeu ouvert, sur la surprise du moment présent comme sur l'horizon inaccessible, et nous embarquent ainsi dans un voyage au long cours dont on revient heureux, enivré de l'étendue (l'entendu ?) des grands espaces et de l'air vivifiant du grand large. Une grande bouffée d'oxygène, bien nécessaire dans notre époque par ailleurs bien aseptisée.
A lire ailleurs : Franck Bergerot, Philippe Carles.
Dans les archives : ma découverte de Taylor Ho Bynum aux côtés d'Anthony Braxton à la Villette en 2005.
Comme à Saalfelden, le cœur du concert est constitué par une longue suite d'une quarantaine de minutes, en quatre parties. Cette commande d'une institution artistique américaine devrait être enregistrée le mois prochain. Et c'est tant mieux, car ce n'est pas deux écoutes à six mois d'intervalle qui vont suffire à en épuiser les richesses, les surprises et les subtilités d'écriture. Ample dans sa forme, diverse dans ses formes - flirtant parfois avec le risque du collage - l'écriture de Taylor Ho Bynum est surtout, en concert, un parfait prétexte au jeu. Jeu avec les sons, jeu entre les musiciens avec un Bill Lowe souvent hilare, un Ken Filiano à la large "banane" en travers du visage et un Jim Hobbs facétieux, presque clownesque, dans ses débordements lyriques. Mary Halvorson et Tomas Fujiwara sont, par caractère ou par nécessité, plus concentrés sur leur rôle au service de la construction d'ensemble. Plus fondus dans le discours collectif, ils n'en sont pour autant pas moins importants. Les contrepoints acidulés de la guitare d'Halvorson et l'élégance chantante de la batterie de Fujiwara sont des caractéristiques finalement plus déterminantes de la musique du sextet que les solos rageurs du saxophoniste.
Le concert s'achève sur un blues intitulé Bowie. Taylor Ho Bynum explique alors que Lester Bowie est un de ses héros, qu'il lui a dédié un morceau et... que ce n'est pas celui-ci. Les musiciens sont hilares et enchaînent dans un élan mingussien sur lequel la guitare de Mary Halvorson se permet un solo incisif très rock.
Joëlle Léandre fête cette année ses soixante ans. La contrebassiste, ex de l'EIC et figure de proue de l'improvisation libre en France (et dans le monde), se voit offrir de multiples apparitions sur les scènes hexagonales à cette occasion. Avec, à chaque fois, des combinaisons instrumentales différentes. Pour Banlieues Bleues, c'est donc un quartet "sudiste" (Aix, Portugal, Sicile et un Allemand de Toscane) de vétérans de la free music qui se présente sur scène. "Vétérans", mais loin de radoter les souvenirs d'une époque révolue. Au contraire, c'est la fraîcheur sans cesse renouvelée du discours qui ne cesse d'étonner et de caractériser cette musique. Il y a d'abord la science percussive de Paul Lovens, de cliquetis en ponctuations, plus suggérée qu'imposée, qui sert de cadre ouvert. ll y a ensuite le trombone échappé de l'Instabile Orchestra, vrombissant et sussurant, de Sebi Tramontana qui donne du relief. Il y a enfin les huit cordes de Carlos Zingaro (violon) et Joëlle Léandre qui s'échappent vers le grand large, les espaces infinis, la beauté vénéneuse de l'absence de limite. Ces quatre là, compagnons de route des uns et des autres dans des contextes toujours changeants depuis des années, maîtrisent suffisamment leur instrument et leur discours pour ne pas s'encombrer de devoir les respecter. Ils préfèrent le jeu ouvert, sur la surprise du moment présent comme sur l'horizon inaccessible, et nous embarquent ainsi dans un voyage au long cours dont on revient heureux, enivré de l'étendue (l'entendu ?) des grands espaces et de l'air vivifiant du grand large. Une grande bouffée d'oxygène, bien nécessaire dans notre époque par ailleurs bien aseptisée.
A lire ailleurs : Franck Bergerot, Philippe Carles.
Dans les archives : ma découverte de Taylor Ho Bynum aux côtés d'Anthony Braxton à la Villette en 2005.
Afterlife Music Radio / Tony Malaby's Apparitions @ La Dynamo, mercredi 23 mars 2011
Premier des trois concerts auxquels j'ai prévu d'assister dans le cadre du festival Banlieues Bleues cette année. J'avais déjà eu l'occasion de voir l'étrange association dissimulée derrière le non moins énigmatique nom d'Afterlife Music Radio l'année dernière en ce même lieu. Cette première expérience m'avait quelque peu frustré, avec l'impression d'être resté en dehors du concept proposé. Frustration accrue par la présence de musiciens qui me sont pourtant particulièrement chers, à commencer par Myra Melford au piano et Ben Goldberg à la clarinette.
Afterlife Music Radio est en effet l'association de trois musiciens américains au carrefour du jazz et d'horizons ouverts sur le vaste monde (Shahzad Ismaily complète le casting à la guitare et à la batterie) et du manipulateur sonore français Mathias Delplanque. Celui-ci, derrière son laptop, triture le son de ses acolytes, propose des accidents percussifs ou réinjecte sans prévenir des phrases captées quelques secondes ou minutes auparavant. Devant lui, les trois Américains jouent leur musique - on reconnaît des inflexions très personnelles chez Melford et Goldberg. Et c'est peut-être là le problème. Tout au long du concert, on n'arrive pas à se départir de cette impression de collage, de juxtaposition d'éléments qui ont leur intérêt pris isolément, mais qui ne forment pas un tout, ou a minima un dialogue articulé. Les ambiances traversées sont diverses, de délicats échanges piano-clarinette en clair-obscur à des dérives quasiment electro-rock, avec à la fin le sentiment d'être face à un patchwork trop bariolé. Alors que le trio seul m'aurait sans doute pleinement convaincu, alors qu'un dialogue électronique vs instrumentistes centré sur un discours principal aurait pu avoir son intérêt, on reste une nouvelle fois frustré par ce non-choix quant à la direction à suivre. Si la première fois, on mettait ça sur le compte de la jeunesse du projet, cette fois-ci on reste plus dubitatif sur son sens profond.
La deuxième partie résonne en revanche de choix clairement assumés. Tony Malaby souffle en continu tout au long du concert. Le ténor américain flotte littéralement au dessus de la richesse rythmique que lui proposent ses trois complices, soit l'assise régulière de Drew Gress à la contrebasse, le foisonnement polyrythmique de Tom Rainey à la batterie, et les couleurs changeantes et chantantes de John Hollenbeck aux percussions. Car ce quartet est bien plus qu'un "quartet à deux batteries" tant Hollenbeck ne frappe qu'occasionnellement ses toms, préférant circuler librement, virevolter, entre xylophone, marimba, vibraphone et mélodica. Assis du côté d'Hollenbeck, mon écoute était naturellement conduite par ma vue, et il m'a semblé que c'était lui qui était au centre du discours musical, qui en apportait les inflexions et les accentuations, libérant du même coup Malaby, qui pouvait se concentrer sur la puissance continuelle du souffle. Le souffle comme geste primordial. Avant le son, avant la note, bien avant la mélodie. A la fois dense et ponctuée de surprises percussives, la musique du trio rythmique n'est alors là que pour servir d'écrin au souffle d'un des vrais géants du saxophone contemporain. Un choix assumé, et par là même convaincant.
A lire ailleurs : Robert Latxague.
Dans les archives : deux concerts de Tony Malaby en trio en 2006, avec Angelica Sanchez et Tom Rainey à l'ancien Duc des Lombards, et avec Marc Ducret et Daniel Humair au Sunside.
Afterlife Music Radio est en effet l'association de trois musiciens américains au carrefour du jazz et d'horizons ouverts sur le vaste monde (Shahzad Ismaily complète le casting à la guitare et à la batterie) et du manipulateur sonore français Mathias Delplanque. Celui-ci, derrière son laptop, triture le son de ses acolytes, propose des accidents percussifs ou réinjecte sans prévenir des phrases captées quelques secondes ou minutes auparavant. Devant lui, les trois Américains jouent leur musique - on reconnaît des inflexions très personnelles chez Melford et Goldberg. Et c'est peut-être là le problème. Tout au long du concert, on n'arrive pas à se départir de cette impression de collage, de juxtaposition d'éléments qui ont leur intérêt pris isolément, mais qui ne forment pas un tout, ou a minima un dialogue articulé. Les ambiances traversées sont diverses, de délicats échanges piano-clarinette en clair-obscur à des dérives quasiment electro-rock, avec à la fin le sentiment d'être face à un patchwork trop bariolé. Alors que le trio seul m'aurait sans doute pleinement convaincu, alors qu'un dialogue électronique vs instrumentistes centré sur un discours principal aurait pu avoir son intérêt, on reste une nouvelle fois frustré par ce non-choix quant à la direction à suivre. Si la première fois, on mettait ça sur le compte de la jeunesse du projet, cette fois-ci on reste plus dubitatif sur son sens profond.
La deuxième partie résonne en revanche de choix clairement assumés. Tony Malaby souffle en continu tout au long du concert. Le ténor américain flotte littéralement au dessus de la richesse rythmique que lui proposent ses trois complices, soit l'assise régulière de Drew Gress à la contrebasse, le foisonnement polyrythmique de Tom Rainey à la batterie, et les couleurs changeantes et chantantes de John Hollenbeck aux percussions. Car ce quartet est bien plus qu'un "quartet à deux batteries" tant Hollenbeck ne frappe qu'occasionnellement ses toms, préférant circuler librement, virevolter, entre xylophone, marimba, vibraphone et mélodica. Assis du côté d'Hollenbeck, mon écoute était naturellement conduite par ma vue, et il m'a semblé que c'était lui qui était au centre du discours musical, qui en apportait les inflexions et les accentuations, libérant du même coup Malaby, qui pouvait se concentrer sur la puissance continuelle du souffle. Le souffle comme geste primordial. Avant le son, avant la note, bien avant la mélodie. A la fois dense et ponctuée de surprises percussives, la musique du trio rythmique n'est alors là que pour servir d'écrin au souffle d'un des vrais géants du saxophone contemporain. Un choix assumé, et par là même convaincant.
A lire ailleurs : Robert Latxague.
Dans les archives : deux concerts de Tony Malaby en trio en 2006, avec Angelica Sanchez et Tom Rainey à l'ancien Duc des Lombards, et avec Marc Ducret et Daniel Humair au Sunside.
dimanche 23 janvier 2011
Benoît Delbecq & François Houle / Tim Berne & Los Totopos @ La Dynamo, mardi 18 janvier 2011
Le clarinettiste québécois et le pianiste français se sont retrouvés pour enregistrer leur troisième disque en duo. Après la séance studio le matin, ils se présentent à l'épreuve de la scène dans une Dynamo relativement bien remplie. Le piano de Benoît Delbecq est extrêmement préparé pour le premier morceau. Les pinces à linge et autres petits bouts de bois donnent un caractère moelleux aux rythmes étouffés qui s'échappent des cordes du piano. On se laisse immédiatement transporter du côté des musiques d'Afrique centrale, comme si le grand piano occidental était changé en sanza, ce "piano à pouces" typique des polyrythmies du cœur du continent noir. A la clarinette, François Houle joue lui aussi sur l'aspect percussif, en faisant claquer sa langue pour restreindre le souffle, et en insistant sur les cliquetis des clés de son instrument. Ce duo de percussions, bien loin des habitudes des deux instruments présents sur scène, dévoile un univers onirique, fait de sonorités cotonneuses et de lumières ouatées.
Le dernier morceau du concert joue sur le même registre, avec un piano à nouveau fortement préparé et un jeu percussif, mais néanmoins moelleux, mis en avant. Entre ces introduction et conclusion en miroir, les deux acolytes jouent entre deux mondes. La musique est parcourue de douces mélodies, comme sur le délicat Concombre de Chicoutimi, et de grooves minimalistes qui n'écrasent jamais la délicatesse des morceaux. Cette alliance des contraires - percussions moelleuses, abstraction narrative - donne toute sa magie singulière à une musique qui ne ressemble à aucune autre. En effet, si les fantômes de Steve Lacy, des musiques pygmées ou de Ligeti sont évoqués, c'est sur le mode de sources enfouies, tellement assimilées qu'elles ont perdu leur caractère identifiable et qu'elles deviennent facteurs de liberté, propices aux combinaisons sonores inédites.
L'écriture de Tim Berne ne change pas. On retrouve ces compositions labyrinthiques au long cours, parcourues de stridences bleues acier, entêtantes, inquiétantes, souterraines. Ce qui change, en revanche, ce sont les musiciens qui l'accompagnent. Ches Smith, déjà vu aux côtés de Mary Halvorson ou de Marc Ribot, succède à la batterie à Joey Baron, Jim Black et Tom Rainey, sorte de sainte trinité percussive du NY downtown. Habitué des contextes avant-rock, il allie frappe sèche et ruptures percussives bruitistes. Les deux autres membres des "chips de maïs" me sont moins connus. Aux clarinettes, la présence d'Oscar Noriega, originaire de Tucson, Arizona (comme Tony Malaby), explique peut-être cette référence à la cuisine mexicaine. La confrontation de la rondeur puissante du souffle de Noriega et des stridences acides du leader est à mon goût le principal intérêt de ce nouveau groupe. Elle en est l'originalité, et le facteur de renouveau de la musique du saxophoniste - au-delà des repères d'une écriture désormais familière. On est loin des développements planant d'un Chris Speed, avec lequel Berne avait déjà expérimenté l'inclusion de la clarinette à ses ensembles. On est plutôt du côté d'un souffle chaud, puissant sans être toutefois rutilant, apportant une approche sudiste assez nouvelle dans la musique de Tim Berne. Au piano, Matt Mitchell développe lui un discours dense, heurté, d'apparence désordonnée, mais qui progressivement s'organise en flux et reflux puissants au sein desquels les deux souffleurs tentent d'émerger. L'omniprésence du piano, en vagues déferlantes continues, accentue les jeux de souterrains propres à la musique de Tim Berne. La mélodie n'est visible que par intermittences, comme si elle avait du mal à dompter ce magma en fusion. Poursuivant une démarche entamée il y a plus de vingt ans, ce nouvel ensemble bernien propose ainsi un renouveau bienvenu au sein d'un langage qui pourrait sans cela paraître parfois un peu corseté.
A lire ailleurs : Franck Bergerot.
Le dernier morceau du concert joue sur le même registre, avec un piano à nouveau fortement préparé et un jeu percussif, mais néanmoins moelleux, mis en avant. Entre ces introduction et conclusion en miroir, les deux acolytes jouent entre deux mondes. La musique est parcourue de douces mélodies, comme sur le délicat Concombre de Chicoutimi, et de grooves minimalistes qui n'écrasent jamais la délicatesse des morceaux. Cette alliance des contraires - percussions moelleuses, abstraction narrative - donne toute sa magie singulière à une musique qui ne ressemble à aucune autre. En effet, si les fantômes de Steve Lacy, des musiques pygmées ou de Ligeti sont évoqués, c'est sur le mode de sources enfouies, tellement assimilées qu'elles ont perdu leur caractère identifiable et qu'elles deviennent facteurs de liberté, propices aux combinaisons sonores inédites.
L'écriture de Tim Berne ne change pas. On retrouve ces compositions labyrinthiques au long cours, parcourues de stridences bleues acier, entêtantes, inquiétantes, souterraines. Ce qui change, en revanche, ce sont les musiciens qui l'accompagnent. Ches Smith, déjà vu aux côtés de Mary Halvorson ou de Marc Ribot, succède à la batterie à Joey Baron, Jim Black et Tom Rainey, sorte de sainte trinité percussive du NY downtown. Habitué des contextes avant-rock, il allie frappe sèche et ruptures percussives bruitistes. Les deux autres membres des "chips de maïs" me sont moins connus. Aux clarinettes, la présence d'Oscar Noriega, originaire de Tucson, Arizona (comme Tony Malaby), explique peut-être cette référence à la cuisine mexicaine. La confrontation de la rondeur puissante du souffle de Noriega et des stridences acides du leader est à mon goût le principal intérêt de ce nouveau groupe. Elle en est l'originalité, et le facteur de renouveau de la musique du saxophoniste - au-delà des repères d'une écriture désormais familière. On est loin des développements planant d'un Chris Speed, avec lequel Berne avait déjà expérimenté l'inclusion de la clarinette à ses ensembles. On est plutôt du côté d'un souffle chaud, puissant sans être toutefois rutilant, apportant une approche sudiste assez nouvelle dans la musique de Tim Berne. Au piano, Matt Mitchell développe lui un discours dense, heurté, d'apparence désordonnée, mais qui progressivement s'organise en flux et reflux puissants au sein desquels les deux souffleurs tentent d'émerger. L'omniprésence du piano, en vagues déferlantes continues, accentue les jeux de souterrains propres à la musique de Tim Berne. La mélodie n'est visible que par intermittences, comme si elle avait du mal à dompter ce magma en fusion. Poursuivant une démarche entamée il y a plus de vingt ans, ce nouvel ensemble bernien propose ainsi un renouveau bienvenu au sein d'un langage qui pourrait sans cela paraître parfois un peu corseté.
A lire ailleurs : Franck Bergerot.
lundi 10 janvier 2011
Michel Portal Sextet @ Salle Pleyel, dimanche 9 janvier 2011
Les all-stars font peur. La musique peut-elle survivre à l'alignement de noms prestigieux ? Le groupe réuni par Portal pour son plus récent disque (Baïlador, pas encore écouté) ressemble furieusement à un all-stars. La musique ? Elle jaillit comme si ce groupe avait déjà une longue existence commune. Avec une tournée commencée seulement la veille à Metz et des sessions de studio qui n'ont pas dû être très nombreuses, il y a un petit côté miraculeux.
Tout commence par quelques notes de guitare aux sonorités sahéliennes. Lionel Loueke, isolé sur la droite de la scène, égraine une sorte de blues ouest-africain qui hésite entre électricité et sécheresse acoustique. Il s'accompagne de percussions vocales qui installent progressivement une polyrythmie bancale mais prenante. Jack DeJohnette le rejoint pour densifier le propos percussif. Il se coule parfaitement, tout au long du concert, dans ces rythmes africains revisités, inventant un fantasme de jazz panafricain débordant du continent noir, vers la Méditerranée, vers l'Argentine, vers Cuba. Il est le moteur permanent de cette musique basée avant tout sur la richesse rythmique. Il est celui qui définit les couleurs des morceaux plus que tout autre. Les autres apportent les nuances, lui décide du climat. Lui qui a proposé à Portal de remonter un projet commun des années après leur précédente collaboration semble habité par la musique du basque, particulièrement démonstratif de sa joie de jouer et d'être là face à un public nombreux.
La (bonne) surprise de ce groupe, c'est la présence d'Ambrose Akinmusire à la trompette. Le jeune new yorkais d'origine nigériane n'est pas un inconnu. On a déjà eu l'occasion de l'entendre, alors tout juste la vingtaine, aux côtés de Steve Coleman au début des années 2000. Mais depuis, il s'était fait discret. Le retrouver là, dans un contexte assez éloigné des fortes structures colemaniennes, incite tout d'abord à la curiosité. Il ne faut pas longtemps pour comprendre tout son apport au groupe. Sa sonorité est particulièrement limpide, même dans les tempos rapides qui ne manquent pas. Lors d'un solo, sur un morceau aux couleurs latines, il retient particulièrement l'attention. Solaire, il irradie doucement la musique jusqu'à sembler en calmer le rythme pour atteindre la sérénité. Il évoque alors étrangement la majesté que sait donner Abdullah Ibrahim à son piano. Ne se contentant pas de jouer la musique de Portal, il y apporte une personnalité musicale déjà affirmée.
Si Bojan Z, qui étend lui la musique vers le nord-Sahara, est au piano et au rhodes l'architecte du groupe (il a choisi les musiciens pour Portal, et son jeu sert avant tout de support à l'ensemble), on reconnaît partout la patte du basque, notamment dans des mélodies clairement identifiables. Si la plupart des morceaux sont récents (mis à part un traditionnel Solitudes repéré vers la fin du concert), on a le sentiment d'être en terrain extrêmement familier. Trop ? Le risque existe, mais l'originalité des couleurs rythmiques permet au besoin de surprise d'être comblé.
Les bons, voire très bons, moments abondent. Scott Colley, qu'il serait injuste de maintenir dans l'ombre - relative - de sa notoriété et de son rôle de maintien du groove, y est pour beaucoup. Il retrouvait pour l'occasion Bojan Z, avec qui il avait gravé ce qui reste le meilleur disque du pianiste bosniaque à mon goût (Transpacifik, Label Bleu, 2003). Il assure le lien permanent entre les différents ingrédients rythmiques qui émanent du piano, de la guitare et de la batterie, les couleurs jazz, latines et africaines. Il est une indispensable colonne vertébrale, transformant ce rôle parfois ingrat en autant d'occasions de nuancer le propos, d'insuffler un peu de douceur et de retenue dans la profusion apparente des morceaux. C'est néanmoins sans lui, seul face à Lionel Loueke, que Portal choisit de dévoiler dans toute sa simplicité les contours fragiles d'une mélodie chuchotée à la clarinette basse. Nichée au cœur du concert, elle est le joyau dépouillé d'un riche écrin rythmique.
A la fin, pour le second rappel, Portal est laissé seul en scène par ses camarades de jeu. Dejarme solo ! proclamait l'un de ses disques il y a trente ans. Il maîtrise l'exercice. Il empoigne sa clarinette basse et sert une version expressive, passant par tous les sentiments possibles, de son "tube" Mutinerie. La conclusion idéale.
A lire ailleurs : Klari, Bladsurb.
A voir : le concert sur Arte Live Web.
Tout commence par quelques notes de guitare aux sonorités sahéliennes. Lionel Loueke, isolé sur la droite de la scène, égraine une sorte de blues ouest-africain qui hésite entre électricité et sécheresse acoustique. Il s'accompagne de percussions vocales qui installent progressivement une polyrythmie bancale mais prenante. Jack DeJohnette le rejoint pour densifier le propos percussif. Il se coule parfaitement, tout au long du concert, dans ces rythmes africains revisités, inventant un fantasme de jazz panafricain débordant du continent noir, vers la Méditerranée, vers l'Argentine, vers Cuba. Il est le moteur permanent de cette musique basée avant tout sur la richesse rythmique. Il est celui qui définit les couleurs des morceaux plus que tout autre. Les autres apportent les nuances, lui décide du climat. Lui qui a proposé à Portal de remonter un projet commun des années après leur précédente collaboration semble habité par la musique du basque, particulièrement démonstratif de sa joie de jouer et d'être là face à un public nombreux.
La (bonne) surprise de ce groupe, c'est la présence d'Ambrose Akinmusire à la trompette. Le jeune new yorkais d'origine nigériane n'est pas un inconnu. On a déjà eu l'occasion de l'entendre, alors tout juste la vingtaine, aux côtés de Steve Coleman au début des années 2000. Mais depuis, il s'était fait discret. Le retrouver là, dans un contexte assez éloigné des fortes structures colemaniennes, incite tout d'abord à la curiosité. Il ne faut pas longtemps pour comprendre tout son apport au groupe. Sa sonorité est particulièrement limpide, même dans les tempos rapides qui ne manquent pas. Lors d'un solo, sur un morceau aux couleurs latines, il retient particulièrement l'attention. Solaire, il irradie doucement la musique jusqu'à sembler en calmer le rythme pour atteindre la sérénité. Il évoque alors étrangement la majesté que sait donner Abdullah Ibrahim à son piano. Ne se contentant pas de jouer la musique de Portal, il y apporte une personnalité musicale déjà affirmée.
Si Bojan Z, qui étend lui la musique vers le nord-Sahara, est au piano et au rhodes l'architecte du groupe (il a choisi les musiciens pour Portal, et son jeu sert avant tout de support à l'ensemble), on reconnaît partout la patte du basque, notamment dans des mélodies clairement identifiables. Si la plupart des morceaux sont récents (mis à part un traditionnel Solitudes repéré vers la fin du concert), on a le sentiment d'être en terrain extrêmement familier. Trop ? Le risque existe, mais l'originalité des couleurs rythmiques permet au besoin de surprise d'être comblé.
Les bons, voire très bons, moments abondent. Scott Colley, qu'il serait injuste de maintenir dans l'ombre - relative - de sa notoriété et de son rôle de maintien du groove, y est pour beaucoup. Il retrouvait pour l'occasion Bojan Z, avec qui il avait gravé ce qui reste le meilleur disque du pianiste bosniaque à mon goût (Transpacifik, Label Bleu, 2003). Il assure le lien permanent entre les différents ingrédients rythmiques qui émanent du piano, de la guitare et de la batterie, les couleurs jazz, latines et africaines. Il est une indispensable colonne vertébrale, transformant ce rôle parfois ingrat en autant d'occasions de nuancer le propos, d'insuffler un peu de douceur et de retenue dans la profusion apparente des morceaux. C'est néanmoins sans lui, seul face à Lionel Loueke, que Portal choisit de dévoiler dans toute sa simplicité les contours fragiles d'une mélodie chuchotée à la clarinette basse. Nichée au cœur du concert, elle est le joyau dépouillé d'un riche écrin rythmique.
A la fin, pour le second rappel, Portal est laissé seul en scène par ses camarades de jeu. Dejarme solo ! proclamait l'un de ses disques il y a trente ans. Il maîtrise l'exercice. Il empoigne sa clarinette basse et sert une version expressive, passant par tous les sentiments possibles, de son "tube" Mutinerie. La conclusion idéale.
A lire ailleurs : Klari, Bladsurb.
A voir : le concert sur Arte Live Web.