Taylor Ho Bynum Sextet, Congress, 19h00
Quelle musique ! Quel groupe ! Quels solistes ! L'intelligence de l'écriture, des arrangements et des combinaisons instrumentales débouche sur un plaisir évident, contagieux. Le sextet assemblé par le cornetiste sert une écriture inventive, originale et moderne, parlant la langue du jazz et lui offrant de nouveaux élans ouverts sur un ailleurs encore vierge. Véritable apothéose du festival, la longue suite de 45 minutes déployée par le groupe joue sur les combinaisons et les timbres des instruments, entre mémoire et inouï. Les solos de sax alto de Jim Hobbs brûlent du souvenir du Liberation Music Orchestra. Le dialogue entre le trombone basse de Bill Lowe et le cornet du leader est tout en subtilité, sourdines partagées et murmures poétiques échangées. La ponctuation de la guitare de Mary Halvorson offre des contrepoints décalés, plongeant l'ensemble dans un équilibre instable dont surgit une séduction vénéneuse, quand la rondeur de la contrebasse de Ken Filiano maintient le lien primordiale avec la terre-mère nourricière. Quant à Tomas Fujiwara, son drive est aussi élégant que son allure. Moteur continu du sextet, il renouvelle le langage de la batterie jazz. Au-delà de l'impression fort agréable de côtoyer la beauté pendant une petite heure, c'est vraiment l'originalité de l'écriture de Taylor Ho Bynum qui fait tout l'intérêt de cette musique. Rien de révolutionnaire en apparence, mais une qualité de renouvellement de l'écoute au fil des minutes grâce à des développements sans cesse surprenants rarement atteinte sur une aussi longue durée. En complément, ils nous offrent des variations autour d'un blues qui laissent entrevoir ce qu'aurait pu produire Mingus à partir du langage du jazz contemporain. La dédicace à Bill Dixon, comme pour l'Exploding Star Orchestra la veille, finit de relier histoire et futur du jazz, dans un élan qui ne se contente ni de l'un ni de l'autre mais embrasse l'ensemble pour faire durer le plaisir du temps présent.
Odean Pope & Odean's List, Congress, 20h30
Après les beautés irisées du setxet de Taylor Ho Bynum, il est quasiment impossible de venir conclure le festival. C'est pourtant la tâche qui incombe au saxophoniste Odean Pope, vétéran de 71 ans longtemps partenaire de jeu de Max Roach. Après avoir exploré pendant quatre jours les possibles du jazz contemporain, le festival s'achève étrangement sur un concert qui rencontre tous les codes (les clichés ?) auquel le grand public aime confiner le jazz : une musique jouée par des afro-américains, un groupe emmené par un leader en âge d'être papy, une section rythmique piano / contrebasse / batterie qui assure le swing et une section de soufflants (deux ténors, un baryton et deux trompettes) qui se relaie au cours de solos démonstratifs. Sans doute pas pour dire ce qu'est le jazz, mais plutôt pour affirmer, c'est aussi ça le jazz : un lien avec une tradition séculaire, forgée aux côtés de grands disparus comme semblent en témoigner les hommages à Max Roach et George Russell, ou ce morceau modal aux reflets espagnols qui évoque avec élégance Sketches of Spain ou Olé. Le tout est quand même un peu trop respectueux des fameux codes à mon goût, et est bien loin de procurer, une nouvelle fois, l'envie de prolonger le plaisir. C'est peut-être aussi en cela une forme de conclusion.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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lundi 6 septembre 2010
dimanche 5 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 4e jour (1/2), dimanche 29 août 2010
Speak, Congress, 14h30
Il y a trois ans Cuong Vu, trompettiste vu avec Myra Melford le vendredi, s'est vu proposer un poste à l'université de Seattle. En quittant la foisonnante scène new yorkaise, il était inquiet de ne pas trouver sur les bords du Pacifique de musiciens partageant ses intérêts, et puis il a découvert parmi ses étudiants les quatre compères qui complètent ce groupe. C'est ainsi que Cuong Vu présente Andrew Swanson (sax), Aaron Otheim (p), Luke Bergman (b) et Chris Icasiano (dms), en prenant soin d'insister sur le caractère collectif du groupe. Il n'en est pas le leader, tout juste le plus vieux. Speak est un concept band. En effet, les cinq musiciens portent tous des chemises à carreaux en flanelle ! Au delà de l'humour potache, Speak c'est surtout une énergie et une cohésion digne d'un groupe de rock. On ne vient pas innocemment de la ville d'Hendrix et du grunge. La ville de Jim Black également, que leur musique évoque par moment. Le son du groupe voisine avec certaines productions mêlant jazz et pop-rock documentées par Chief Inspector en France (Rockingchair ou Camisetas... avec Jim Black et là aussi un goût pour les chemises improbables). Le cousinage avec Kneebody, originaire de la côte Ouest comme eux, transparaît également. Speak s'impose par la clarté des lignes et la recherche de la qualité du son, particulièrement belle à la trompette et à la basse. Il y a un côté très West Coast, loin de toute prise de tête. C'est efficace et direct.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet, Congress, 16h00
Après leur duo la veille, Sylvie Courvoisier et Mark Feldman partagent la grande scène du centre des congrès avec le jeune Thomas Morgan à la contrebasse (notamment entendu auprès de Steve Coleman) et le plus expérimenté Gerry Hemingway à la batterie. Le concert commence par des infrasons. Les instruments murmurent de fines sonorités comme pour prendre progressivement possession de l'espace. Le premier morceau, To Fly To Steal signé Sylvie Courvoisier, semble destiner à construire l'écoute. Tout est ici question de ponctuation et d'impressions esquissées. Le jeu avec l'espace conduit à une dilution du son dans le silence, qui est aussi une marque de fabrique de la pianiste. Le deuxième morceau, Messiaenesque, toujours de Sylvie, propose une autre vision que celle du duo la veille. Le dynamisme des couleurs du quartet évoque alors une toile expressionniste. Pulsation et chromatisme... messiaenesque mettent le feu à la toile. Les deux autres morceaux joués sont des compositions de Mark Feldman, Five Senses of Keen et The Good Life. La mélancolie est un trait toujours présent chez le violoniste. On ressent une certaine tension dans son écriture, un caractère dramatique qui fait penser aux prémices d'un orage. La place dévolue à l'improvisation est particulièrement grande. Les compositions ne sont que des prétextes, beaucoup plus que lors du duo en tout cas. Sur le dernier morceau, Gerry Hemingway vole la vedette aux autres par un solo particulièrement inventif et un dialogue avec Thomas Morgan qui renverse les rôles entre rythmique et leaders.
Led Bib, Congress, 17h30
Encore du rock. Encore des musiciens tout juste sortis de l'université. Cette fois-ci de celle du Middlesex, en Angleterre. La musique est plus brute de décoffrage que celle de Speak. Le son est volontiers sale avec notamment un fender rhodes saturé et deux sax alto, instrument qui peut être le plus acide et criard de la gamme des vents. La musique des cinq lascars de Led Bib est lyrique et violente. Le claviériste, Toby McLaren, se distingue particulièrement. Ses interventions sont denses et inventives dans un contexte qui pourrait facilement être trop codé. J'avais en effet quelques craintes avant le concert en découvrant les quelques lignes du programme à leur propos : encore un groupe "punk-jazz" anglais comme il en sort régulièrement, feux de paille éphémères le plus souvent inconsistants. Mes réticences sautèrent assez vites face à cette musique à l'effet purificateur, comme une rasade d'alcool fort. On sort comme essoré de ce genre de concert, épuisé mais ravi.
Il y a trois ans Cuong Vu, trompettiste vu avec Myra Melford le vendredi, s'est vu proposer un poste à l'université de Seattle. En quittant la foisonnante scène new yorkaise, il était inquiet de ne pas trouver sur les bords du Pacifique de musiciens partageant ses intérêts, et puis il a découvert parmi ses étudiants les quatre compères qui complètent ce groupe. C'est ainsi que Cuong Vu présente Andrew Swanson (sax), Aaron Otheim (p), Luke Bergman (b) et Chris Icasiano (dms), en prenant soin d'insister sur le caractère collectif du groupe. Il n'en est pas le leader, tout juste le plus vieux. Speak est un concept band. En effet, les cinq musiciens portent tous des chemises à carreaux en flanelle ! Au delà de l'humour potache, Speak c'est surtout une énergie et une cohésion digne d'un groupe de rock. On ne vient pas innocemment de la ville d'Hendrix et du grunge. La ville de Jim Black également, que leur musique évoque par moment. Le son du groupe voisine avec certaines productions mêlant jazz et pop-rock documentées par Chief Inspector en France (Rockingchair ou Camisetas... avec Jim Black et là aussi un goût pour les chemises improbables). Le cousinage avec Kneebody, originaire de la côte Ouest comme eux, transparaît également. Speak s'impose par la clarté des lignes et la recherche de la qualité du son, particulièrement belle à la trompette et à la basse. Il y a un côté très West Coast, loin de toute prise de tête. C'est efficace et direct.
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman Quartet, Congress, 16h00
Après leur duo la veille, Sylvie Courvoisier et Mark Feldman partagent la grande scène du centre des congrès avec le jeune Thomas Morgan à la contrebasse (notamment entendu auprès de Steve Coleman) et le plus expérimenté Gerry Hemingway à la batterie. Le concert commence par des infrasons. Les instruments murmurent de fines sonorités comme pour prendre progressivement possession de l'espace. Le premier morceau, To Fly To Steal signé Sylvie Courvoisier, semble destiner à construire l'écoute. Tout est ici question de ponctuation et d'impressions esquissées. Le jeu avec l'espace conduit à une dilution du son dans le silence, qui est aussi une marque de fabrique de la pianiste. Le deuxième morceau, Messiaenesque, toujours de Sylvie, propose une autre vision que celle du duo la veille. Le dynamisme des couleurs du quartet évoque alors une toile expressionniste. Pulsation et chromatisme... messiaenesque mettent le feu à la toile. Les deux autres morceaux joués sont des compositions de Mark Feldman, Five Senses of Keen et The Good Life. La mélancolie est un trait toujours présent chez le violoniste. On ressent une certaine tension dans son écriture, un caractère dramatique qui fait penser aux prémices d'un orage. La place dévolue à l'improvisation est particulièrement grande. Les compositions ne sont que des prétextes, beaucoup plus que lors du duo en tout cas. Sur le dernier morceau, Gerry Hemingway vole la vedette aux autres par un solo particulièrement inventif et un dialogue avec Thomas Morgan qui renverse les rôles entre rythmique et leaders.
Led Bib, Congress, 17h30
Encore du rock. Encore des musiciens tout juste sortis de l'université. Cette fois-ci de celle du Middlesex, en Angleterre. La musique est plus brute de décoffrage que celle de Speak. Le son est volontiers sale avec notamment un fender rhodes saturé et deux sax alto, instrument qui peut être le plus acide et criard de la gamme des vents. La musique des cinq lascars de Led Bib est lyrique et violente. Le claviériste, Toby McLaren, se distingue particulièrement. Ses interventions sont denses et inventives dans un contexte qui pourrait facilement être trop codé. J'avais en effet quelques craintes avant le concert en découvrant les quelques lignes du programme à leur propos : encore un groupe "punk-jazz" anglais comme il en sort régulièrement, feux de paille éphémères le plus souvent inconsistants. Mes réticences sautèrent assez vites face à cette musique à l'effet purificateur, comme une rasade d'alcool fort. On sort comme essoré de ce genre de concert, épuisé mais ravi.
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (3/3), samedi 28 août 2010
Exploding Star Orchestra, Congress, 21h30
Pour l'inauguration du Jay Pritzker Pavilion en 2005, la ville de Chicago a demandé à Rob Mazurek de monter un groupe permettant de capter le son actuel de la Windy City. Au-delà de la commande initiale, l'Exploding Star Orchestra, qui réunit aussi bien des musiciens venus de la fertile scène jazz locale que des figures de la scène post-rock dont la ville est la capitale mondiale, est devenu un groupe régulier, qui publie ces jours-ci son troisième disque (Star Have Shapes, chez Delmark). Le concert commence par une explosion de sons, qui s'agencent progressivement. La musique est luxuriante, s'apparentant à une jungle sonore dont émerge un groove poussé par une rythmique à deux batteries, une basse électrique et une contrebasse. Les deux batteurs ont une approche complémentaire. John Herndon, de Tortoise, est très lourd, très rock. Il semble tomber de tout son poids sur les toms. Mike Reed apporte une dimension polyrythmique qui enrobe les frappes puissantes de Herndon. Grâce à eux, un groove continuel, presque dansant par moment, parcours le concert. De riches solos particulièrement expressifs donnent beaucoup de relief au son de l'ensemble : Jeb Bishop (tb), Jason Adasiewicz (vib), Matt Bauder (sax), Nicole Mitchell (fl), Jeff Parker (g) ou le leader au cornet créent de multiples explosions colorées qui permettent au groupe de jouer avec la densité du son, sa qualité et ses accidents. Tous très élégants - une fine cravate pour chacun - ils nous offrent une belle visite guidée de la métropole américaine, dont la musique, qui mêle une apparence décontractée et des mises en forme savantes, se présente de plus en plus comme une alternative aux propositions new yorkaises. L'approche syncrétiste de l'ESO, à l'aspect kaléidoscopique, se situe quelque part au-delà des genres et n'est pas une simple combinaison entre eux. En cela, il ouvre véritablement la voie à de nouveaux développements qu'on espère fructueux. Très applaudi, Rob Mazurek dédie le concert aux mémoires de deux figures chicagoanes récemment décédées, Bill Dixon et Fred Anderson. On ne saurait leur rendre un plus bel hommage.
Raoul Björkenheim, William Parker & Hamid Drake, Congress, 23h00
Le guitariste finlandais joue beaucoup de notes, égrenées rapidement, pour commencer. Dans une attitude très guitar hero, il prend visiblement du plaisir à faire étalage de sa technique. Moi, beaucoup moins. La paire rythmique est, comme d'habitude avec William Parker et Hamid Drake, en revanche au top. Le batteur est particulièrement réjouissant avec une variété d'approches qui le voit passer des baguettes aux mailloches, puis à mains nues. Toutefois, le jeu de guitare de Raoul Björkenheim ne permet pas de faire réellement décoller la musique à mon goût. Il devient plus intéressant quand le rythme ralentit et que le blues transpire enfin. Par un jeu sur les effets, il entraîne sa guitare vers d'étranges sonorités de gamelan, faisant place à une originalité qui captive. Le deuxième, et dernier, morceau voit Hamid Drake se saisir d'un bendir et William Parker souffler dans un shenai. En adaptant son jeu à l'Orient imaginaire et envoûtant décrit par ses camarades, le guitariste imite les sonorités de basse répétitive du guembri des Gnawas. Le voyage semble enfin démarrer, mais s'arrête bien trop rapidement. La première partie du concert, assez inintéressante, a duré beaucoup trop longtemps.
The Jazz Passengers Re-United, Congress, 00h30
On retrouve sur scène l'essentiel du groupe de Subway Moon vu jeudi en ouverture du festival : Roy Nathanson (sax), Curtis Fowlkes (tb), Bill Ware (vib) et Sam Bardfeld (vl) sont rejoints pour l'occasion par de vieilles connaissances, Brad Jones (cb), E.J. Rodriguez (dms) et Marc Ribot (g). Quasiment tous passés par les Lounge Lizards de John Lurie, ils reforment pour l'occasion les Jazz Passengers, groupe actif pendant une décennie (1987-1997) qui prolongeait, dans une veine plus pop, l'esthétique des lézards. On est ici clairement dans le registre du jazz entertainment, avec une attitude cool nourrie de toutes les musiques de la grosse pomme. Les morceaux respectent tous le format chanson, avec ou sans paroles. Mais, est-ce l'effet de la saturation au bout de huit concerts, ou tout simplement le manque d'acidité et de surprise, j'ai du mal à maintenir l'attention à son plus haut niveau. Après toutes les combinaisons sonores entendues au cours de la journée, on est ici en terrain beaucoup trop balisé pour éveiller l'intérêt. Dommage vus les musiciens rassemblés.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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Pour l'inauguration du Jay Pritzker Pavilion en 2005, la ville de Chicago a demandé à Rob Mazurek de monter un groupe permettant de capter le son actuel de la Windy City. Au-delà de la commande initiale, l'Exploding Star Orchestra, qui réunit aussi bien des musiciens venus de la fertile scène jazz locale que des figures de la scène post-rock dont la ville est la capitale mondiale, est devenu un groupe régulier, qui publie ces jours-ci son troisième disque (Star Have Shapes, chez Delmark). Le concert commence par une explosion de sons, qui s'agencent progressivement. La musique est luxuriante, s'apparentant à une jungle sonore dont émerge un groove poussé par une rythmique à deux batteries, une basse électrique et une contrebasse. Les deux batteurs ont une approche complémentaire. John Herndon, de Tortoise, est très lourd, très rock. Il semble tomber de tout son poids sur les toms. Mike Reed apporte une dimension polyrythmique qui enrobe les frappes puissantes de Herndon. Grâce à eux, un groove continuel, presque dansant par moment, parcours le concert. De riches solos particulièrement expressifs donnent beaucoup de relief au son de l'ensemble : Jeb Bishop (tb), Jason Adasiewicz (vib), Matt Bauder (sax), Nicole Mitchell (fl), Jeff Parker (g) ou le leader au cornet créent de multiples explosions colorées qui permettent au groupe de jouer avec la densité du son, sa qualité et ses accidents. Tous très élégants - une fine cravate pour chacun - ils nous offrent une belle visite guidée de la métropole américaine, dont la musique, qui mêle une apparence décontractée et des mises en forme savantes, se présente de plus en plus comme une alternative aux propositions new yorkaises. L'approche syncrétiste de l'ESO, à l'aspect kaléidoscopique, se situe quelque part au-delà des genres et n'est pas une simple combinaison entre eux. En cela, il ouvre véritablement la voie à de nouveaux développements qu'on espère fructueux. Très applaudi, Rob Mazurek dédie le concert aux mémoires de deux figures chicagoanes récemment décédées, Bill Dixon et Fred Anderson. On ne saurait leur rendre un plus bel hommage.
Raoul Björkenheim, William Parker & Hamid Drake, Congress, 23h00
Le guitariste finlandais joue beaucoup de notes, égrenées rapidement, pour commencer. Dans une attitude très guitar hero, il prend visiblement du plaisir à faire étalage de sa technique. Moi, beaucoup moins. La paire rythmique est, comme d'habitude avec William Parker et Hamid Drake, en revanche au top. Le batteur est particulièrement réjouissant avec une variété d'approches qui le voit passer des baguettes aux mailloches, puis à mains nues. Toutefois, le jeu de guitare de Raoul Björkenheim ne permet pas de faire réellement décoller la musique à mon goût. Il devient plus intéressant quand le rythme ralentit et que le blues transpire enfin. Par un jeu sur les effets, il entraîne sa guitare vers d'étranges sonorités de gamelan, faisant place à une originalité qui captive. Le deuxième, et dernier, morceau voit Hamid Drake se saisir d'un bendir et William Parker souffler dans un shenai. En adaptant son jeu à l'Orient imaginaire et envoûtant décrit par ses camarades, le guitariste imite les sonorités de basse répétitive du guembri des Gnawas. Le voyage semble enfin démarrer, mais s'arrête bien trop rapidement. La première partie du concert, assez inintéressante, a duré beaucoup trop longtemps.
The Jazz Passengers Re-United, Congress, 00h30
On retrouve sur scène l'essentiel du groupe de Subway Moon vu jeudi en ouverture du festival : Roy Nathanson (sax), Curtis Fowlkes (tb), Bill Ware (vib) et Sam Bardfeld (vl) sont rejoints pour l'occasion par de vieilles connaissances, Brad Jones (cb), E.J. Rodriguez (dms) et Marc Ribot (g). Quasiment tous passés par les Lounge Lizards de John Lurie, ils reforment pour l'occasion les Jazz Passengers, groupe actif pendant une décennie (1987-1997) qui prolongeait, dans une veine plus pop, l'esthétique des lézards. On est ici clairement dans le registre du jazz entertainment, avec une attitude cool nourrie de toutes les musiques de la grosse pomme. Les morceaux respectent tous le format chanson, avec ou sans paroles. Mais, est-ce l'effet de la saturation au bout de huit concerts, ou tout simplement le manque d'acidité et de surprise, j'ai du mal à maintenir l'attention à son plus haut niveau. Après toutes les combinaisons sonores entendues au cours de la journée, on est ici en terrain beaucoup trop balisé pour éveiller l'intérêt. Dommage vus les musiciens rassemblés.
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A voir ailleurs : vidéos des concerts sur le site roumain MuzicaDeVest.
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samedi 4 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (2/3), samedi 28 août 2010
Carla Kihlstedt & Satoko Fujii, Congress, 17h00
Deuxième duo violon-piano de la journée après le concert de Mark Feldman et Sylvie Courvoisier en ouverture de programme. La tentation est grande d'entrer dans un jeu de comparaison. Les démarches sont néanmoins suffisamment différentes pour que les plaisirs des deux concerts soient complémentaires. La seule caractéristique commune en est l'excellence. La musique de Carla Kihlstedt et Satoko Fujii semble moins structurée, et est sans doute moins composée, que celle du premier duo. Les deux suites jouées s'apparentent ainsi à des enchaînements de chansons improvisées. A leur maîtrise instrumentale, les deux musiciennes ajoutent chant, cris et onomatopées. Elles se font sirènes envoutantes avec leurs étranges mélodies folk. Beaucoup de fraîcheur et de simplicité se dégagent de la prestation. La lisibilité des improvisations et le jeu sur les tensions laissent apparaître une vitalité naturelle, que les deux musiciennes ne cherchent pas à catalyser à tout prix, préférant se laisser aller à la joie du débordement et de l'inattendu. Tout cela est très musical, ludique et enchanteur.
Ingrid Laubrock Quintet, Congress, 18h30
La saxophoniste allemande, qui vit désormais à New York, a réuni pour l'occasion un groupe au casting alléchant. On y retrouve d'abord Mary Halvorson et John Hébert après leur formidable concert en trio de la veille. A cela s'ajoutent la pianiste canadienne Kris Davis, que j'avais eu l'occasion de voir aux 7 Lézards il y a quelques années, et l'incontournable Tom Rainey à la batterie. "Comme tout le monde", ils commencent par plonger dans un chaos sonore fait d'une accumulation de bruits en tous genres. Les deux premiers morceaux du concert sont ainsi très déstructurés, mais semblent néanmoins très écrits, avec un jeu sur le silence, les pauses et la suspension du temps au centre des intérêts d'Ingrid Laubrock. Au troisième morceau, le langage devient plus clairement jazz, avec une musique qui semble inventer dans l'instant de faux standards déglingués et des berceuses hantées. Tom Rainey, qui joue autant du glockenspiel que de la batterie, apporte une touche enfantine dans cette musique entre deux mondes, entre mélodies et cliquetis. Contrairement à de nombreux concerts du festival, on est ici au cœur d'un jazz d'apparence classique, il n'y a pas de combinaison avec des sons rock, pop, folk ou autre. La musique maintient néanmoins un caractère tout à fait original et assez inhabituel par ses aspects parfois tendrement fantomatiques. Il y a quelque chose du côté de l'enfance - avec sa part de jeu, comme d'inquiétudes - qui fait tout l'intérêt de l'écriture d'Ingrid Laubrock. Les jeux de Mary Halvorson et Kris Davis s'accordent à merveille avec cette dimension qui se tient sur le fil, entre in et out. Une bien belle découverte.
Deuxième duo violon-piano de la journée après le concert de Mark Feldman et Sylvie Courvoisier en ouverture de programme. La tentation est grande d'entrer dans un jeu de comparaison. Les démarches sont néanmoins suffisamment différentes pour que les plaisirs des deux concerts soient complémentaires. La seule caractéristique commune en est l'excellence. La musique de Carla Kihlstedt et Satoko Fujii semble moins structurée, et est sans doute moins composée, que celle du premier duo. Les deux suites jouées s'apparentent ainsi à des enchaînements de chansons improvisées. A leur maîtrise instrumentale, les deux musiciennes ajoutent chant, cris et onomatopées. Elles se font sirènes envoutantes avec leurs étranges mélodies folk. Beaucoup de fraîcheur et de simplicité se dégagent de la prestation. La lisibilité des improvisations et le jeu sur les tensions laissent apparaître une vitalité naturelle, que les deux musiciennes ne cherchent pas à catalyser à tout prix, préférant se laisser aller à la joie du débordement et de l'inattendu. Tout cela est très musical, ludique et enchanteur.
Ingrid Laubrock Quintet, Congress, 18h30
La saxophoniste allemande, qui vit désormais à New York, a réuni pour l'occasion un groupe au casting alléchant. On y retrouve d'abord Mary Halvorson et John Hébert après leur formidable concert en trio de la veille. A cela s'ajoutent la pianiste canadienne Kris Davis, que j'avais eu l'occasion de voir aux 7 Lézards il y a quelques années, et l'incontournable Tom Rainey à la batterie. "Comme tout le monde", ils commencent par plonger dans un chaos sonore fait d'une accumulation de bruits en tous genres. Les deux premiers morceaux du concert sont ainsi très déstructurés, mais semblent néanmoins très écrits, avec un jeu sur le silence, les pauses et la suspension du temps au centre des intérêts d'Ingrid Laubrock. Au troisième morceau, le langage devient plus clairement jazz, avec une musique qui semble inventer dans l'instant de faux standards déglingués et des berceuses hantées. Tom Rainey, qui joue autant du glockenspiel que de la batterie, apporte une touche enfantine dans cette musique entre deux mondes, entre mélodies et cliquetis. Contrairement à de nombreux concerts du festival, on est ici au cœur d'un jazz d'apparence classique, il n'y a pas de combinaison avec des sons rock, pop, folk ou autre. La musique maintient néanmoins un caractère tout à fait original et assez inhabituel par ses aspects parfois tendrement fantomatiques. Il y a quelque chose du côté de l'enfance - avec sa part de jeu, comme d'inquiétudes - qui fait tout l'intérêt de l'écriture d'Ingrid Laubrock. Les jeux de Mary Halvorson et Kris Davis s'accordent à merveille avec cette dimension qui se tient sur le fil, entre in et out. Une bien belle découverte.
jeudi 2 septembre 2010
Jazzfestival Saalfelden 2010, 3e jour (1/3), samedi 28 août 2010
Sylvie Courvoisier & Mark Feldman, Kunsthaus Nexus, 12h30
Plaisir renouvelé. Le duo que forment Sylvie Courvoisier (piano) et Mark Feldman (violon) est vraiment l'une des plus belles expériences musicales à laquelle on puisse assister à l'heure actuelle. Leur musique est inventive, poétique et, au fil des écoutes, toujours surprenante. Au plaisir auditif, s'ajoute un plaisir visuel car avec eux on peut vraiment entendre et voir l'écoute mutuelle qu'ils s'accordent l'un à l'autre. Les regards appuyés, les attentes attentives lorsque l'autre joue, les signes de tête pour changer de direction, tout cela prend totalement sens dans le cadre intime du Nexus, et résonne pleinement avec la musique. Malgré la complexité apparente des structures, la construction des morceaux conserve une grande clarté. Le duo ne joue en effet que ce qui est nécessaire. Il n'y a pas d'esbroufe inutile ni de développement sans fin, mais juste un sens aigu de la note - ou du silence - indispensable pour que le morceau révèle toute sa poésie. Ce terme n'est pas ici galvaudé. Car comment, autrement, faire sonner de manière à la fois aussi ludique et lisible une musique qui ne se prive pourtant pas de développements accidentés. Il y a vraiment, dans ce rapport de la musique aux sons, quelque chose d'approchant le rapport de la poésie aux mots. Le set a permis d'apprécier deux compositions de Sylvie pour commencer, Dunes et la bien nommée Messianesque. Le duo a ensuite enchaîné par trois morceaux extraits du songbook de Masada, dont l'un contenant une citation de Mozart... clin d'œil amusé dans ce contexte salzbourgeois. Le set s'est achevé sur une composition de Mark Feldman, Purveyors, et une nouvelle de Sylvie, To Speedy. L'écriture du violoniste fait la part belle au lyrisme délicat de son instrument nourri de klezmer et de folk, quand celle de la pianiste s'organise autour d'un jeu avec les bruits et le silence élaboré au contact de la musique contemporaine. Sur le dernier morceau, sa main gauche installe ainsi un rythme répétitif qui semble tourner en boucle même dans les nombreuses interruptions et changements de direction. Comme si les notes suggérées étaient aussi présentes que celles réellement jouées. Le rappel, sur un autre morceau de Masada, permit une nouvelle citation de Mozart, pour ne pas oublier le ludisme de la vraie poésie.
Fire!, Kunsthaus Nexus, 14h00
Sous cet intitulé martial se cache un trio suédois emmené par Mats Gustafsson, déjà vu la veille avec The Thing XXL. Accompagné par Johan Berthling à la basse et Andreas Werliin à la batterie, Gustafsson surprend en commençant... tout doucement. La montée en puissance (quand même !) est lente et progressive. Le son du sax est d'abord étouffé avant de gagner peu à peu en ampleur. Le rythme s'installe lui aussi très progressivement, dans une lente dérive vers des sonorités techno-rock. Le jeu du trio est basé sur la répétition, avec des boucles rythmiques sans variation, qui ont un indéniable effet hypnotique. Là dessus, Gustafsson construit ses interventions au cours des deux longues suites qui composent le concert de manière similaire : d'abord une mise en place lente, puis un passage aux claviers et machines pour quelques bidouillages électro, avant une montée paroxystique au sax pour conclure. A chaque fois, le troisième "mouvement" est le meilleur. Celui où Gustafsson parle la langue qu'il maîtrise le mieux : la fureur.
Terje Rypdal & Bergen Big Band, Congress, 15h30
On reste en terres scandinaves avec le concert suivant, mais dans le versant qui me plait le moins en jazz. Le son du groupe assemblé pour l'occasion est en effet, dans une esthétique à la ECM, extrêmement réverbéré et les solos des deux "stars" de l'affiche, Terje Rypdal à la guitare et Palle Mikkelborg au bugle, semblent ancrés dans le jazz-rock à bout de souffle des 80s. Le guitariste est particulièrement abrutissant à mon sens. La rythmique est de plus très présente (basse et orgue vintage), et pas très inventive, avec une sous-utilisation des possibles combinaisons sonores entre les vents du Bergen Big Band qui finit de décevoir. Sans doute la seule faute de goût de la programmation.
Plaisir renouvelé. Le duo que forment Sylvie Courvoisier (piano) et Mark Feldman (violon) est vraiment l'une des plus belles expériences musicales à laquelle on puisse assister à l'heure actuelle. Leur musique est inventive, poétique et, au fil des écoutes, toujours surprenante. Au plaisir auditif, s'ajoute un plaisir visuel car avec eux on peut vraiment entendre et voir l'écoute mutuelle qu'ils s'accordent l'un à l'autre. Les regards appuyés, les attentes attentives lorsque l'autre joue, les signes de tête pour changer de direction, tout cela prend totalement sens dans le cadre intime du Nexus, et résonne pleinement avec la musique. Malgré la complexité apparente des structures, la construction des morceaux conserve une grande clarté. Le duo ne joue en effet que ce qui est nécessaire. Il n'y a pas d'esbroufe inutile ni de développement sans fin, mais juste un sens aigu de la note - ou du silence - indispensable pour que le morceau révèle toute sa poésie. Ce terme n'est pas ici galvaudé. Car comment, autrement, faire sonner de manière à la fois aussi ludique et lisible une musique qui ne se prive pourtant pas de développements accidentés. Il y a vraiment, dans ce rapport de la musique aux sons, quelque chose d'approchant le rapport de la poésie aux mots. Le set a permis d'apprécier deux compositions de Sylvie pour commencer, Dunes et la bien nommée Messianesque. Le duo a ensuite enchaîné par trois morceaux extraits du songbook de Masada, dont l'un contenant une citation de Mozart... clin d'œil amusé dans ce contexte salzbourgeois. Le set s'est achevé sur une composition de Mark Feldman, Purveyors, et une nouvelle de Sylvie, To Speedy. L'écriture du violoniste fait la part belle au lyrisme délicat de son instrument nourri de klezmer et de folk, quand celle de la pianiste s'organise autour d'un jeu avec les bruits et le silence élaboré au contact de la musique contemporaine. Sur le dernier morceau, sa main gauche installe ainsi un rythme répétitif qui semble tourner en boucle même dans les nombreuses interruptions et changements de direction. Comme si les notes suggérées étaient aussi présentes que celles réellement jouées. Le rappel, sur un autre morceau de Masada, permit une nouvelle citation de Mozart, pour ne pas oublier le ludisme de la vraie poésie.
Fire!, Kunsthaus Nexus, 14h00
Sous cet intitulé martial se cache un trio suédois emmené par Mats Gustafsson, déjà vu la veille avec The Thing XXL. Accompagné par Johan Berthling à la basse et Andreas Werliin à la batterie, Gustafsson surprend en commençant... tout doucement. La montée en puissance (quand même !) est lente et progressive. Le son du sax est d'abord étouffé avant de gagner peu à peu en ampleur. Le rythme s'installe lui aussi très progressivement, dans une lente dérive vers des sonorités techno-rock. Le jeu du trio est basé sur la répétition, avec des boucles rythmiques sans variation, qui ont un indéniable effet hypnotique. Là dessus, Gustafsson construit ses interventions au cours des deux longues suites qui composent le concert de manière similaire : d'abord une mise en place lente, puis un passage aux claviers et machines pour quelques bidouillages électro, avant une montée paroxystique au sax pour conclure. A chaque fois, le troisième "mouvement" est le meilleur. Celui où Gustafsson parle la langue qu'il maîtrise le mieux : la fureur.
Terje Rypdal & Bergen Big Band, Congress, 15h30
On reste en terres scandinaves avec le concert suivant, mais dans le versant qui me plait le moins en jazz. Le son du groupe assemblé pour l'occasion est en effet, dans une esthétique à la ECM, extrêmement réverbéré et les solos des deux "stars" de l'affiche, Terje Rypdal à la guitare et Palle Mikkelborg au bugle, semblent ancrés dans le jazz-rock à bout de souffle des 80s. Le guitariste est particulièrement abrutissant à mon sens. La rythmique est de plus très présente (basse et orgue vintage), et pas très inventive, avec une sous-utilisation des possibles combinaisons sonores entre les vents du Bergen Big Band qui finit de décevoir. Sans doute la seule faute de goût de la programmation.