dimanche 14 janvier 2024

Kronos Quartet @ Cité de la Musique, samedi 13 janvier 2024

Le 1er septembre 1973, le violoniste David Harrington fonde le Kronos Quartet à Seattle. 50 ans et quelques mois plus tard, à l'occasion d'une tournée mondiale pour célébrer l'évènement, il est sur la scène de la Cité de la Musique en ouverture de la 11e biennale de quatuors à cordes. Ses compagnons ne sont plus les mêmes qu'à l'origine, mais le second violon, John Sherba, et l'alto, Hank Dutt, sont tout de même là depuis 1978 et le déménagement d'Harrington à San Francisco. Le violoncelle a lui changé à plusieurs reprises de mains et l'actuel titulaire du poste, Paul Wiancko, ne l'est que depuis un peu moins d'un an (février 2023). Cela n'altère en rien le son du quatuor. Ainsi, dès que les premières notes résonnent on reconnaît immédiatement le "son" Kronos entendu au fil des ans dans des oeuvres toujours plus variées, serviteurs des compositeurs phares de la musique contemporaine, et en premier lieu des minimalistes américains, mais également attachés à parcourir les coins et recoins de la création contemporaine sur tous les continents, sans renier un attachement certain aux musiques populaires, du jazz au rock, de l'électro aux musiques traditionnelles.

Leur halte parisienne s'est déroulée en deux étapes. Si j'ai été contraint de passer mon tour pour le premier soir (vendredi), j'étais bien présent pour le second. Le concert a commencé par deux pièces extraites de leur projet "Fifty for the Future", soit la commande de 50 nouvelles oeuvres à 50 compositeurs différents dans un but pédagogique pour la formation des jeunes quatuors à cordes à l'interprétation de la musique d'aujourd'hui. Tout d'abord YanYanKliYan Senamido (2020) de la chanteuse béninoise Angélique Kidjo, qui nous rappelle d'autres collaborations fructueuses du Kronos avec des artistes africains (Rokia Traoré, le Trio Da Kali...), suivi d'une pièce ludique de Terry Riley, Lunch in Chinatown (2016), au cours de la quelle les quatre membres du Kronos lancent à la cantonade des phrases souvent entendues dans un restaurant (qui paiera l'addition, etc.). 

Retour en arrière ensuite avec une pièce de Krzysztof Penderecki, Quartetto per archi n°1 (1960). Pour l'occasion le grand écran, qui avait servi a projetté un court film documentaire en l'honneur du quatuor en début de soirée, redescend afin de projeter la partition que les Kronos regardent donc en même temps que le public (ils jouent debout et dos au public pour la voir). La visualisation aide à comprendre comment cette musique est construite, au-delà des "bruits" apparents (courts glissandi, frappes sèches, crépitements...). La pièce suivante, Spectre (1990) de John Oswald, est construite sur un motif qui cherche à reproduire le bruit de l'obturateur d'un appareil photo. Là aussi, l'écoute est complétée par un aspect visuel illustratif : les lumières s'éteignent et se rallument pour saisir dans l'instant les gestes des musiciens.

Suivent ensuite deux pièces toutes récentes (2023) issues de la commande "Kronos Five Decades", un ensemble de dix compositions que le quatuor a prévu de créer tout au long de la tournée célébrant leurs cinquante ans (de juillet 2023 à juin 2024). Tout d'abord Segara Gunung, de la compositrice indonésienne Peni Candra Rini où les sons de la jungle de Bornéo servent de support à des développements plus linéaires inspirés par la musique traditionnelle javanaise. Quatre mouvements extraits de gfedcba de Michael Gordon (qui sera créé dans son intégralité à Berkeley en mars prochain) suivent. Inspiré par des scherzos de Haydn, il s'agit de courtes pièces où l'aspect ludique est là encore mis en avant, notamment dans le dernier avec la superposition d'images d'un chaton lapant une cuiller de lait et des sons cartoonesques. 

La première partie se conclut par une nouvelle pièce extraite du projet "Fifty for the Future". Pour l'occasion, les Kronos sont rejoints sur scène par deux jeunes quatuors qui ont participé durant le week-end au marathon sur ledit projet : six quatuors qui se relaient pour jouer l'intégralité des 50 compositions. Le quatuor Magenta (quatre filles) et le quatuor Agate (quatre garçons) se placent ainsi chacun derrière le membre du Kronos en fonction de son instrument pour obtenir un petit ensemble de cordes qui interprète le Quartet Satz (2017) de Philip Glass. C'est sans doute la pièce la plus profonde de cette première partie qui jusque là n'avait proposé que des pièces un peu anecdotiques. 


Après l'entracte, on reprend avec une nouvelle pièce ludique, ZonelyHearts: PhoneTap + CCTV (2022) de la compositrice canadienne Nicole Lizée, où cette fois le quatuor joue tout en décrochant régulièrement le combiné d'un vieux téléphone à cadran. Deux autres courtes pièces suivent. Tout d'abord, Maji (2023), de la musicienne électro Jlin, d'après Sun Ra. On retrouve effectivement un groove qui rappelle les grandes heures de l'Arkestra mais sans la dimension hypnotique qu'aurait pu permettre un timing un peu moins serré. Flow (2010) de Laurie Anderson prend le contre-pied, pour une pièce toute en retenue, avec de faibles variations. 

Ce concert-patchwork permet certes de voyager d'un bout à l'autre de la galaxie Kronos, mais en ne proposant que des oeuvres courtes (toutes moins de dix minutes), il ne permet pas vraiment à l'émotion de prendre place. Heureusement, la dernière oeuvre au programme permet enfin des développements plus longs. Pour l'occasion, les Kronos sont rejoints par la compositrice et chanteuse ukrainienne Mariana Sadovska, qui s'accompagne à l'harmonium, pour interpréter son requiem en quatre mouvements, Chernobyl. The Harvest. Ecrit en 2012, il résonne malheureusement un peu différemment aujourd'hui, alors que l'Ukraine mène une guerre de résistance à l'invasion russe depuis près de deux ans. La musique s'inspire des traditions populaires ukrainiennes et m'évoque à certains moments ce qu'à pu faire le Cracow Klezmer Band dans cette sorte de fusion des folklores des terres de sang et de l'écriture plus classique (contrastes bartókiens, nuevo tango piazzollesque, ou řikadla janáčekiennes comme horizon). C'est beaucoup plus prenant que tout ce qui a pu lui précéder ce soir là et permet enfin à l'émotion de poindre son nez. 

En rappel, sous l'insistance des applaudissements, David Harrington explique qu'ils vont faire une exception (ils ne voulaient pas jouer autre chose après la pièce de Mariana Sadovska). Ils interprètent une version tout en retenue d'Amazing Grace, avec l'alto de Hank Dutt qui "chante" la mélodie pendant que les autres lui font écho, sur un registre pianissimo, de loin en loin. Au final, sans doute pas un concert à la hauteur de mes attentes, même si la pièce de Mariana Sadovska était très belle. Essentiellement une question de format qui ne peut mener qu'à un papillonage un peu frustrant. 

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A lire aussi : le précédent concert du Kronos auquel j'ai assisté, en 2005 au Théâtre de la Ville

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