C'est reparti ! Après une trêve de trois semaines, je reprends mon rythme effréné à parcourir les concerts en Ile-de-France. Et, pour ce mois de janvier, priorité au Val-de-Marne et au festival Sons d'hiver. La soirée d'ouverture avait lieu hier soir à l'Espace André Malraux du Kremlin-Bicêtre. Intitulée Free Jazz Black Power, en référence au bouquin de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, elle proposait deux hommages à des personnages fort différents, mais ayant eu en commun de participer de près ou de loin au mouvement des Black Panthers : Jean Genet et Fred Hampton.
La soirée a donc commencé par le projet Declared Enemy du pianiste Matthew Shipp en hommage à l'écrivain français. Le poète new-yorkais Steve Dalachinsky qui présentait la soirée avait annoncé les noces de trois grandes muses : la musique, la littérature et la révolution. Pour l'occasion, Matthew Shipp était à la tête d'un quartet comprenant également William Parker à la contrebasse, Gerald Cleaver à la batterie et Sabir Mateen au sax ténor, à la clarinette et à la flûte. Les quatre musiciens américains étaient accompagnés par le comédien Mohamed Rouabhi qui disait des textes de Jean Genet. La musique du quartet de Matthew Shipp, tout en flux et reflux, tissait un bel écrin aux mots puissants du poète. Trois textes de Jean Genet ont été mis à l'honneur. Deux en prose où il racontait ses rencontres avec les panthères noires et un poème d'une violence déclamatoire rare (malheureusement, je n'ai pas la référence exacte - si quelqu'un la connait, ça m'intéresse vraiment). Mohamed Rouabhi, d'une voix grave, passionnée et incantatoire, donnait une magnifique vitalité aux textes qu'il lisait. Comment ne pas trembler d'effroi quand il racontait une anecdote sur un membre des Black Panthers qui refusait de suivre Jean Genet sur le campus d'une université américaine parce qu'il y avait "trop d'arbres". Souvenirs trop présents des strange fruits chantés par Billie Holiday. Ou, dans le dernier texte, à l'écoute d'un hommage à George Jackson, l'un des "Soledad Brothers", militants de la cause noire assassinés en prison, et auteur de Blood in my eye. Entre les trois textes lus - le premier sans accompagnement musical - les musiciens jouaient par ailleurs des morceaux résolument free, comme pour prolonger en musique les combats politiques et esthétiques du poète. Sabir Mateen était particulièrement somptueux à la clarinette. Et, mais ce n'est pas vraiment une surprise, Matthew Shipp et William Parker l'incarnation parfaite du musicien en colère.
La deuxième partie de la soirée fut elle aussi un très grand moment. Les Chicago 12 menés par Ernest Dawkins ont rendu un vibrant hommage à Fred Hampton, panthère noire assassinée par le FBI à Chicago le 4 décembre 1969. En présence de la veuve et du fils de Fred Hampton, le groupe composé de la jeune garde du jazz chicagoan a enflammé la salle. Tous habillés de noir et arborant le fameux béret de la même couleur, leur allure en imposait avant même qu'ils ne jouent. Comme annoncé en introduction par Ernest Dawkins, il ne s'agissait pas tant de célébrer un mort que de chanter la vie. Il encourageait ainsi le public à danser, crier, ou frapper dans ses mains pour participer à la fête. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la musique des Chicago 12 (un nom qui fait évidemment référence aux Chicago 7) est un véritable encouragement à la fête. Quelque part au croisement des influences de Duke Ellington, Charles Mingus, l'Art Ensemble of Chicago et des grands ensembles d'Archie Shepp de la période Attica Blues/The Cry of my People, la musique composée par Ernest Dawkins s'inscrivait à merveille dans le crédo développé par l'AACM : Great Black Music, from the Ancient to the Future. Avec un swing constant et des solos dignes du meilleur free jazz (Corey Wilkes à la trompette, Norman Palm au trombone, Aaron Getsug au sax baryton, Kevin Nabors au sax ténor et Greg Ward au sax alto), une section rythmique d'enfer (deux contebrasses - Harrison Bankhead et Josh Abrams - et deux batteries - Isaiah Spencer et Hamid Drake) et un piano aux accords blues dissonants (Justin Dillard), sans oublier des mots de feu déclamés par le dénommé Khari B., il y avait tout ce qui fait la grandeur de la musique afro-américaine. Contrairement à son récent concert aux 7 Lézards en duo avec John Betsch (décembre 2005), Ernest Dawkins ne jouait pas de sax et se contentait de mener la troupe, mais son plaisir était tout aussi évident à le voir frapper des mains et danser face à ses musiciens. Le plaisir du public se voyait également puisque la majorité de la salle à passer la fin du concert debout pour partager l'enthousiasme débordant des musiciens. Une grande et belle soirée !
Si c'est le même que sur le disque, c'est Marche funèbre (qu'on trouve dans le nrf poésie Le Condamné à mort). Merci pour ce compte rendu qui m'aide bien pour mes recherches ! (Je bosse sur le disque de Matthew Shipp!)
RépondreSupprimerAmicalement,
Belette