Le Kronos Quartet se produisait hier soir sur la scène du Théâtre de la Ville. Bien beau concert qui nous a fait voyager de la musique répétitive américaine (Reich, Riley) aux sonorités de Bollywood (Rahul Dev Burman), de Tanzanie (Walter Kitundu) ou encore d'Iran (Rahman Asadollahi).
Le concert a débuté par une superbe interprétation du Triple Quartet de Steve Reich (en lieu et place des Stringsongs de Meredith Monk initialement prévues). Le Kronos jouait l'un des quatuors pendant que les deux autres étaient réstitués par une bande enregistrée. Ce morceau de Reich s'éloigne pas mal de la musique répétitive et minimaliste au sens strict, qui a pourtant fait sa gloire. L'inspiration puise d'avantage dans les codes du post-romantisme : jeu fougueux cherchant à exacerber les sentiments, reprise de la ligne mélodique en canon, mélodie tour à tour plaintive et enjouée...
Après cette entrée en matière assez conventionnelle (mais non moins belle), le quatuor a attaqué une pièce du compositeur tanzanien Walter Kitundu, Cerulean Sweet, basée sur la répétition d'une phrase improvisée par Mingus sur son disque au piano. La répétition de cette phrase était confiée au violoncelle, pendant que les deux violons et l'alto ponctuaient de manière très percussive le déroulement de la mélodie. Une pièce intéressante, mais qui ne m'a pas complètement emballé.
Le morceau suivant, Mugam Beyati Shiraz, fut lui en revanche un petit bijou. Tiré du répertoire du compositeur iranien d'origine azérie Rahman Asadollahi, il s'agissait d'un mugam vieux de plus de sept siècles. On retrouvait, transposé sur des instruments occidentaux, tout ce qui fait la beauté des musiques d'Asie centrale (du qawwali au mugam, de Nusrat Fateh Ali Kahn à Alim Qasimov) : dévotion mystique, lenteur émotionnelle, alternance de joie et de souffrance... L'interprétation du Kronos démontrait une profonde connaissance des musiques orientales et de leurs connexions possibles avec la tradition classique occidentale.
Les morceaux suivants nous portaient un peu plus à l'Est encore, puisqu'il s'agissait de trois compositions de Rahul Dev Burman, qui a beaucoup écrit pour les productions de Bollywood dans les années 60-70. Mélange de musique classique indienne et de mélodies pop occidentales "indianisées", son style n'en est pour autant pas trop kitsch. Si le premier morceau, Ai Meri Topi Palat Ke Aa, ne m'a pas laissé un souvenir ému, les deux suivants, Teri Meri Yaari et Aa Ee Masterji Ki Aa Gaye Chitthi, étaient en revanche très agréables, à défaut d'être émotionnellement forts. C'était un peu le passage récréatif du concert.
Après l'entracte, le Kronos a été rejoint par la joueuse de pipa chinoise Wu Man. Ils ont alors interprété une nouvelle composition de Terry Riley, pour fêter les 70 ans du compositeur californien. Suite en six mouvements, The Cusp of Magic, jette un pont entre musiques occidentales et orientales (indienne et chinoise notamment). La suite alterne moments contemplatifs et humoristiques, notamment à travers l'utilisation de jouets comme des poupées chantantes ou ricanantes. Pièce emblématique de la post-modernité musicale, ce fut un autre très beau moment du concert.
Pour les rappels, Wu Man a commencé par jouer un morceau en solo au pipa (le luth traditionnel chinois), suivi par une belle interprétation d'une chanson de Fairuz par le Kronos (Wa Habibi - pas sûr de l'orthographe). Une bien belle conclusion, qui plaçait définitivement ce concert sous le signe des relations orient-occident.
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