Steve Coleman aime la banlieue. La dernière fois que je l'avais vu, c'était à Pontoise. Il est annoncé à Créteil en février 2006 dans le cadre de Sons d'hiver. Et il se produisait hier soir au Cap, une salle située à Aulnay-sous-Bois. Mais avant d'en venir à sa performance, un petit mot sur la première partie.
Le saxophoniste Bruno Wilhem (très impliqué dans l'aventure du Cap, puisqu'il y a monté un orchestre avec des jeunes musiciens du coin) et le batteur Ramon Lopez dialoguaient dans un langage free, dans la lignée de la glorieuse épopée des 60s, avec quelques éléments exotiques (tablas, cajon...) pour pimenter la rencontre. Le jeu de Bruno Wilhem (ténor et alto) n'est pas sans rappeler l'expressivité rauque du Shepp des années Impulse. Quant à Ramon Lopez, c'est un batteur vraiment remarquable, qui fait chanter ses tambours plus qu'il ne les frappe. Très variée dans ses effets rythmiques, la musique proposée par ce duo a tenu le public en haleine pendant près de 50 minutes d'une suite volontiers expressionniste.
Après cette première partie, Steve Coleman a rejoint la scène à la tête de sa Mystic Rhythm Society. Petit flashback, dix ans en arrière, au Hot Brass (désormais Trabendo), pour présenter ce groupe. Depuis une vingtaine d'années, Steve Coleman rénove le jazz à la tête de ses Five Elements. Mais, parallèlement à ce groupe, il anime également deux autres projets : Metrics, qui propose une rencontre explosive de jazz et de rap, et la Mystic Rhythm Society, orientée vers une rencontre de jazz et de "world music". Il y a tout juste dix ans, en mars 1995, le Hot Brass accueillait pour la première fois les trois groupes de Coleman au cours d'un même programme, en cinq soirées. Il en a résulté trois disques (un par groupe) qui sont parmi les meilleurs de la discographie du chicagoan. Depuis, Coleman réactive épisodiquement ses deux groupes un peu particuliers. J'avais ainsi pu assister à un concert brûlant des Metrics lors de l'édition 2002 de Jazz à la Villette. Et on se souvient du disque enregistré à Cuba en 1996 par la Mystic Rhythm Society, très réussi.
Pour son actuelle tournée européenne, Coleman a donc réactivé sa Société, en regardant cette fois-ci vers la Hongrie. Son groupe était par conséquent accompagné par quatre musiciens originaires de la grande plaine danubienne : Zoltan Lantos au violon, Miklos Lukacs au cymbalum, Mihaly Borbely au saxophone soprano et au tarogato (sorte de clarinette traditionnelle hongroise à anche double) et Gabor Winand au chant. Outre les Hongrois, on retrouvait aux côtés de l'altiste, Jonathan Finlayson à la trompette, Tim Albright au trombone, Thomas Morgan à la contrebasse, Tyshawn Sorey à la batterie et Jen Shyu au chant. Soit une nouvelle paire rythmique (avec un batteur phénoménal) et quelques fidèles.
Projet ambitieux et excitant a priori, mais qui n'a pas tenu ses promesses. Les musiciens hongrois semblaient complètement perdus dans la densité rythmique de la machine colemanienne. Pour tout dire, ils n'ont quasiment pas joué du concert, n'arrivant pas à se placer au sein d'une musique assez éloignée de la leur. Manque de préparation ? Le concert d'hier soir n'était que le troisième de leur tournée européenne, et ils ne donnaient pas le sentiment d'avoir préparé leur performance en amont. Etrange idée que cette collaboration pour le coup. En suscitant une attente frustrée, ce concert a donc commencé par me décevoir. Mais, petit à petit, en faisant abstraction des musiciens hongrois, plus spectateurs qu'autre chose, on entre dans la furia groovante de Steve Coleman et de ses acolytes américains. Machine rythmique infernale - avec un Tyshawn Sorey puissamment métronomique à la batterie - et élégance incisive des cuivres font qu'on ne peut que difficilement résister aux bonnes vibrations que dégage la musique.
Sur la fin du concert, les musiciens hongrois se sont quand même un peu manifestés, avec par exemple un duo vraiment sympa entre contrebasse et cymbalum pendant quelques mesures, ou des solos de violon et de cymbalum enfin réjouissants sur l'ultime morceau du concert, le traditionnel Fire Theme qui clôt toutes les performances colemaniennes. Vraiment dommage d'avoir dû attendre les dernières minutes pour entrapercevoir ce qu'aurait pu donner une véritable rencontre des deux univers. Encore plus dommage de n'avoir quasiment pas entendu Gabor Winand intervenir, lui qui est pourtant l'un des chanteurs de jazz les plus intéressants du moment en Europe. On retiendra donc de ce concert que la machine colemanienne est toujours aussi phénoménale, mais qu'elle intègre difficilement de nouveaux éléments. Déception et enthousiasme se mêlaient ainsi à la sortie de la salle. Etrange sensation.
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