Dans le cadre du premier week-end portes ouvertes de sa saison, Radio France avait choisi de mettre à l'honneur des musiques au carrefour des traditions savantes et populaires. J'ai assisté samedi après-midi au concert consacré aux compositeurs centreuropéens ayant écrit à partir du folklore local dans la première moitié du XXe siècle. Le folklore n'était cependant pas la seule ligne directrice de ce concert, puisque la plupart des oeuvres interprétées étaient également écrites pour voix d'enfants, avec par conséquent un aspect "comptine" prononcé.
Le concert a débuté par des oeuvres de Bela Bartok : une alternance de pièces issues des 44 duos pour deux violons et des choeurs à voix égales. Svetlin Roussev et David Grimal interprétaient essentiellement les extraits directement adapatés des traditions paysannes hongroises, avec juste une incursion dans le folklore ruthène. Ces pièces courtes servaient de ponctuation à celles interprétées par la Maîtrise de Radio France, dirigée par Toni Ramon, qui font entendre un Bartok espiègle, dont le discours est au centre d'un triangle marqué par le folklore, les chansons enfantines, et sa propre modernité. A suivi une interprétation des Contrastes par Svetlin Roussev (vl), Nicolas Baldeyrou (cl) et Philippe Cassard (p). J'aime bien cette oeuvre pour son aspect folklorique complètement assimilé à l'écriture bartokienne. Il ne s'agit pas ici de transcription, ni de sauvegarde musicologique, mais d'une adaptation joyeuse et libre de quelques formes dépréciées par le mouvement national hongrois du début du XXe siècle (dont Bartok lui-même quelques décénies auparavant) pour leur caractère faussement magyar, tel le verbunkos urbain et tzigane qualifié "d'hongrois" par les compositeurs du XIXe siècle, mais assez éloigné des traditions paysannes magyares. Les Contrastes, écrits en 1938, témoignent également d'une petite influence du jazz sur Bartok - l'oeuvre avait d'ailleurs été commandée au compositeur par Benny Goodman. Pas étonnant qu'elle me plaise.
Déplacement un peu plus au Nord ensuite avec des oeuvres de Leos Janacek. Tout d'abord ses Rikalda, pour voix d'enfants, clarinette et piano. La musique de Janacek transpire dans quasiment toute son oeuvre des accents particuliers de la langue tchèque. Cette pièce n'y fait pas exception, avec des mots plus utilisés pour leurs sonorités que pour leurs sens (les traductions fournies dans le programme montrent le caractère parfois proche du non-sens, très enfantin, des paroles). La musique est très fraîche, pétillante, même si pas exempte d'une grande complexité rythmique. C'est en tout cas l'un des plus beaux moments du concert. Les trois chants de Hradcany, pour choeur, flûte (Martine Laederach) et harpe (Iris Torossian) sur des poèmes de Frantisek Serafinsky Prochazka, sont un bel hommage du compositeur morave à la capitale de la Bohème, et à son quartier pittoresque de la colline du château. La ruelle d'or, la fontaine des pleurs et le belvédère servent de prétexte à une évocation nostalgique de la Prague d'avant-guerre.
Le concert s'achevait sur deux oeuvres de Bohuslav Martinu, la sonatine pour deux violons et piano et les chants de Petric pour voix d'enfants, violon et piano. La première est une oeuvre de 1930, alors que Martinu n'avait pas encore réellement forgé son style propre. On y trouve de multiples influences, néo-baroques et modernes (Stravinsky, le ragtime), qui en font une oeuvre plaisante mais sans réelle profondeur. Les chants de Petric sont a contrario une oeuvre tardive (1955), sur des poèmes populaires moraves, qui témoignent de l'évolution de Martinu vers une réappropriation des traditions tchèques et françaises et d'un goût similaire à Janacek pour les sonorités du tchèque - une langue qui, sous des aspects percussifs claquants, apparaît en fait très liquide, capable d'une grande douceur ; le contraste des deux fait évidemment le bonheur des musiciens. Comme pour les Rikalda, le plaisir se situe avant tout dans les sonorités, le sens n'étant pas vraiment déterminant.
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