Oui, encore Malik ! Cette fois-ci avec le groupe belge Octurn emmené par le saxophoniste baryton Bo van der Werf. En clôture du festival Jazz XL à la Maroquinerie (qui, comme son nom l'indique, propose du jazz joué par des ensembles grand format), Octurn présentait un nouveau projet avec le flûtiste parisien. Sur un répertoire constitué pour moitié de compositions de Bo van der Werf et pour moitié de compositions de Malik, dans une veine électro-jazz par l'adjonction de Gilbert Nouno (de l'IRCAM et qui a déjà collaboré avec Steve Coleman) et Dré Pallemaerts (qui avait lâché sa batterie pour l'ordinateur), le groupe a proposé un concert assez convaincant. Lentes progressions sinueuses, qui prennent le temps d'installer le climat sur chaque morceau, et qui dérivent progressivement vers un concentré d'énergie bouillonnante. Ce n'est plus de la fusion, mais de la fission nucléaire ! On reconnaît là la musique développée par les "enfants" européens de Steve Coleman, dans la lignée de la nébuleuse du Hask ou d'Aka Moon. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant à la vue de la configuration actuelle du groupe, qui intégre des musiciens en provenance du Hask, comme Guillaume Orti au sax alto, Jean-Luc Lehr à la basse ou Chander Sardjoe à la batterie. Le groupe était complété par Laurent Blondiau à la trompette, Fabian Fiorini au piano, Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et Skorpene à la vidéo. On retrouvait ainsi des musiciens qui participent au nouvel Orchestra de Magic Malik (van der Werf, Blondiau, Lehr). Echanges fructueux et répétés entre Paris et Bruxelles.
Magic Malik et Guillaume Orti étaient ceux qui s'illustraient le plus à travers des solos virevoltants hier soir. Dans un registre aérien pour le flûtiste, plus tellurique en ce qui concerne le saxophoniste. La partie électronique mélangeait les genres. Parfois elle s'apparentait à des sortes d'obstacles sonores, dans une démarche proche de l'illbient. A d'autres moments elle venait au contraire en appui de la section rythmique, amenant le groupe sur un terrain drum'n'bass. La complémentarité avec Chander Sardjoe, dans un registre très différent ce que je pouvais en connaître à travers Kartet, permettait cependant au groupe de ne pas rester enfermer dans les poncifs du genre. Malgré la densité sonore dégagée par l'ensemble, le musique conservait son aspect entraînant, grâce à quelques touches de légèreté et une variation des climats rythmiques bienvenues. Sans doute dû à la présence de deux compositeurs. On entendait ainsi assez nettement la différence entre les morceaux de Bo van der Werf et ceux de Malik, plus festifs et espiègles dans leurs développements. Pour autant, personne ne tirait la couverture à lui, et l'écriture était vraiment au service du jeu de groupe, ce qui était assez plaisant.
dimanche 27 novembre 2005
samedi 26 novembre 2005
Bruno Wilhem & Ramon Lopez / Steve Coleman & The Mystic Rhythm Society @ Le Cap, Aulnay-sous-Bois, vendredi 25 novembre 2005
Steve Coleman aime la banlieue. La dernière fois que je l'avais vu, c'était à Pontoise. Il est annoncé à Créteil en février 2006 dans le cadre de Sons d'hiver. Et il se produisait hier soir au Cap, une salle située à Aulnay-sous-Bois. Mais avant d'en venir à sa performance, un petit mot sur la première partie.
Le saxophoniste Bruno Wilhem (très impliqué dans l'aventure du Cap, puisqu'il y a monté un orchestre avec des jeunes musiciens du coin) et le batteur Ramon Lopez dialoguaient dans un langage free, dans la lignée de la glorieuse épopée des 60s, avec quelques éléments exotiques (tablas, cajon...) pour pimenter la rencontre. Le jeu de Bruno Wilhem (ténor et alto) n'est pas sans rappeler l'expressivité rauque du Shepp des années Impulse. Quant à Ramon Lopez, c'est un batteur vraiment remarquable, qui fait chanter ses tambours plus qu'il ne les frappe. Très variée dans ses effets rythmiques, la musique proposée par ce duo a tenu le public en haleine pendant près de 50 minutes d'une suite volontiers expressionniste.
Après cette première partie, Steve Coleman a rejoint la scène à la tête de sa Mystic Rhythm Society. Petit flashback, dix ans en arrière, au Hot Brass (désormais Trabendo), pour présenter ce groupe. Depuis une vingtaine d'années, Steve Coleman rénove le jazz à la tête de ses Five Elements. Mais, parallèlement à ce groupe, il anime également deux autres projets : Metrics, qui propose une rencontre explosive de jazz et de rap, et la Mystic Rhythm Society, orientée vers une rencontre de jazz et de "world music". Il y a tout juste dix ans, en mars 1995, le Hot Brass accueillait pour la première fois les trois groupes de Coleman au cours d'un même programme, en cinq soirées. Il en a résulté trois disques (un par groupe) qui sont parmi les meilleurs de la discographie du chicagoan. Depuis, Coleman réactive épisodiquement ses deux groupes un peu particuliers. J'avais ainsi pu assister à un concert brûlant des Metrics lors de l'édition 2002 de Jazz à la Villette. Et on se souvient du disque enregistré à Cuba en 1996 par la Mystic Rhythm Society, très réussi.
Pour son actuelle tournée européenne, Coleman a donc réactivé sa Société, en regardant cette fois-ci vers la Hongrie. Son groupe était par conséquent accompagné par quatre musiciens originaires de la grande plaine danubienne : Zoltan Lantos au violon, Miklos Lukacs au cymbalum, Mihaly Borbely au saxophone soprano et au tarogato (sorte de clarinette traditionnelle hongroise à anche double) et Gabor Winand au chant. Outre les Hongrois, on retrouvait aux côtés de l'altiste, Jonathan Finlayson à la trompette, Tim Albright au trombone, Thomas Morgan à la contrebasse, Tyshawn Sorey à la batterie et Jen Shyu au chant. Soit une nouvelle paire rythmique (avec un batteur phénoménal) et quelques fidèles.
Projet ambitieux et excitant a priori, mais qui n'a pas tenu ses promesses. Les musiciens hongrois semblaient complètement perdus dans la densité rythmique de la machine colemanienne. Pour tout dire, ils n'ont quasiment pas joué du concert, n'arrivant pas à se placer au sein d'une musique assez éloignée de la leur. Manque de préparation ? Le concert d'hier soir n'était que le troisième de leur tournée européenne, et ils ne donnaient pas le sentiment d'avoir préparé leur performance en amont. Etrange idée que cette collaboration pour le coup. En suscitant une attente frustrée, ce concert a donc commencé par me décevoir. Mais, petit à petit, en faisant abstraction des musiciens hongrois, plus spectateurs qu'autre chose, on entre dans la furia groovante de Steve Coleman et de ses acolytes américains. Machine rythmique infernale - avec un Tyshawn Sorey puissamment métronomique à la batterie - et élégance incisive des cuivres font qu'on ne peut que difficilement résister aux bonnes vibrations que dégage la musique.
Sur la fin du concert, les musiciens hongrois se sont quand même un peu manifestés, avec par exemple un duo vraiment sympa entre contrebasse et cymbalum pendant quelques mesures, ou des solos de violon et de cymbalum enfin réjouissants sur l'ultime morceau du concert, le traditionnel Fire Theme qui clôt toutes les performances colemaniennes. Vraiment dommage d'avoir dû attendre les dernières minutes pour entrapercevoir ce qu'aurait pu donner une véritable rencontre des deux univers. Encore plus dommage de n'avoir quasiment pas entendu Gabor Winand intervenir, lui qui est pourtant l'un des chanteurs de jazz les plus intéressants du moment en Europe. On retiendra donc de ce concert que la machine colemanienne est toujours aussi phénoménale, mais qu'elle intègre difficilement de nouveaux éléments. Déception et enthousiasme se mêlaient ainsi à la sortie de la salle. Etrange sensation.
Le saxophoniste Bruno Wilhem (très impliqué dans l'aventure du Cap, puisqu'il y a monté un orchestre avec des jeunes musiciens du coin) et le batteur Ramon Lopez dialoguaient dans un langage free, dans la lignée de la glorieuse épopée des 60s, avec quelques éléments exotiques (tablas, cajon...) pour pimenter la rencontre. Le jeu de Bruno Wilhem (ténor et alto) n'est pas sans rappeler l'expressivité rauque du Shepp des années Impulse. Quant à Ramon Lopez, c'est un batteur vraiment remarquable, qui fait chanter ses tambours plus qu'il ne les frappe. Très variée dans ses effets rythmiques, la musique proposée par ce duo a tenu le public en haleine pendant près de 50 minutes d'une suite volontiers expressionniste.
Après cette première partie, Steve Coleman a rejoint la scène à la tête de sa Mystic Rhythm Society. Petit flashback, dix ans en arrière, au Hot Brass (désormais Trabendo), pour présenter ce groupe. Depuis une vingtaine d'années, Steve Coleman rénove le jazz à la tête de ses Five Elements. Mais, parallèlement à ce groupe, il anime également deux autres projets : Metrics, qui propose une rencontre explosive de jazz et de rap, et la Mystic Rhythm Society, orientée vers une rencontre de jazz et de "world music". Il y a tout juste dix ans, en mars 1995, le Hot Brass accueillait pour la première fois les trois groupes de Coleman au cours d'un même programme, en cinq soirées. Il en a résulté trois disques (un par groupe) qui sont parmi les meilleurs de la discographie du chicagoan. Depuis, Coleman réactive épisodiquement ses deux groupes un peu particuliers. J'avais ainsi pu assister à un concert brûlant des Metrics lors de l'édition 2002 de Jazz à la Villette. Et on se souvient du disque enregistré à Cuba en 1996 par la Mystic Rhythm Society, très réussi.
Pour son actuelle tournée européenne, Coleman a donc réactivé sa Société, en regardant cette fois-ci vers la Hongrie. Son groupe était par conséquent accompagné par quatre musiciens originaires de la grande plaine danubienne : Zoltan Lantos au violon, Miklos Lukacs au cymbalum, Mihaly Borbely au saxophone soprano et au tarogato (sorte de clarinette traditionnelle hongroise à anche double) et Gabor Winand au chant. Outre les Hongrois, on retrouvait aux côtés de l'altiste, Jonathan Finlayson à la trompette, Tim Albright au trombone, Thomas Morgan à la contrebasse, Tyshawn Sorey à la batterie et Jen Shyu au chant. Soit une nouvelle paire rythmique (avec un batteur phénoménal) et quelques fidèles.
Projet ambitieux et excitant a priori, mais qui n'a pas tenu ses promesses. Les musiciens hongrois semblaient complètement perdus dans la densité rythmique de la machine colemanienne. Pour tout dire, ils n'ont quasiment pas joué du concert, n'arrivant pas à se placer au sein d'une musique assez éloignée de la leur. Manque de préparation ? Le concert d'hier soir n'était que le troisième de leur tournée européenne, et ils ne donnaient pas le sentiment d'avoir préparé leur performance en amont. Etrange idée que cette collaboration pour le coup. En suscitant une attente frustrée, ce concert a donc commencé par me décevoir. Mais, petit à petit, en faisant abstraction des musiciens hongrois, plus spectateurs qu'autre chose, on entre dans la furia groovante de Steve Coleman et de ses acolytes américains. Machine rythmique infernale - avec un Tyshawn Sorey puissamment métronomique à la batterie - et élégance incisive des cuivres font qu'on ne peut que difficilement résister aux bonnes vibrations que dégage la musique.
Sur la fin du concert, les musiciens hongrois se sont quand même un peu manifestés, avec par exemple un duo vraiment sympa entre contrebasse et cymbalum pendant quelques mesures, ou des solos de violon et de cymbalum enfin réjouissants sur l'ultime morceau du concert, le traditionnel Fire Theme qui clôt toutes les performances colemaniennes. Vraiment dommage d'avoir dû attendre les dernières minutes pour entrapercevoir ce qu'aurait pu donner une véritable rencontre des deux univers. Encore plus dommage de n'avoir quasiment pas entendu Gabor Winand intervenir, lui qui est pourtant l'un des chanteurs de jazz les plus intéressants du moment en Europe. On retiendra donc de ce concert que la machine colemanienne est toujours aussi phénoménale, mais qu'elle intègre difficilement de nouveaux éléments. Déception et enthousiasme se mêlaient ainsi à la sortie de la salle. Etrange sensation.
mardi 22 novembre 2005
Robert Glasper Trio @ Sunside, lundi 21 novembre 2005
Depuis qu'il a avec lui la force de frappe marketing de Blue Note, Robert Glasper est présenté par toute la presse spécialisée comme la nouvelle star du piano jazz. Mais ceux qui, comme moi, l'avaient découvert à travers son premier disque - Mood (Fresh Sound New Talent, 2003) - le savaient depuis quelques temps déjà. Pour les uns, comme pour les autres, confirmation en a été donnée hier soir par un superbe concert au Sunside.
Accompagné par le batteur Damion Reid et le contrebassiste Alan Hampton, Robert Glasper nous a démontré, au cours de deux longs sets, toute l'étendue de son talent, comme interprète et comme compositeur. La force de ses mélodies limpides, alliée à une expressivité idéale du trio, évoque simultanément la fraîcheur de la dernière petite tuerie hip hop et ses grands prédécesseurs dans le cadre magique du trio piano-basse-batterie. Ce qui m'a le plus frappé, hier, c'est la large place que Robert Glasper laisse à ses deux sidemen, particulièrement bons il faut dire. Je ne connaissais pas le bassiste, mais il m'a fait forte impression. Solos délicats, rythme puissant, parfois jazz, parfois plus urbain. Je connaissais mieux Damion Reid, mais sa performance lui a fait prendre une nouvelle dimension à mes oreilles. Sa dextérité à toute épreuve (il faut voir son jeu de doigts dans le maniement des baguettes pour y comprendre quelque chose), là aussi entre deux mondes musicaux, jazz et hip hop, est particulièrement impressionnante, ne cessant jamais pour autant d'être fraîche et réjouissante. Ce qui caractérise ce trio c'est en effet de ne jamais céder à la complexité. Une grosse maîtrise instrumentale, mais mise au service de la communication des sentiments. On n'entend pas des "idées", mais un bon gros feeling, vif et heureux d'être là.
J'insiste sur l'alliage de jazz et de hip hop, pourtant il ne faudrait pas croire que la musique de Robert Glasper est une n-ième fusion facile entre les deux univers. Le hip hop est plus ici un état d'esprit, qui transpire à travers quelques éléments (rythmique, sens du groove, jeu en boucle...), mais le langage du groupe reste entièrement jazz. D'ailleurs, quand le trio s'aventure sur le terrain des reprises, c'est le Prince of Darkness de Wayne Shorter qui sert de base à une escapade joyeuse des trois musiciens. Ceci dit, pour l'essentiel du concert, ce sont les propres compositions de Robert Glasper qu'on a pu entendre. Dont une proportion généreuse de nouveautés, entrecoupées de quelques morceaux qui figurent sur ses deux premiers disques. Plus le concert avançait, plus le public semblait prendre du plaisir. Sur un morceau, au cours du second set, quelques spectateurs ont même repris la mélodie d'un morceau qui venait de s'achever, en la fredonnant. Robert Glasper, tout surpris et tout sourire, décidait de les accompagner quelques mesures. Moment rare dans le cadre d'un concert jazz. Le sommet de la soirée fut sans doute le dernier morceau (une nouveauté) avec un Damion Reid en état de grâce à la batterie et un public rugissant de plaisir. Un dynamisme magique, dans le cadre toujours rajeuni du trio piano-basse-batterie. Trois est décidément le chiffre magique.
Accompagné par le batteur Damion Reid et le contrebassiste Alan Hampton, Robert Glasper nous a démontré, au cours de deux longs sets, toute l'étendue de son talent, comme interprète et comme compositeur. La force de ses mélodies limpides, alliée à une expressivité idéale du trio, évoque simultanément la fraîcheur de la dernière petite tuerie hip hop et ses grands prédécesseurs dans le cadre magique du trio piano-basse-batterie. Ce qui m'a le plus frappé, hier, c'est la large place que Robert Glasper laisse à ses deux sidemen, particulièrement bons il faut dire. Je ne connaissais pas le bassiste, mais il m'a fait forte impression. Solos délicats, rythme puissant, parfois jazz, parfois plus urbain. Je connaissais mieux Damion Reid, mais sa performance lui a fait prendre une nouvelle dimension à mes oreilles. Sa dextérité à toute épreuve (il faut voir son jeu de doigts dans le maniement des baguettes pour y comprendre quelque chose), là aussi entre deux mondes musicaux, jazz et hip hop, est particulièrement impressionnante, ne cessant jamais pour autant d'être fraîche et réjouissante. Ce qui caractérise ce trio c'est en effet de ne jamais céder à la complexité. Une grosse maîtrise instrumentale, mais mise au service de la communication des sentiments. On n'entend pas des "idées", mais un bon gros feeling, vif et heureux d'être là.
J'insiste sur l'alliage de jazz et de hip hop, pourtant il ne faudrait pas croire que la musique de Robert Glasper est une n-ième fusion facile entre les deux univers. Le hip hop est plus ici un état d'esprit, qui transpire à travers quelques éléments (rythmique, sens du groove, jeu en boucle...), mais le langage du groupe reste entièrement jazz. D'ailleurs, quand le trio s'aventure sur le terrain des reprises, c'est le Prince of Darkness de Wayne Shorter qui sert de base à une escapade joyeuse des trois musiciens. Ceci dit, pour l'essentiel du concert, ce sont les propres compositions de Robert Glasper qu'on a pu entendre. Dont une proportion généreuse de nouveautés, entrecoupées de quelques morceaux qui figurent sur ses deux premiers disques. Plus le concert avançait, plus le public semblait prendre du plaisir. Sur un morceau, au cours du second set, quelques spectateurs ont même repris la mélodie d'un morceau qui venait de s'achever, en la fredonnant. Robert Glasper, tout surpris et tout sourire, décidait de les accompagner quelques mesures. Moment rare dans le cadre d'un concert jazz. Le sommet de la soirée fut sans doute le dernier morceau (une nouveauté) avec un Damion Reid en état de grâce à la batterie et un public rugissant de plaisir. Un dynamisme magique, dans le cadre toujours rajeuni du trio piano-basse-batterie. Trois est décidément le chiffre magique.
samedi 19 novembre 2005
Thierry Titi Robin @ Cabaret Sauvage, vendredi 18 novembre 2005
Back on the blog. Après une semaine bien silencieuse, je reprends du service avec un compte-rendu du concert de Thierry Titi Robin hier soir au Cabaret Sauvage. J'aime beaucoup cette salle. Il s'agit de la reproduction d'un cabaret typique des années 20, de type anversois. Délicieusement boisée, avec un jeu de miroirs et de lumières chaleureux, c'est une salle où l'on vient autant pour les artistes qui s'y produisent (programmation axée "world music") que pour le lieu en lui-même. J'y ai d'excellents souvenirs de concerts d'Akosh Szelevenyi ou du Taraf de Haïdouks. A nouveau l'oreille tendue vers l'Est hier soir avec Thierry Titi Robin qui, bien que gadjo, est certainement le plus parfait ambassadeur des musiques tziganes en France actuellement. Guitariste hors pair, sa musique puise dans la vaste tradition rom, du Rajasthan à l'Andalousie, en passant par le Proche-Orient, les Balkans et la Mitteleuropa.
Hier soir, il a commencé en trio, accompagné par Francis Varis à l'accordéon et Ze Luis Nascimento aux percussions. Tour à tour au 'oud, au bouzouq et à la guitare, Titi Robin alterne ambiances orientales sereines et frénésie rythmique flamenca. J'aime particulièrement sa sonorité au bouzouq, quand sa musique prend des accents rebetiko. On s'imagine alors dans un café enfumé de Salonique au début du XXe siècle, quand le port grec était le carrefour de biens des communautés musicales entre Orient et Occident. Après trois morceaux en trio, le bassiste Pascal Stalin s'est joint au groupe. A priori la présence d'une basse électrique peut paraître un peu saugrenue dans ce genre d'ambiances sonores, et pourtant l'intégration de Pascal Stalin au groupe se fait de la plus naturelle des manières. Il arrive à donner des sonorités très orientales à son jeu de basse qui collent parfaitement avec la musique développée par Titi Robin. Après quelques morceaux en quartet, La Coque, fille de Titi Robin, monte sur scène pour un morceau en trio avec son père et Ze Luis Nascimento. Elle joue du daf (ce grand tambourin d'origine persane) pour un morceau tout en douceur percussive (ce n'est pas un oxymore). Pour les trois derniers morceaux du premier set, l'autre fille de Titi Robin, Maria, rejoint le groupe au complet. Elle chante d'une voix marquée par les traditions flamenca et rom d'Europe centrale (Hongrie, Roumanie). Une sonorité très particulière, typique du chant tzigane, qui exprime douleur et allégresse avec une grande énergie. Le deuxième set commence par trois morceaux en quartet (Titi Robin, Francis Varis, Ze Luis Nascimento et Pascal Stalin), entre classiques de Titi et nouveautés tirés de son plus récent disque, Ces vagues que l'amour soulève (Naïve, 2005). Ensuite, le groupe est rejoint par le cantaor flamenco Jose Montealegre, pour une fin de concert plus marquée par les ambiances ibériques, avec un rappel explosif où tous les musiciens sont revenus sur scène. Ca fait désormais plus de dix ans que Titi Robin trace sa voie au sein des traditions roms, et le résultat est magnifique de vitalité et de singularité, le tout avec un côté très naturel. C'était la première fois que je le voyais sur scène, et le concert fut à la hauteur de mes attentes. Une fort belle soirée.
Hier soir, il a commencé en trio, accompagné par Francis Varis à l'accordéon et Ze Luis Nascimento aux percussions. Tour à tour au 'oud, au bouzouq et à la guitare, Titi Robin alterne ambiances orientales sereines et frénésie rythmique flamenca. J'aime particulièrement sa sonorité au bouzouq, quand sa musique prend des accents rebetiko. On s'imagine alors dans un café enfumé de Salonique au début du XXe siècle, quand le port grec était le carrefour de biens des communautés musicales entre Orient et Occident. Après trois morceaux en trio, le bassiste Pascal Stalin s'est joint au groupe. A priori la présence d'une basse électrique peut paraître un peu saugrenue dans ce genre d'ambiances sonores, et pourtant l'intégration de Pascal Stalin au groupe se fait de la plus naturelle des manières. Il arrive à donner des sonorités très orientales à son jeu de basse qui collent parfaitement avec la musique développée par Titi Robin. Après quelques morceaux en quartet, La Coque, fille de Titi Robin, monte sur scène pour un morceau en trio avec son père et Ze Luis Nascimento. Elle joue du daf (ce grand tambourin d'origine persane) pour un morceau tout en douceur percussive (ce n'est pas un oxymore). Pour les trois derniers morceaux du premier set, l'autre fille de Titi Robin, Maria, rejoint le groupe au complet. Elle chante d'une voix marquée par les traditions flamenca et rom d'Europe centrale (Hongrie, Roumanie). Une sonorité très particulière, typique du chant tzigane, qui exprime douleur et allégresse avec une grande énergie. Le deuxième set commence par trois morceaux en quartet (Titi Robin, Francis Varis, Ze Luis Nascimento et Pascal Stalin), entre classiques de Titi et nouveautés tirés de son plus récent disque, Ces vagues que l'amour soulève (Naïve, 2005). Ensuite, le groupe est rejoint par le cantaor flamenco Jose Montealegre, pour une fin de concert plus marquée par les ambiances ibériques, avec un rappel explosif où tous les musiciens sont revenus sur scène. Ca fait désormais plus de dix ans que Titi Robin trace sa voie au sein des traditions roms, et le résultat est magnifique de vitalité et de singularité, le tout avec un côté très naturel. C'était la première fois que je le voyais sur scène, et le concert fut à la hauteur de mes attentes. Une fort belle soirée.
dimanche 6 novembre 2005
David Chevallier / Elise Caron - The rest is silence @ Point Ephémère, samedi 5 novembre 2005
Hier soir au Point Ephémère, le guitariste David Chevallier présentait son projet "The rest is silence" sur des poèmes de Cesare Pavese. A la manière des Lieder des compositeurs classiques, il a décidé de mettre en musique tout un recueil du poète italien : Verra la morte e avra i tuoi occhi (la mort viendra et elle aura tes yeux). La musique qu'il a composée pour l'occasion est d'ailleurs plus proche de la musique de chambre contemporaine que de l'univers du jazz qu'il fréquente habituellement. Pour être plus précis, David Chevallier a écrit des musiques interprétées par l'Ensemble Octoplus, neuf musiciens de formation classique (violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor). En plus de ces orchestrations classiques, David Chevallier a réuni son quartet jazz habituel, Les Pyromanes (Yves Robert au trombone, Michel Massot au tuba, Denis Charolles à la batterie et le leader aux guitares), chargé d'improviser sur la musique jouée. Enfin, pour interpréter les textes, c'est à l'inclassable Elise Caron que David Chevallier a fait appel.
Le résultat est assez somptueux il faut dire. Et, dans un lieu plus habitué aux décharges bruitistes qu'aux subtils arrangements classiques, l'ingénieur du son a réalisé une belle performance, permettant une restitution très juste des multiples nuances de l'orchestration.
Le concert s'est ouvert et s'est conclu sur deux poèmes chantés en anglais, alors que tous les autres étaient laissés en version originale, et donc en italien. La voix d'Elise Caron est toujours aussi délicieuse, mettant juste ce qu'il faut de lyrisme noir et d'ironie amusée dans son interprétation des textes de Pavese. L'alliage des timbres, cordes, bois et cuivres, classiques et jazz, permet une grande variété d'approches, même s'il y a une indéniable unité de la musique proposée. Ainsi, sur un morceau, le quatuor à cordes est mis en avant, sur un autre ce sont au contraire les cuivres des "jazzeux", parfois le format se resserre (duo guitare/voix, trio trombone/batterie/voix...), à d'autres moments les quatorze musiciens allient leur effort. On passe aussi à travers diverses ambiances. Il y a un côté joyeux qui emprunte aux musiques des films de Fellini ou à Kurt Weill, mais il y a parallèlement un côté assez sombre, qui exprime bien le thème récurrent de la mort présent dans le recueil mis en musique. Et, avec des musiciens comme Denis Charolles, Yves Robert ou Elise Caron, il y a aussi, nécessairement, de l'humour un peu potache, comme lorsque le tromboniste s'amuse à imiter une mouche ou qu'Elise Caron part sur des onomatopées délirantes. Bref, un spectacle complet, qui mèle beaucoup d'émotions diverses, mais au service unique des sentiments des spectateurs.
Le résultat est assez somptueux il faut dire. Et, dans un lieu plus habitué aux décharges bruitistes qu'aux subtils arrangements classiques, l'ingénieur du son a réalisé une belle performance, permettant une restitution très juste des multiples nuances de l'orchestration.
Le concert s'est ouvert et s'est conclu sur deux poèmes chantés en anglais, alors que tous les autres étaient laissés en version originale, et donc en italien. La voix d'Elise Caron est toujours aussi délicieuse, mettant juste ce qu'il faut de lyrisme noir et d'ironie amusée dans son interprétation des textes de Pavese. L'alliage des timbres, cordes, bois et cuivres, classiques et jazz, permet une grande variété d'approches, même s'il y a une indéniable unité de la musique proposée. Ainsi, sur un morceau, le quatuor à cordes est mis en avant, sur un autre ce sont au contraire les cuivres des "jazzeux", parfois le format se resserre (duo guitare/voix, trio trombone/batterie/voix...), à d'autres moments les quatorze musiciens allient leur effort. On passe aussi à travers diverses ambiances. Il y a un côté joyeux qui emprunte aux musiques des films de Fellini ou à Kurt Weill, mais il y a parallèlement un côté assez sombre, qui exprime bien le thème récurrent de la mort présent dans le recueil mis en musique. Et, avec des musiciens comme Denis Charolles, Yves Robert ou Elise Caron, il y a aussi, nécessairement, de l'humour un peu potache, comme lorsque le tromboniste s'amuse à imiter une mouche ou qu'Elise Caron part sur des onomatopées délirantes. Bref, un spectacle complet, qui mèle beaucoup d'émotions diverses, mais au service unique des sentiments des spectateurs.
mardi 1 novembre 2005
Thôt & Magic Malik / Thôt Twin @ Point Ephémère, lundi 31 octobre 2005
Double concert autour du groupe Thôt hier soir au Point Ephémère. Pour commencer, le quartet invitait Magic Malik. Le groupe n'a joué qu'un morceau, mais qui a duré une heure. Une longue suite, typique du style Thôt, à la progression sinueuse, faussement répétitive, avec une ligne de basse qui sert de point d'ancrage au discours hachuré de la guitare de Gilles Coronado et du sax alto de Stéphane Payen. Thôt, c'est d'abord une rythmique à toute épreuve, qui a développé un sens certain du groove. Christophe Lavergne à la batterie et Hubert Dupont à la basse sont la base solide, lourde et puissante à partir de laquelle les trois solistes s'amusent à perturber le discours linéaire développé par la section rythmique. Les envolées de Malik à la flûte, la fureur de Payen au sax et le jeu tout en brisures de Coronado à la guitare, font voyager l'auditeur vers des terres musicales très contrastées : énergie rock, légèreté jazz, efficacité funk, motifs indiens... Influencé au départ par les expériences de Steve Coleman ou d'Aka Moon, Thôt a depuis développé un style personnel très nerveux. Si la tête à tendance à suivre le rythme répétitif et obsédant de la basse - à la dimension hypnotique indéniable - le corps prend un plaisir quasi masochiste à tenter de suivre le discours chaotique de la guitare de Coronado. On sort d'un concert de Thôt toujours un peu épuisé ! La présence malicieuse de Magic Malik hier soir a toutefois permis d'introduire quelques éléments moins massifs dans la musique de l'ensemble, apportant un contrepoint de légèreté fort bienvenu.
Pour la deuxième partie du concert, le groupe proposait un nouveau projet : Thôt Twin. L'idée est simple, il s'agit de doubler chaque instrument (sauf la basse, déjà très présente il est vrai). Au quartet de base se sont donc ajoutés Emmanuel Scarpa à la batterie, Damien Cluzel à la guitare et Guillaume Orti au sax alto. Une musique plus écrite, des morceaux plus courts, mais toujours une énergie furieuse. Guillaume Orti, sax de Kartet notamment et pilier de la nébuleuse du Hask, est un formidable musicien, trop méconnu à mon avis. Volontiers libertaire hier soir, il complétait parfaitement la détermination méthodique (sous un dehors chaotique) de Stéphane Payen. Cette nouvelle formation issue de Thôt rappelle le projet "Thôt agrandi" (11 musiciens) qui avait vu le jour en 2002. Elle permet de renforcer les lignes de force du quartet de base, en jouant sur encore plus de combinaisons soniques possibles. Il en résulte une sorte de "funk cérébral" qui épuise et remplit de joie simultanément. Paradoxal, mais enthousiasmant.
Pour la deuxième partie du concert, le groupe proposait un nouveau projet : Thôt Twin. L'idée est simple, il s'agit de doubler chaque instrument (sauf la basse, déjà très présente il est vrai). Au quartet de base se sont donc ajoutés Emmanuel Scarpa à la batterie, Damien Cluzel à la guitare et Guillaume Orti au sax alto. Une musique plus écrite, des morceaux plus courts, mais toujours une énergie furieuse. Guillaume Orti, sax de Kartet notamment et pilier de la nébuleuse du Hask, est un formidable musicien, trop méconnu à mon avis. Volontiers libertaire hier soir, il complétait parfaitement la détermination méthodique (sous un dehors chaotique) de Stéphane Payen. Cette nouvelle formation issue de Thôt rappelle le projet "Thôt agrandi" (11 musiciens) qui avait vu le jour en 2002. Elle permet de renforcer les lignes de force du quartet de base, en jouant sur encore plus de combinaisons soniques possibles. Il en résulte une sorte de "funk cérébral" qui épuise et remplit de joie simultanément. Paradoxal, mais enthousiasmant.