mardi 13 août 2019

Ambrose Akinmusire - Origami Harvest @ Fundação Calouste Gulbenkian, samedi 10 août 2019

Alors que la moitié du concert est déjà dépassée, Ambrose Akinmusire et Kokayi se mettent en retrait pour un aparté rapide. Ils ont repéré des mouvements dans la foule. Alors que jusqu'à présent les quelques goutes de pluie n'avaient dérangé personne dans l'audience, la soudaine averse pousse les uns vers la sortie, les autres sous les arbres, d'autres encore à sortir capuche ou couvre-chef. Après un bref échange, ils font donc signe au public de venir les rejoindre sur scène, à l'abri de la structure métallique de celle-ci. Imperturbables, les autres musiciens continuent, alors que le public forme désormais un cercle resserré autour d'eux. Le son des instruments n'est alors plus perçu à travers l'amplification nécessaire à un concert en plein air, mais au plus près de la matière propre à chacun. Et quoi de mieux pour un quatuor à cordes !

Le projet "Origami Harvest" d'Ambrose Akinmusire associe en effet les apparents contraires. Sur la gauche de la scène, les trois quarts de son quartet régulier sont présents : Sam Harris au piano et au synthé, Justin Brown à la batterie, et le leader à la trompette. Sur la droite, on retrouve le Mivos Quartet, quatuor à cordes habitué du répertoire contemporain, soit Olivia de Prato (vl), Maya Bennardo (vl), Victor Lowrie Tafoya (vla) et Tyler J. Borden (cello). Au centre, enfin, le rappeur Kokayi, habitué au dialogue jazz-rap après vingt-cinq ans d'expériences communes avec Steve Coleman. Sur disque, le résultat était enthousiasmant (avec d'autres rappeurs), mais j'étais curieux de pouvoir écouter ça sur scène, sans le travail de production inhérent à la réalisation d'un enregistrement.

Au plus près de l'action, pour échapper à la pluie


La vue permet de mieux comprendre comment cette musique fonctionne. Les huit musiciens ne jouent quasiment jamais tous ensemble. On assiste plutôt à une succession de "tableaux" : le plus souvent, piano et batterie offrent des beats hip hop typiques sur lesquels Kokayi rappe, voire chante, ou Akinmusire prend de puissants solos. Entre ces moments frénétiques, les cordes offrent comme des respirations, accompagnées par l'un des autres (trompette, rappeur ou batterie, mais pas tous en même temps) ou seules. A la mi-temps du concert, je me fais la réflexion qu'à force tout se ressemble un peu... et comme tout bon commentateur sportif émettant un jugement par trop définitif, je suis immédiatement démenti par la tournure des évènements. Les morceaux de la seconde moitié me semblent en effet faire un usage plus divers des possibles combinaisons soniques, réduisant quelque peu la part prise par le couple claviers / batterie, offrant aussi plus de libertés aux cordes dans leurs interventions, sur des schémas moins évidents. Cette perception est donc renforcée par l'invitation faite au public de rejoindre le groupe sur scène. Juste en face de Kokayi, à quelques mètres des cordes, leur rendu est totalement différent sans le filtre de l'amplification.

Kokayi improvise alors quelques strophes sur la pluie qui redouble d'intensité, ajoutant par son free style un peu de légèreté à un propos par ailleurs très conscient, comme une bande son du mouvement Black Lives Matter. "Say their names : Trayvon Martin, Sandra Bland, Eric Garner..." Frissons garantis. Et la confirmation que la démarche d'Ambrose Akinmusire est décidément très politique, directement connectée au contexte social des vies noires contemporaines aux Etats-Unis. C'était déjà le cas lors d'un précédent concert, avec une approche musicale différente, vu il y a quelques années à Sons d'hiver. Comme je l'indiquais alors, il reprend le flambeau d'une longue tradition dans la culture afro-américaine. Et, servie par une telle musique, on peut être certain que la flamme n'est pas prête de s'éteindre.

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