Poursuivant sa démarche d'exploration de l'identité juive entamée en 1992 avec Kristallnacht, et prolongée avec les diverses déclinaisons de Masada, John Zorn a composé une pièce autour du Cantique des Cantiques (Shir Hashirim en hébreux). La première a eu lieu à New York début 2008. L'oeuvre avait alors été confiée à un chœur de cinq femmes, avec lequel il avait déjà enregistré sa pièce Frammenti del Sappho (sur le disque Mysterium), et à deux récitants emblématiques de la Big Apple, Lou Reed et Laurie Anderson. Par un hasard du calendrier, le couple new-yorkais était la veille à Pleyel - où Zorn fit d'ailleurs une apparition d'après ce qu'en dit Franck Bergerot. Il n'y eut néanmoins pas d'échange de bons procédés samedi, où le texte était confié à deux récitants français, les acteurs Clotilde Hesme et Mathieu Amalric.
La soirée a commencé par une sorte de prologue instrumental d'une trentaine de minutes. Le temps pour un quintet formé de Marc Ribot (g), Kenny Wollesen (vib), Carol Emanuel (harpe), Greg Cohen (cb) et Cyro Baptista (perc) de déployer tout en douceur de soyeuses mélodies aux teintes hispanisantes. La musique évoque fortement celle présente sur le quatorzième volume des Filmworks. L'instrumentation est la même, à la harpe près. Le parti pris tout acoustique - avec Ribot à la guitare classique - et les influences à chercher du côté de l'exotica et des musiques traditionnelles du pourtour méditerranéen évoquent tour à tour l'Alhambra de Grenade, les jardins de Babylone, ou une vision mythique de la Jérusalem antique. Une introduction qui semble destiner à nous rendre réceptif au message de l'amour divin qui va suivre. Kenny Wollesen et Carol Emanuel se distinguent particulièrement. La harpe est souvent mise en avant, comme si Zorn était heureux de retrouver une de ses complices des 80s (elle joue sur quelques uns des plus indispensables témoignages discographiques du saxophoniste de cette décénie : The Big Gundown, Cobra, Godard, Spillane). Quant à Wollesen, il est léger et virevoltant comme rarement.
Le Cantique des Cantiques, par son caractère ouvertement sensuel, a toujours eu une place un peu à part dans la Bible, hébraïque comme chrétienne. Poème d'amour entre un homme et une femme, certains y voient une allégorie de l'amour que Yahvé porte à Israël quand d'autres préfèreraient le passer sous silence en raison de son texte trop explicite. Au-delà des interprétations religieuses, il a cependant toujours fasciné les artistes. Je me souviens ainsi d'une belle exposition sur son illustration par Frantisek Kupka au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme il y a quelques années. Le poème a inspiré à John Zorn une œuvre ambitieuse pour un chœur de cinq femmes (Lisa Bielawa, Martha Cluver, Abby Fischer, Kathryn Mulvihill et Kirsten Sollek). La forme sonne comme une rencontre du madrigal Renaissance et du minimalisme américain, proche de certaines pièces de Steve Reich. On reconnait également des éléments issus des techniques polyphoniques d'Afrique centrale, quand chaque chanteuse se voit par exemple confier une seule note répétée selon des agencements rythmiques et harmoniques différents, qui donnent alors à la musique toute sa force expressive. Le résultat est vraiment fascinant, souvent prenant, créant comme un halo surnaturel autour du texte biblique. Après des débuts un peu hésitant, Clotilde Hesme trouve sa place et semble prendre toute la mesure des mots qu'elle prononce. Mathieu Amalric est moins audible, moins clair dans sa diction (surtout du fonds de la salle), même si à quelques moments l'accord entre paroles et musique semble lui aussi l'emporter. On imagine que les répétitions furent assez minimes, et que le résultat aurait pu être encore meilleur avec un peu plus de travail commun et avec des comédiens plus habitués au théâtre qu'au cinéma, mais la seule partie du chœur suffisait à mon bonheur ce soir. Et le plaisir de pouvoir entendre une partie du travail de Zorn encore rarement présentée sur les scènes européennes.
A lire ailleurs : Bladsurb, Belette. Et un petit débat chez Jazz à Paris.
Je résumerais cette soirée à la Grande Halle de la Villette pour ma PREMIERE soirée devant John ZORN, au premier rang s'il vous plait, par ce mot qui veut tout dire :
RépondreSupprimerWOUAHHHHHHHHHHHH !!!...
J'en ai encore la chair de poule...
Au premier rang ! Ou vous êtes pistonnée, ou vous avez dû arriver tôt. Parce qu'en arrivant cinq minutes avant le début, je n'étais pas au dernier rang, mais pas loin.
RépondreSupprimerMa première avec Zorn, c'était l'Electric Masada dans le théâtre antique de Vienne en 2003. Impressionnant également !